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L’Arte Povera, un mouvement qui continue de vouloir transformer le monde

L’Arte Povera, un mouvement qui continue de vouloir transformer le monde



Faire d’une attitude une forme en soi, entremêler l’art et la vie, sortir de l’académisme de l’art, contourner les murs des musées, échapper au fétichisme de l’objet marchand, s’attacher à la vitalité d’une expérience, au monde déjà là, considérer la beauté de l’artisanat, en brodant ou en tissant, se libérer des forces déshumanisantes du consumérisme tout en reprenant “possession de la réalité”, selon la formule du critique Germano Celant, qui baptisa en 1967 le mouvement italien né à Turin et Rome… Tout ce qui fit la richesse de l’Arte Povera il y a plus de cinquante ans résonne fortement dans le monde de l’art actuel. Sa “pauvreté” revendiquée n’a jamais connu une cote aussi élevée qu’aujourd’hui.
Le nombre d’expositions récentes sur son histoire (au LaM de Villeneuve-d’Ascq sur Marisa Merz au printemps dernier, au musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne sur sa dimension performative en 2020…) est l’indice d’un engouement renouvelé pour ce mouvement, comme s’il disait quelque chose d’un élan vital vers des formes que la commissaire de la nouvelle et imposante exposition Arte Povera à la Bourse de commerce, Carolyn Christov-Bakargiev, qualifie de “terrestres, orientées sur une compréhension empirique et pratique de la vie”.
Une aventure collective
Historienne de l’art, spécialiste reconnue du mouvement, l’ancienne directrice du Castello di Rivoli de Turin (musée d’art contemporain majeur en Italie) cherche ici à retracer les origines, le développement et l’héritage de cette aventure collective, en mettant en miroir une cinquantaine d’œuvres issues de la collection Pinault et d’autres provenant de plusieurs collections publiques et privées. Plus de 250 œuvres sont ainsi rassemblées, dont celles des treize principaux·ales protagonistes du mouvement : Giovanni Anselmo, Alighiero Boetti, Pier Paolo Calzolari, Luciano Fabro, Jannis Kounellis, Mario Merz, Marisa Merz, Giulio Paolini, Pino Pascali, Giuseppe Penone, Michelangelo Pistoletto, Emilio Prini et Gilberto Zorio.
Aux côtés de pièces majeures du mouvement, le parcours fait place à quelques “précurseur·es”, chacun·e des treize artistes étant associé·e à une personnalité ou à un moment de l’histoire de l’art, à l’image de Giorgio De Chirico pour Paolini ou de la peinture d’icônes pour Marisa Merz. Dans les vitrines autour de la Rotonde, on se frotte aussi aux gestes de l’Internationale situationniste ou du groupe japonais Gutai, avec lesquels l’Arte Povera entretenait des correspondances secrètes, par-delà la seule cosmologie italienne.
“Revenir à l’essentiel”
Quant aux “successeur·es” de l’Arte Povera – David Hammons, Jimmie Durham, Theaster Gates, Pierre Huyghe, Adrián Villar Rojas, Renato Leotta, Agnieszka Kurant, Otobong Nkanga, D Harding –, ils et elles occupent aussi une place de choix dans le parcours. Une autre façon de rappeler l’héritage de l’Arte Povera, car tous·tes ces artistes contemporain·es s’intéressent “aux énergies primaires, à la métamorphose de la matière, à l’intersection de la nature, de la culture et de l’artificialité, et à une réduction phénoménologique de l’expérience du vivant”, explique Carolyn Christov-Bakargiev.
Invitée par Emma Lavigne, directrice générale de la collection Pinault, la commissaire estime ainsi que tout·e spectateur·rice peut, en (re)découvrant l’Arte Povera, apprendre à “revenir à l’essentiel” et comprendre “pourquoi la matière, la vie incarnée et les matériaux sont importants”, afin de ne pas céder aux sirènes des technologies opaques et abstraites.
L’artisanat réenchanté
Par l’utilisation de matériaux humbles (le charbon, la laine et le feu chez Kounellis, les arbres chez Penone, les feuilles de papier chez Boetti, la pierre chez Anselmo…) ou “urbains” (les tubes de néon chez Mario Merz, les miroirs chez Pistoletto, les blocs de ciment chez Boetti…), les artistes privilégiaient les gestes domestiques : plier des draps, lier des brindilles, tricoter, allumer un feu, assembler des blocs… Les techniques comme la broderie, la reliure, le tissage ou le soufflage du verre les rapprochent de l’artisanat, mais d’un artisanat réenchanté, reconsidéré à la mesure de sa puissance de feu, de son innocence ontologique.
À la fin des années 1960, alors que le pop art et l’art conceptuel dominaient encore le paysage, ces artistes italien·nes, proches des idées anarchistes, défendaient leurs interventions comme “une forme de pratique empirique plutôt qu’une philosophie abstraite”, suggère Carolyn Christov-Bakargiev. À l’image de l’installation de Pier Paolo Calzolari Senza titolo (Materassi) (1970) – six matelas couverts de tubes réfrigérants, le givre les transformant en êtres vivants –, de sa Casa ideale, conçue comme un espace à la fois mystique, physique et poétique, ou encore du chef-d’œuvre de Luciano Fabro Lo Spirato (1968-1973) – un gisant en marbre sous un linceul en train de disparaître au niveau du torse –, les artistes transformaient les objets du quotidien en tableaux vivants, en expériences spatio-temporelles, en sculptures performatives, en ce qu’Emma Lavigne nomme “des forces poétiques habitant l’espace et le temps”.
En plus d’honorer son foisonnement créatif et de le resituer dans son contexte historique de la fin des années 1960, la beauté de l’exposition de la Bourse de commerce se joue dans la façon de ne pas chercher à consacrer sa fin, comme si l’aventure de l’Arte Povera se prolongeait sans cesse dans le refus de séparer l’art de la vie, dans la poétisation du quotidien, dans la volonté de transformer le monde, plus encore que de le représenter.
Arte Povera à la Bourse de Commerce - Pinault Collection, Paris, du 9 octobre au 20 janvier 2025.



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Author : Jean-Marie Durand

Publish date : 2024-10-05 07:00:00

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