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“Combien de temps dure la vie ?” Cette controverse scientifique sur le point d’être résolue

L'espérance de vie des Américains a reculé en 2015, la première baisse depuis le pic de la crise du sida en 1993, selon un rapport des autorités sanitaires publié jeudi qui montre un net accroissement du taux de mortalité.




Qu’il a l’air triomphant, S. Jay Olshansky, assis comme ça, la tête enfoncée dans les bourrelets de son siège en molleton, du soleil plein les yeux. Un voisin tond la pelouse, et lui, tout sociologue qu’il est malgré ces faux airs de retraité en itinérance, parle de ses travaux académiques sans broncher. Comme si c’était là, de son jardin pavillonnaire en banlieue de Chicago, dans cette position, qu’il avait “résolu” l’une des principales controverses démographiques de ces trente dernières années.Le démographe américain, très réputé dans son domaine, a de quoi s’enorgueillir : il vient de publier ce lundi 7 octobre dans Nature Aging des nouveaux travaux où il réfute, chiffres à l’appui, l’hypothèse selon laquelle il serait possible d’étendre à l’infini la durée de vie moyenne humaine. Une idée d’apparence naïve mais très sérieusement débattue sur le plan scientifique : depuis les années 1990 de multiples expériences ont permis d’allonger l’espérance de vie de certains animaux de laboratoires, parfois jusqu’à la quadrupler. Beaucoup y ont vu le signe qu’il pourrait en être de même chez l’Homme.Depuis, deux camps quasiment irréconciliables s’affrontent : celui de la “vie limitée”, guidé par S. Jay Olshansky, pour qui l’organisme est “programmé génétiquement” pour dépérir et mourir. Et celui de la “longévité extensible” mené par James Vaupel, fondateur de l’Institut Max Planck de démographie (Allemagne), “sans-frontiériste” convaincu. La controverse n’a jamais vraiment dépassé le cadre scientifique, mais elle a donné lieu à de sérieuses disputes entre les deux chercheurs, en public comme en privé.De sérieuses disputesJames Vaupel est mort en 2022, avant qu’un consensus n’émerge. Mais l’étude de S. Jay Olshansky pourrait bien changer la donne : celle-ci observe un fort ralentissement de la croissance de l’espérance de vie depuis les années 1990, dans les huit pays les mieux lotis (Australie, France, Italie, Japon, Corée du Sud, Espagne, Suède et Suisse). Et ce, même si dans le même temps les principaux facteurs de risques de mourir se sont faits moins prégnants, et que la mortalité a baissé sur la période.En visioconférence, S. Jay Olshansky ne va pas jusqu’à parler de “victoire”, pudeur scientifique oblige. Il faut dire, aussi, que ses travaux ne constituent pas une preuve des limites intrinsèques de nos organismes – des observations biologiques sont nécessaires pour cela. Mais le coup porté à l’argumentaire de Vaupel n’en est pas moins important : hors cataclysme de type guerre mondiale ou épidémie, celui-ci pariait sur une poursuite infinie du rythme de hausse de l’espérance de vie atteint jusqu’à la fin des années 1990, de l’ordre de trois mois par an. Ce n’est pas ce qui a été observé dans la période la plus récente, où selon la publication de S. Jay Olshansky, les gains ont ralenti à moins de deux mois par an.Le vent était pourtant favorable. Pendant 150 ans, les progrès en matière d’espérance de vie dans les pays occidentaux ont été faits quasi exclusivement sur les enfants. On pensait alors qu’il n’était pas possible de faire vivre les adultes plus longtemps. Puis l’amélioration des conditions de vie depuis les années 1950 a fait sauter ce plafond de verre suscitant d’importants espoirs. Le nombre de centenaires s’est mis à doubler, d’abord dans les années 1960, puis tous les 10 ans, tandis que l’espérance de vie, elle, ne cessait de s’allonger à un rythme soutenu.Génération 2000, génération centenaire ?C’est sur ce boom que James Vaupel construit ses projections, publiées dans Science en 1998. Ses arguments font beaucoup de bruit à l’époque : que la plupart des gens puissent vivre jusqu’à 80, 90 ou 110 ans aurait d’immenses conséquences sociétales, sur les systèmes de retraites et d’assurance, ou encore sur le conservatisme, plus fort dans ces classes d’âge. Dans l’allégresse, James Vaupel se laisse alors aller à un pari : c’est sûr, dit-il, la moitié des personnes nées après 2000 vivront 100 ans.Là encore, les évolutions récentes semblent lui donner tort. “En l’état, les chances de survie après 100 ans ne devraient pas atteindre 15 % chez les femmes et 5 % chez les hommes” d’ici la fin du siècle, écrit S. Jay Olshansky, qui plus jeune a parié qu’aucun individu ne dépasserait jamais 150 ans. Une estimation cohérente avec d’autres travaux, publiés dans Nature et Journal of the American Statistical Assocation en 2016 et 2017. Ces derniers fixaient une limite théorique autour de 115 ans.Rien d’infranchissable tout de même : la Française Jeanne Calment est bien morte à 122, et d’autres supercentenaires battront sûrement ce record. Mais dépasser cet âge devrait rester l’exception, selon ces travaux. Pour des raisons essentiellement statistiques d’abord : “Aujourd’hui les morts avant 60 ans sont exceptionnelles. Des progrès peuvent être faits sur la mortalité des personnes plus âgées, mais ils ne seront que peu rentables”, détaille Jean-Marie Robine, directeur de recherche émérite à l’Inserm.Un plafond statistique, un autre, biologiqueFaire baisser la mortalité des plus de 70 et 80 ans n’a pas le même effet que sauver un nourrisson. Dans un cas, quelques années, s’ajoutent. Dans l’autre, toute une vie. Le premier ne fait avancer que très doucement l’espérance de vie, le second le fait bondir. Qui plus est, une deuxième limite se dessine : “Une fois qu’on aura éliminé les morts avant 80 ans, il restera à dépasser la fragilité intrinsèque qui s’installe à cet âge et rend vulnérable au moindre choc ou coup de froid”, poursuit le spécialiste.Pour l’expert, l’essentiel des progrès en matière d’espérance de vie a déjà été réalisé. Des innovations médicales pourraient tout de même repousser un peu ce plafond de verre : “Les médicaments anti-veillissement actuellement en développement pourraient faire gagner encore un peu de temps”, glisse Coleen T. Murphy, biologiste à l’université de Princeton, et découvreuse de nombreuses modifications génétiques permettant de gagner, en laboratoire, des années de vie. Peut-être ces remèdes seront-ils un jour suffisamment efficaces pour entraîner un nouveau bond de l’espérance de vie. Mais sur cette donne-là, aucun démographe ne s’est risqué à parier.



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Publish date : 2024-10-07 17:21:51

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