Elle a le cœur qui bat la chamade quand elle entre sur le plateau du théâtre pour interpréter le rôle de sa vie : La Voix humaine de Jean Cocteau. Elle a le corps qui tremble quand, après le tonnerre d’applaudissements, elle regagne sa loge où l’attend son metteur en scène qui sait comment sexuellement domestiquer ses angoisses. Puis, ignorante de ses adulateurs, elle traverse la nuit de Buenos Aires pour rejoindre son mari qui la trompe avec un amant qu’elle trouve vulgos et ignare.
Peu importe, c’est elle – elle a fait sa transition il y a longtemps et tout s’est bien passé – qui a voulu l’épouser pour pouvoir adopter un enfant. Ainsi débute ce texte envoûtant, fragile, cru de l’autrice des Vilaines (2019), Camila Sosa Villada, Histoire d’une domestication – diamant de la rentrée. En lisant Camila, nous sommes dans la tête, le cœur et la sexualité de son héroïne. Sa radicalité, son exigence de liberté viennent de son identité de personne trans. Ses douleurs, sa mélancolie aussi. Entre introspection lucide et fable onirique, Histoire d’une domestication parle de l’intérieur d’une identité choisie et non subie avec des accents de vérité inconnus jusqu’ici sur un sujet qui continue de diviser et d’effrayer certain es.
L’extrême droite à la manœuvre
Mais qui a donc peur des trans ? Et pourquoi ? Judith Butler, dans Qui a peur du genre ? qui vient de sortir et qui fera date, répond à la fois sociologiquement, historiquement et surtout politiquement. Celle qui conceptualisa le genre avec son essai Trouble dans le genre (1990, qui a révolutionné les études féministes) livre un opus magistral pour disséquer les peurs, quelquefois légitimes nous explique-t-elle, sur cette révolution, et surtout analyse à travers le monde – Grande-Bretagne, États-Unis, Italie notamment – comment des forces d’extrême droite peuvent instrumentaliser des consciences en s’appuyant sur des peurs construites de fin de civilisation car l’ordre patriarcal est menacé.
Après un été où des créateur·rices de tous genres ont été, après la cérémonie des JO, et sont toujours menacé es de mort, on peut se dire que le combat pour la reconnaissance des désirs, des genres, loin des assignations hétéronormées, ne fait que commencer.
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Author : Laure Adler
Publish date : 2024-10-04 07:00:00
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