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Bienvenue à Fire Island, l’enclave LGBTQIA+ qui s’enflamme pour Kamala Harris

Bienvenue à Fire Island, l’enclave LGBTQIA+ qui s’enflamme pour Kamala Harris



C’est une île aussi fine que la moustache de John Waters. Et aussi bariolée que les robes de sa muse, Divine. Située à environ deux heures de New York en transport, Fire Island, située entre la baie de Long Island et l’océan Atlantique, accueille chaque été les citadin·es dans ses dunes de sable. Ici, pas de voiture, ni de chat errant : on se balade à pied sur des passerelles en bois sous l’œil des biches sauvages. Uniquement accessible en bateau, l’endroit est idyllique avec ses odeurs de pin, ses oiseaux colorés, son soleil incandescent… et son sens invraisemblable de la fête. C’est ici que la communauté LGBTQIA+ vient célébrer son existence et ses amours. Jadis clandestines – l’homosexualité n’est dépénalisée dans l’État de New York que depuis 1980 –, elles s’affichent désormais au grand jour dans un tourbillon de paillettes, de danse et de soirées extravagantes.
Ce dimanche 21 juillet, Nate Fickenscher et ses amis se remettent d’ailleurs de la dernière sauterie – ils étaient au Ice Palace la veille, les DJ new-yorkais de Motherdisco assurant la résidence estivale. Dans la grande maison qu’ils louent une semaine chaque été, certains dorment encore quand d’autres tardent à rentrer d’after. Nate s’affaire en cuisine, le brunch dominical n’attend pas. Alors qu’émergent doucement ses colocs, le jeune homme scrolle son Instagram entre deux bouchées d’œufs brouillés. “Biden renonce à la présidentielle ! C’est énorme !”, s’exclame le jeune homme de 29 ans, qui travaille à Chicago au service marketing d’une appli dédiée à renforcer l’engagement entre marques et client·es. Les cris de Nate alertent le reste de la maisonnée.
Il est 14 heures, tout vient de basculer…
Si tous ont en tête l’échéance électorale de novembre, l’espoir n’était plus vraiment de mise depuis le désastreux débat Biden-Trump fin juin. Le président octogénaire s’était alors montré confus, dépassé, voire incapable de suivre le fil de sa pensée. À l’inverse, Donald Trump, aussi belliqueux et sauvage qu’à l’accoutumée, n’en avait fait qu’une bouchée. Depuis, le camp démocrate poussait tant bien que mal en coulisses le président en place à renoncer à un second mandat. Mais la résistance de Biden – “il est putain de têtu”, s’énervait-on en off dans son entourage – n’a fait que galvaniser l’opposition. Au point qu’au lendemain de la convention républicaine de Milwaukee mi-juillet, qui a vu le triomphe de Trump et de son nouveau colistier J. D. Vance en mâles alpha prêts à enrayer “le déclin woke de l’Amérique”, les dés semblaient jetés…
Et pourtant, ce 21 juillet, Biden fait suivre sa lettre officielle d’un tweet où il annonce soutenir sa vice-présidente, Kamala Harris. Nous sommes à 107 jours de l’élection. Il est 14 heures, et tout vient de basculer. “Il faut absolument faire quelque chose”, s’enflamme Vinnie Smith. Danseur, chanteur et instructeur de fitness basé à New York, le beau jeune homme en est
à son quatrième été à Fire Island. Comme de coutume, avec les garçons qui partagent sa maison, il prévoit un déguisement commun pour aller au Thé Dansant – ce nom désuet, qui désigne l’happy hour quotidien sur le port, fait référence à ces bals des années 1950-1960 où les gays ne pouvaient se charmer qu’en toute discrétion.
Question de vie ou de mort
Vinnie reprend : “On avait prévu des crop-tops vert fluo pour rendre hommage à Charli XCX et son album Brat, la bande-son et la vibe incontournables de l’été [‘brat’ signifiant ‘sale gosse’ en VF]. Mais là, tout le paysage politique vient de basculer, il faut encourager ce moment.” Les neuf colocs transforment leur salon en maquiladora et tordent tant bien que mal les lettres thermocollantes achetées plus tôt afin de former le prénom Kamala (“Il y a trop de A dans son nom, j’en pouvais plus de recourber les M”, souffle Nate).
À 18 heures, soit quatre heures seulement après l’annonce présidentielle, la bande débarque au Thé Dansant sous un tonnerre d’applaudissements. L’image fait le tour d’Instagram, TikTok et X avec cette légende : “The devil works fast, but the gays work faster” (“le diable travaille vite, mais les gays deux fois plus”). “Le tweet a fait 5 millions de vues, s’enthousiasme Nate. Charli XCX elle-même l’a liké, et a tweeté une heure après : ‘Kamala is Brat’, ce qui a déclenché un engouement encore plus fort pour la vice-présidente – le vert fluo est même devenu la couleur officielle de ses réseaux sociaux. Kamala a toute la gen Z derrière elle. Je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est grâce à nous.”
“Trump représente un danger immense pour notre communauté.” Eric Sawyer, cofondateur d’Act Up
Si l’existence même de Fire Island est en soi politique – c’est un lieu où tout le monde est libre d’aimer et de vivre comme il l’entend, l’été 2024 est peut-être le premier où le sujet électoral est incontournable. “Évidemment, vous avez vu à qui on a affaire ?, tonne Eric Sawyer, 69 ans et cofondateur d’Act Up, l’asso militante de lutte contre le sida. Trump représente un danger immense pour notre communauté : son programme, le Projet 2025, veut faire voler en éclats nos droits et nos libertés, le mariage, l’adoption… Toutes les lois qui nous protègent. C’est une question de vie ou de mort. Je ne serai soulagé que lorsque cet escroc sera derrière les barreaux.”
Eric Sawyer a découvert l’île en 1975. C’est un copain hétéro de son équipe de lutte à l’université qui lui propose de passer l’été dans sa ville natale, Sayville, le petit port qui permet de rejoindre Fire Island. Ils pourront pêcher des palourdes dans la baie et gagner quelques dollars. Après une matinée de travail, ils font une pause déj sur la plage côté Atlantique. Deux hommes s’embrassent à pleine bouche. Eric, qui peine alors à faire son coming out, regarde son ami interloqué : “On est où exactement ?” “C’est une plage gay, on l’appelait le paradis des homos dans mon lycée, et c’est là où tu seras heureux. Monte pas sur tes grands chevaux, c’est OK d’être gay, surtout ici.” Eric le prend au mot et y passe désormais tous ses étés. “Globalement, nous vivons dans une communauté très progressiste. Il existe bien sûr quelques républicains ici, mais ils ont tendance à rester chez eux – vous les verrez rarement en microslip sur la plage”, sourit Sawyer.
De sérieux retours de bâton
Si l’homophobie tue toujours, la communauté a gagné en visibilité et en droits sous Clinton et Obama. “Mais nous n’avons pas connu tant de victoires que ça, nuance le DJ Joey with the Mustache, 33 ans. Il y a eu en 2003 la décision Lawrence vs. Texas qui nous permet désormais de nous embrasser dans la rue sans craindre d’être arrêtés, puis le mariage pour tous dans certains États, jusqu’à ce que cela devienne une loi fédérale en 2015. Mais depuis Trump, c’est le retour de bâton : les personnes transgenres sont dans le viseur de la frange radicale républicaine, la loi Don’t Say Gay, promulguée en Floride en 2022, interdit de parler d’homosexualité à l’école… Alors, quand Joe Biden a jeté l’éponge et que Kamala Harris est devenue la candidate officielle, je ne peux pas vous dire à quel point l’ambiance a changé : c’est comme si l’air s’était rempli de Zoloft [antidépresseur] ! On a tous redécouvert l’espoir et la joie !”
Le soir même, Joey with the Mustache organisait une fête sur la plage, la 5-HTP. Les pieds dans le sable, il faisait danser des centaines de personnes à moitié nues tandis que d’autres s’affairaient derrière les dunes. “Il était temps qu’on célèbre ce nouvel élan en utilisant nos meilleures armes : l’humour et la fête !”, sourit Joey, dans une robe motif noix de coco en hommage à la candidate démocrate (reine de la punchline maladroite, Kamala Harris avait eu cette phrase face à la presse en 2023 : “Je ne sais pas ce qui ne va pas chez vous les jeunes, vous croyez que vous êtes tombés d’un cocotier ?”).
 “J’ai reçu une invitation pour une sex party dont les bénéfices sont reversés à la campagne Harris. Là, si je peux contribuer…”
Le Brat Summer est lancé : soirée sous-vêtements le vendredi, raves dans la mini-forêt qui sépare le village lesbien (Cherry Grove) du village gay (les Pines) le samedi, fêtes au bord de piscines en journée, anniversaires délirants avec pour thème Priscilla, folle du désert ou Mario Kart, l’immense Pines Party début août… le tout entrecoupé de spectacles réalisés par la fine fleur de Broadway et, évidemment, quelques orgies en after. Puisque la joie est de retour, pourquoi s’évertuer à parler politique et ne pas juste profiter du sable blanc ? “Je prends mes vacances très au sérieux, j’évite tout ce qui peut m’apporter du stress”, dit ainsi Justin Segovia, la petite trentaine, qui lève des fonds pour l’hôpital Mount Sinai à New York, et baigne le reste de l’année dans le militantisme. “Oui, je vois bien toute cette excitation autour de Kamala, je n’avais rien vu de tel depuis Obama. Mais il y a plein de points sur lesquels je ne suis pas d’accord, notamment sur Gaza. C’est sûrement égoïste de ma part, mais j’évite d’avoir des conversations désagréables. Cela dit, j’ai reçu une invitation pour une sex party dont les bénéfices sont reversés à la campagne Harris. Là, si je peux contribuer…”
“Vous savez, les gens ne viennent pas ici pour la politique”, sourit Andrew Tobias. Une phrase malicieuse quand on sait que Tobias, 52 étés à Fire Island au compteur, a été le trésorier du Parti démocrate pendant dix-sept ans, et qu’il a organisé toutes les levées de fonds officielles sur l’île. C’est lui d’ailleurs que l’on retrouve à la manœuvre, le 2 août, pour accueillir le mari de Kamala Harris, Doug Emhoff, encore inconnu du grand public, en compagnie de Chasten Buttigieg. À Fire Island, ce dernier, 35 ans, prof niveau collège, est une petite sommité : Chasten est l’époux de Pete Buttigieg, catapulté étoile montante du Parti démocrate lors de la primaire de 2020, remportée par Biden. Ce couple d’orateurs brillants a adopté des jumeaux et raconte sur les plateaux télé le quotidien banal de jeunes parents souvent dépassés par leur progéniture – une manière de normaliser les familles LGBTQIA+ auprès du grand public.
Le mari de Kamala Harris en guest-star
Si Chasten est déjà venu à Fire Island (l’histoire ne dit pas s’il était à la soirée sous-vêtements du vendredi), c’est lui qui anime ce jour une levée de fonds historique : les propriétaires de maisons à Fire Island, galvanisé·es à souhait par la candidature Harris et cette nouvelle génération de politicien·nes, se sont ainsi disputé les 200 entrées qui coûtaient entre 250 et 25 000 dollars (celles et ceux qui ont payé le plus cher se sont vu·es gratifié·es d’un bracelet vert fluo Charli XCX, évidemment). Au total, le duo Doug et Chasten a récolté 321 000 dollars en un après-midi, soit 121 000 dollars de plus que lorsque la diva Cher était venue faire campagne pour Hillary Clinton en 2016. Un record !
Au bord de la piscine d’une villa somptueuse, les deux hommes en bras de chemise et chaussures fermées – qui contrastent drôlement avec la nudité locale – rappellent les dangers qui guettent la communauté LGBTQIA+ et la démocratie américaine si Donald Trump venait à l’emporter. “Les décisions prises par les juges nommés par Trump s’attaquent non seulement à la liberté de disposer de votre corps, mais aussi à votre vie privée, a ainsi martelé Doug Emhoff, avocat de profession et peut-être futur premier First Gentleman des États-Unis si Kamala Harris est élue. La Cour Suprême veut revenir sur la décision Griswold vs. Connecticut qui autorise chacun à aimer et faire ce qu’il veut dans sa chambre à coucher. La bonne nouvelle, c’est que nous avons une alternative : ma femme !”
Après le débat, un ouf de soulagement
Le succès de ce meeting monté en quatrième vitesse a entraîné d’autres initiatives. Une flopée de cagnottes et de mèmes sur les réseaux sociaux, des soirées Coconuts for Kamala sur l’île mais aussi à New York quand les estivant·es, rentré·es au boulot, ont ramené cette nouvelle énergie en ville. Le 8 septembre, une nouvelle levée de fonds se tenait à Fire Island, du côté du village lesbien Cherry Grove. Un “Kamaluau”, contraction du nom de la candidate et du Lū’au hawaïen. Une fête superbe menée par la drag queen Brita Filter, évidemment passée par l’émission Ru Paul’s Drag Race et pilier démocrate que l’on retrouve dans toutes les conventions. “C’était génial, on a rassemblé plus d’une cinquantaine de personnes et levé environ 20 000 dollars, s’amuse encore Diane Romano, coprésidente de l’événement. J’ai 74 ans, j’en ai vu des choses, les gens ont toujours eu peur de la différence. Mais le 5 novembre 2024 sera l’élection la plus importante de ma vie.” Elle évoque au passage l’un des slogans de campagne de Harris : “On ne peut pas retourner en arrière, on s’est battus pour nos droits. Je ne les laisserai pas rentrer dans notre chambre à coucher. Il nous reste 57 jours et nous allons gagner.”
Deux jours plus tard, les résident·es de Fire Island se pressent à nouveau au Ice Palace pour regarder ensemble le premier débat Trump-Harris. L’espoir chevillé au corps, tous·tes exultent vite : Kamala Harris est à un doigt de l’uppercut… tout l’inverse d’un Trump erratique qui multiplie les erreurs et apparaît dépassé (“Avez-vous un plan de santé publique ?” “Non, mais j’ai le concept d’un plan”). Aucune question n’est posée sur les droits de la communauté LGBTQIA+, et la vice-présidente ne répond pas franchement aux questions économiques ou liées à la politique internationale. Mais sur l’avortement, et donc le droit de chacun·e à disposer de son propre corps, Kamala Harris assène les coups : “Donald Trump a lui-même choisi les juges pour révoquer le droit à l’avortement. Dans vingt États aujourd’hui, le personnel soignant risque la prison, même pour des soins sur des patientes victimes de viol ou d’inceste, argumente la candidate démocrate. Entendez-le bien : une personne qui survit à une violation de son propre corps ne peut plus décider de ce qui lui arrive. C’est immoral. Les Américains croient que leurs libertés fondamentales, particulièrement celles qui touchent à leur corps, ne devraient pas être l’affaire de l’État.”
Au Ice Palace, l’assemblée applaudit à tout rompre. Surtout, on souffle. “Heureusement que Joe Biden a renoncé, il nous fallait une candidate capable d’attaquer bille en tête Trump : qui de mieux qu’une procureure pour détruire ce criminel ?”, lâche Diane Romano, soulagée. Il n’y a pas que les résident·es de Fire Island qui se réjouissent. Au sortir du débat, la superstar Taylor Swift annonce soutenir Kamala Harris, “une leader talentueuse, calme et raisonnable”, qui “défend les droits LGBTQ+, la PMA, et le droit des femmes à disposer de leur corps”. Enthousiaste, Joey with the Mustache conclut : “Le Brat Summer est fini. Mais l’automne Kamala ne fait que commencer.” 



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Author : Mathilde Carton

Publish date : 2024-10-02 17:00:00

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