On la croyait retraitée, goûtant un repos mérité après une vie passée à gratter des images frappantes et fantasmagoriques, à coucher sur papier des récits délirants dont on n’épuisera jamais les charmes ambigus de contes pour adultes. Légende vivante de l’illustration, Nicole Claveloux a en effet gratifié l’histoire de la bande dessinée de certaines de ses plus belles pages, que ce soit dans le magazine culte Métal hurlant (La Main Verte, Morte Saison) ou la trop éphémère revue féministe Ah ! Nana. Elle a aussi marqué l’imaginaire des enfants avec sa série Grabote, publiée dans le magazine jeunesse Okapi à partir des années 1970, ou touché à l’érotisme avec Confessions d’un monte-en-l’air en 2008. En quatre volumes d’une anthologie réunissant depuis 2019 ses histoires les plus mémorables, les éditions Cornélius ont permis aux nouvelles générations de découvrir une œuvre unique et géniale.
Entre Bosch et Carroll
Voir Nicole Claveloux revenir à la BD à plus de 80 ans, alors qu’elle a déjà à son actif une bibliographie labyrinthique, constitue donc une surprise miraculeuse. Et la Française, dès les premières pages de Ce soir, c’est cauchemar, prouve que son trait a gardé toute sa fantastique vigueur et sa capacité à dépeindre les créatures et les paysages les plus bizarres. Habituée à parcourir Les Chemins de l’étrange (pour reprendre le titre d’un de ses recueils), Nicole Claveloux montre qu’elle n’a pas encore épuisé son sens de la fantaisie.
Opposant cartésianisme et onirisme, l’intrigue de cette nouvelle BD pourrait être un résumé de son propre parcours. C’est d’ailleurs elle-même qu’elle représente dans la première case, endormie dans son lit et prête à partir pour le pays des songes. Justement, le secteur des rêves est l’objet d’une inspection menée par Charles Chaposec, responsable du département “logique et raison”. Le bureaucrate est emporté dans une suite de rêves conçus par Loïc Lalune, un bébé responsable de l’imagination, opérant sous l’autorité du chien Rébus qui s’exprime… par charades. En héritière de Jérôme Bosch (Le Jardin des délices) ou de Lewis Carroll, la dessinatrice livre une réflexion réjouissante sur la création portée par des cases ébouriffantes, des mises en abyme malicieuses et des couleurs stupéfiantes.
Ce soir, c’est cauchemar de Nicole Claveloux (Cornélius/“Solange”), 88 p., 24,50 €. En librairie.
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Author : Vincent Brunner
Publish date : 2024-10-04 06:00:00
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