Rebecca Zlotowski (cinéaste, scénariste) — Quel a été ton premier choc esthétique ?
Luz — Sans hésiter, les pochettes des compilations ChangesOneBowie et ChangesTwoBowie que mon père avait achetées en soldes à Mammouth, l’ancêtre d’Auchan. Deux portraits plein pot de Bowie ! Sur l’une, il est en noir et blanc, l’index sur la lèvre comme soucieux, les cheveux lissés en arrière, très Delon, mais un Delon bi. Sur l’autre, il est en couleurs, souriant, regarde direct l’objectif, les yeux vairons éclatants, cheveux plus longs, plus débraillé, une clope à la main, l’air de dire : “C’était bien au lit tout à l’heure, nan ?” Ce jour-là, sans le savoir, je pense avoir été traversé par la charge sensuelle de Bowie.
Quelques années plus tard, j’ai voulu me tatouer sur le dos toutes les chansons présentes sur les deux disques, en miroir, pour que la puissance musicale du bonhomme me pousse à avancer. Et finalement non, les compils n’allaient que jusqu’à Ashes to Ashes, c’était réducteur… J’ai aussi longtemps fumé comme un pompier. Le premier vinyle que ma fille a acheté est Low de Bowie. Par chance, il n’y a pas de clope sur la pochette. Mais il se peut qu’un jour elle se teigne les cheveux en orange !
Miossec (musicien) — Depuis quand et pourquoi la moustache ? Y a-t-il eu un avant et un après dans ton dessin ?
J’ai longtemps voulu avoir de belles côtelettes sous les oreilles comme tu as eu parfois. Malheureusement, ma pilosité naturelle a toujours eu raison de cette ambition. Je me suis rabattu alors sur le look lénino-barbichu, jusqu’au jour, début 2000, où j’ai croisé la bande des éditions de BD Les Requins Marteaux. Outre Franky Baloney, la plupart arboraient avec fierté un bel appendice subnasal. En plus d’éditer des bouquins que j’adorais (le Super Negra de Winshluss), je les trouvais tous super-beaux. Déjà, la moustache de Cavanna m’intriguait, mais ce jour-là, je me suis rendu compte qu’avec on pouvait être classe tout en restant taré. En revenant à Paris, j’ai illico rasé la barbiche et suis devenu le Luz que tu connais. Et tu sais quoi ? Avec cette moustache, il y a vraiment eu un avant et un après dans mon travail. Mon trait est devenu plus assuré, plus élastique, plus chaloupé. Plus Moroder peut-être bien…
Nicky Doll (drag queen) — Dans Testosterror, un virus fait perdre leur virilité à des masculinistes. À défaut de testostérone, qu’est-ce qui selon vous fait un homme aujourd’hui ? Et si vous voulez faire une BD dont une drag est l’héroïne, je suis disponible !
La puissance physique, la rétention des émotions, la grosse bagnole, la gestion du barbecue, la taille de la bite et son endurance au lit, tout ça, j’ai l’impression que ça fabrique plus des cons que des hommes. Je cherche encore en moi la réponse à votre question, Nicky. Peut-être qu’un homme, un vrai, c’est quelqu’un qui n’a pas peur de se “tucker” [masquer les parties génitales masculines avec du ruban adhésif] pour envisager toutes les possibilités de sa personnalité. Vous m’apprendrez ? PS : Une collab Nicky Doll × Luz ? Death drop!
Nine Antico (autrice BD, réalisatrice) — Te considères-tu comme un artiste ?
Ça a mis du temps, mais aujourd’hui, oui, “artiste”, ça me définit pas mal. Mieux que “dessinateur” ? Je ne sais pas. Pas encore. À Charlie, s’affirmer artiste n’était pas forcément bien vu, sauf par Gébé. “Journaliste” oui, mais “artiste” non, trop snob. Alors qu’on était tous très exigeants graphiquement, c’était presque un gros mot. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi. Les croquis de concert m’ont libéré de ce carcan. Déjà, ils m’ont permis de sortir de l’aspect satirique, de faire des dessins “pour” plutôt que “contre”. Le dessin de live, tu connais bien ça, est un numéro d’équilibriste de maboule.
Il faut réussir à faire un croquis acceptable malgré la houle du public, la bière qui se renverse sur le carnet, les trous de cigarettes, les mecs bourrés qui veulent que tu les dessines, ton propre degré d’ébriété… Les dessins sont de plus en plus abstraits à mesure qu’avance le concert. Ce sont ceux-là les plus beaux et les plus pertinents. Si ton crobard est super-léché, c’est que tu t’es carrément fait chier. Tu te rappelles sans doute cette expo au Point Éphémère à Paris avec Erwann Terrier et nous deux. On avait agrandi nos croquis de concert en immenses affiches que nous avions collées avec pinceaux et seaux de glu. Nos crobards étaient sortis de nos carnets pour faire parfois plus que notre taille. D’un coup c’était eux qui nous regardaient. Devenir artiste, c’est peut-être se rendre compte que ton propre taf est plus grand que toi, qu’il peut même se permettre de te juger, l’enfoiré.
Virginie Despentes (autrice, réalisatrice, éditrice) — Quelle drag queen te fait le plus penser à Marilyn Monroe et pourquoi ?
Je suis certain que tu seras d’accord avec moi pour dire qu’il y a de cette Marilyn qu’on chérit tous les deux dans chaque drag queen : diva empowerment, fêlures assumées, humour rayonnant, craquages flamboyants… Perso, je reste toujours très fan d’Adore Delano, mais j’avoue que chaque apparition de Shea Couleé sur le runway de la saison 9 de RuPaul’s Drag Race m’a rendu aussi gagged que l’apparition en gare de Marilyn dans Certains l’aiment chaud.
Joann Sfar (auteur BD, réalisateur) — Que penses-tu des livres illustrés ? Est-ce encore des bandes dessinées ? Est-ce que c’est le même métier que du dessin de presse ?
Illustrations, affiches, bande dessinée, dessins de presse, estampes, comics ou mangas… pour moi c’est franchement la même chose. S’il y a un domaine où on peut s’épargner de mettre les gens dans des cases, c’est bien le dessin. Et si on ajoutait les coloristes ? Après des années à avoir les mains tachées d’encre noire, je me suis un peu collé au lavis délavé dans Deux Filles nues. Perso, ma coloriste préférée reste Elizabeth Breitweiser, qui a œuvré notamment sur Kill or Be Killed d’Ed Brubaker et Sean Phillips. Son travail est tout en numérique mais, putain, ça défonce autant qu’un dessin plein pot.
Fabrizio Moretti (musicien, batteur des Strokes) — La paternité a-t-elle changé ta manière de créer ? PS : Voudrais-tu un jour rebosser avec moi sur le “rouleau” ?
Un enfant, et pour peu que tu t’en occupes vraiment sans te défiler (comme pas mal de pères), ça a un super impact sur ton travail. Déjà, ça t’oblige à sortir de ton nombril, voire de la grotte artistique dans laquelle il est commode de se réfugier. Ça scinde ton cerveau en deux d’être attentif à une petite personne. Il y a autre chose : on ne sait jamais trop pourquoi on commence des livres mais, un jour, ils font sens. Après sa sortie, j’ai compris que Catharsis était moins un livre sur ma vie après les attentats qu’une longue lettre d’amour à ma femme Camille. Indélébiles, quand je l’ai relu chez mes parents, seul dans ma chambre d’ado, j’ai su que je l’avais fait pour clore le deuil de mes potes. Dans Testosterror, il y a la charge contre la masculinité toxique bien sûr, mais quand je me suis retrouvé dans la chambre de ma fille à le lire avec elle et à la voir se bidonner sur certains passages, je me suis dit que je l’avais fait aussi pour ce moment-là.
Peut-être que Deux Filles nues, elle le lira plus grande, seule dans sa chambre, et saisira les bouleversements de ce XXe siècle qu’elle n’aura pas connu. En tout cas, être père, c’est savoir qu’il y a quelqu’un de plus que tu aimes dans le monde, à qui tu peux te dévouer et dédier un peu de ton travail. Quant au “rouleau”, nous avions avec Fabrizio le projet, sous le nom de Fuzlab, de remplir un long rouleau de papier de cent mètres de long avec nos élucubrations graphiques. Il a été exposé inachevé en 2012 à la galerie Perrotin, mais les aléas de la vie nous ont empêchés de le finir. Bien sûr que j’aurais envie de le terminer avec toi ! On ne va pas laisser nos progénitures le faire à notre place. En tout cas, cette phrase, “Would you ever want to return to the scroll with me one day”, ferait une magnifique chanson pour les Strokes, si Julian [Casablancas] est ok !
Rubin Steiner (musicien, DJ) — T’habites à combien de kilomètres de Tours ?
Et toi, t’habites à combien de kilomètres de Pau ? Avec Rubin Steiner, on se connaît depuis Tours et tout jeunes, d’où les private jokes. J’ai été son prof de dessin : j’avais une gueule de bourge qui se cherche sexuellement et lui de skateur lubrique. Je me suis fait virer de mon poste de prof après qu’il a recouvert les murs du foyer Courteline de graffitis de pénis. Il a troqué le dessin pour la musique. C’est ce qui pouvait lui arriver de mieux. Et nous aussi. Sinon, on aurait dû se priver de ses DJ-sets endiablés et du morceau Girls que LCD [Soundsystem] aurait voulu lui piquer.
Louison (dessinatrice) — Pendant tous ces mois passés à croquer des nazis, que rêvais-tu de pouvoir dessiner ensuite ?
Fort heureusement, dans Deux Filles nues il n’y a pas seulement des nazis, même si ce sont eux qui manipulent, au propre comme au figuré, la toile d’Otto Mueller le plus souvent. Mes espaces de respiration étaient surtout de redessiner les œuvres que le tableau avait pu croiser lors de son périple. En particulier une toile d’Otto Dix, Kriegskrüppel [représentant des vétérans de la Première Guerre mondiale]. Il n’en subsiste qu’une trace photographique en noir et blanc, elle a été détruite par les nazis. La faire revivre en couleurs le temps de quelques cases a été une de mes petites vengeances scénaristiques. Cependant, une fois l’album terminé, je me suis mis à griffonner avec hystérie les aventures d’une samouraï de 15 ans fan de surf. Dessiner des sabres qui fendent l’écume, ça détend mais ça fout pas mal d’encre de chine sur les doigts. C’est peut-être le but, d’ailleurs.
Chloé Delaume (autrice, éditrice) — Est-ce que tu n’aimes toujours pas la chanson française ou as-tu été converti par la nouvelle génération, ce qui explique qu’il n’y a pas eu de suite ?
Je vous rassure, je n’ai toujours pas été converti à la pure chanson française. En 2007, quand j’ai sorti J’aime pas la chanson française, il y avait urgence : Delerm, Biolay et Benabar phagocytaient les ondes. Aujourd’hui qu’ils ont rejoint Brassens, Brel et Gainsbourg dans le registre des artistes patrimoniaux, on respire un peu. Ma fille de 9 ans m’a converti avec bonheur à Eddy de Pretto et à Orelsan. Mais quand elle réussit à m’imposer un Vianney, je pense à Ian Curtis qui se balance au bout de sa corde.
Bertrand Burgalat (musicien, producteur) — Tu sembles évoluer en lumière indirecte, comme Tomi Ungerer avec Otto – Autobiographie d’un ours en peluche [livre pour enfants qui raconte l’histoire de la peluche d’un petit garçon juif déporté]. Est-ce qu’il y a des choses que tu aimerais exprimer aujourd’hui mais qui passent difficilement par le dessin ?
Merci de citer le maître Ungerer ! À vrai dire, j’arrive à exprimer à peu près tout ce que je veux comme émotions intimes avec le dessin. Il y a toujours un personnage dans un coin de mes livres qui se dévoue pour porter le fardeau d’un bout de moi : deuil, incohérence, douce tristesse, folie dure… Excepté la colère. Peut-être que seule la musique pourrait me le permettre. Mais, comme tu le sais, j’ai mis de côté mon projet electropunk The Scribblers avec Kid Chocolat depuis 2015. Il y a quelque chose que je n’arrive absolument pas à dessiner, pourtant crucial de nos jours : l’habillage des réseaux sociaux. À chaque fois que j’essaie de dessiner un échange de tweets ou une vidéo TikTok, ça ne ressemble à rien. Je ne veux pas faire mon complotiste mais, à mon avis, c’est fait exprès pour emmerder les dessinateurs.
Camille Emmanuelle (autrice, journaliste) — Quand est-ce que l’on fait un livre ensemble ?
Ok, my love ! Brainstorm ! Un livre sur le sexe qui nous sauve ? T’as fait Sexpowerment ! Sur la musique qui nous sauve ? J’ai fait Alive! Sur les tourbillons post-attentats ? Catharsis et Ricochets, double check. Sur la déconstruction du fantasme viril ? J’ai sorti Testosterror l’année passée et tu sors cet automne Cucul, ta géniale satire autour de la dark romance… À force de travailler côte à côte, il y a toujours un bout de l’un dans le travail de l’autre et inversement. Et si on planchait sur une BD qui n’a aucun rapport avec nos sujets habituels ? Un livre de recettes de paninis au Nocciolata ? Un essai : Comment l’immo-porn a sauvé mon couple ? L’immo-porn, c’est le plaisir coupable de naviguer sur des sites immobiliers très luxueux. Ou on fait un thriller lesbien rural ?
Dominique A (musicien) — Question sérieuse, un peu bateau : penses-tu que la valeur d’un artiste réside en partie dans sa capacité à se renouveler ?
Réponse sérieuse du coup, à une question qui n’est pas du tout bateau pour moi. Quand j’étais gamin et que je lisais et faisais de petites BD, j’étais persuadé que mes personnages devaient être ultra-ressemblants de case en case, comme Astérix ou Tintin qui sont reconnaissables au moindre trait. Si mon perso n’était pas exactement le même, le dieu du dessin me pointerait du doigt : “Nul, nul, nul !” Heureusement, fréquenter quelqu’un comme Willem chaque semaine m’a décomplexé. Aucun de ses Chirac n’était le même, et pourtant, c’était bien du Willem. Il arrivait avec ses cahiers dans lesquels il collait des tronches d’hommes politiques découpées dans les journaux (c’était avant Google Images). Et effectivement, quand tu regardais bien, Chirac n’avait jamais la même gueule sur ces photos.
Il y avait cette angoisse que Cabu définissait en une phrase : “L’actualité se répète, il faut être meilleur qu’elle.” J’avais trouvé un écho dans la phrase de l’animateur radio John Peel à propos de mon groupe postpunk préféré,The Fall : “Always the same, always different.” C’est une assez bonne définition du monde qui nous entoure. Maintenant que je me concentre sur de (longues) BD, j’essaie de maintenir cette liberté. D’une case à l’autre, Vernon, Jean-Pat, les personnages réels ou fictifs de Deux Filles nues évoluent, se révolutionnent parfois. Il faut être aussi libre que ses personnages, on leur doit bien ça. Si un artiste prétend raconter la marche du monde, ça serait tellement dommage de se cantonner à un style, une forme. La remise en question est longue et douloureuse, mais on n’a pas le choix. On est comme le Convoi de ton morceau de 2012 que j’adore, on avance dans la poussière. Et on pisse à la raie du dieu du dessin.
Justice (musiciens) — Toutes tes prédictions en 2010 dans King of Klub se sont révélées vraies, que vois-tu pour notre retraite ?
On ne s’est pas vus depuis votre Zénith en 2012, quelle baffe, j’me rappelle, je n’avais jamais vu un public aussi hystéro se défonçant littéralement au son ! Aaah, King of Klub, ma série publiée dans Tsugi sur les élucubrations du couple David et Cathy Guetta. Sur une planète où on clonait les chanteurs, chanteuses et DJ pour alimenter des salles de concert géantes puis servir leurs dépouilles à la cantine des VIP ! Une BD bien barrée, dessinée à l’époque où je bouffais des ecstas comme des Smarties sur divers dancefloors. J’ai reçu une lettre de l’avocat des époux Guetta qui voulaient interdire la sortie du livre. Faut dire que David Guetta portait une moumoute et on le confondait avec Lady Di…
Finalement, cela aurait donné beaucoup de publicité à ce sommet du n’imp’, donc ils ont laissé tomber. À la fin du livre, Cosmic Winter vous oblige à faire une tournée de 2 000 ans sans pisser, ce qui, je crois, est effectivement en cours. Pour votre retraite, je vois un repos bien mérité à l’Ehpad Bob Sinclar avec de beaux DJ-sets galactiques en tête, et sur les genoux un chat nommé MDMA !
Philippe Katerine (musicien, acteur, réalisateur) — Bonjour mon Luz, j’aimerais beaucoup que tu nous parles de chiens. J’ai un souvenir ému de Puppy…
Merci, on me parle rarement de cette BD sans paroles et en noir et blanc, parue en 2017 chez Glénat, dans laquelle un chien revient à la vie et vaque dans la ville en zombie joueur. Pourtant, dans ma bibliographie, elle se cale entre Ô vous, frères humains, mon adaptation d’Albert Cohen, et Indélébiles, où je raconte mes années passées à Charlie Hebdo. Elle doit forcément être charnière de quelque chose. Je l’avais commencée vers 2013, en laissant libre cours à mon imagination après un reportage pour Libé sur le cimetière des chiens d’Asnières. J’étais revenu fasciné par le fantastique de cet endroit, ces jouets banals déposés sur le marbre comme sur autant de tombes d’enfants, cette émotion qui surnage.
Ce projet était en suspens après les attentats de 2015, mais il y avait une poésie de la solitude dans le personnage de Puppy que je trouvais d’autant plus intéressant d’explorer ensuite. Ce petit chien zombie m’a permis de traverser le temps ! Ma passion pour les chiens ne date pas d’hier. De mon livre pour enfants Quand deux chiens se rencontrent, où une centaine de chiens se reniflent le cul, à Champion, le véritable héros de Testosterror, je ne me lasse jamais de dessiner leurs regards bourrés d’ocytocine, leurs papattes poilues et leurs incohérences domestiques. Au contraire des chats et leurs suffisances snobinardes. Le chien, c’est un peu nous tous. Le chat, c’est Macron.
Junji Itō (mangaka) — Puppy, le chien qui sort de sa tombe, a des mouvements très dynamiques. Est-ce que vous avez déjà fait de l’animation ?
Cher Junji Itō, j’ai découvert votre travail il y a quelques années avec Gyo et ses terrifiants poissons qui marchent. Depuis, comme avec Stephen King, votre manière de malaxer l’horreur me permet de faire face à celle que j’ai croisée et croise encore dans ma tête. À part quelques flipbooks pour ma femme ou les copains, je n’ai pas encore pratiqué l’animation. Ça pourrait me plaire car j’ai autant l’obsession du mouvement que de la composition. Mais il paraît que ça prend un temps fou, qu’il faut diriger des équipes, prendre des décisions pour les autres, tout le contraire du paisible (mais torturé) travail de dessinateur solitaire.
PS : Je porte un pin’s Tomie pour la séance photo.
Urbs (dessinateur) — C’est quoi les disques de musique dégénérée qu’il faut avoir ?
Ça fait longtemps que je n’ai pas passé de disques, mais je donnerais juste ce conseil d’ex-DJ : le morceau qui fait fuir les gens du dancefloor est tout aussi important que celui qui les y fait venir. Alors je dirais, un peu en vrac : le Lumpy Gravy de Zappa et ses collages barrés, Maggot Brain de Funkadelic, sexuellement décadent, le String Quartet II de Morton Feldman, parce que cinq heures de stridence ça détend, le Get Out du regretté Pita, du “khrwouijjkkrichh” dans lequel j’aimerais bien être enterré. Et Yoko Ono, tout Yoko Ono, parce que de tous les Beatles, c’était quand même elle la meilleure. S’il ne faut écouter qu’un seul album, jette-toi sur Rising de 1995.
Benoît Delépine (acteur, réalisateur) — En quelques conseils d’ami, comment rester l’esprit léger dans une atmosphère pesante ?
Dans “L’Homme saturé”, une nouvelle géniale de l’auteur de science-fiction J. G. Ballard datant de 1961, le personnage principal cherche la paix en société en s’entraînant à faire disparaître toutes les informations qui l’entourent – nom, fonction et sens des objets, des gens – jusqu’à l’abstraction totale. Perso, quand je me fais chier dans une soirée, je transforme mentalement tous les gens autour de moi en personnages de Charb. Ça marche super-bien, d’autant que personne ne vient emmerder un type qui ricane tout seul. Sinon, Benoît, commercialisons une balle antistress avec la tête d’Éric Ciotti, ça pourrait faire un carton.
Catherine Meurisse (autrice BD, dessinatrice) — Après avoir vu à travers les yeux d’un tableau, d’un disquaire, de femmes, de chiens, quels corps ou quelle matière rêverais-tu d’intégrer ?
Ce sont un peu mes questionnements de maintenant. J’ai décidé de faire une longue pause de dessin – deux ans –pour réfléchir à l’avenir. En ce moment, je lis un manga du début des années 2000, Ki-Itchi !! de Hideki Arai, où un gamin un peu mutique explose parfois de colère. J’aimerais aussi trouver un personnage principal en rogne, pour faire l’expérience de cette colère que je n’arrive pas à sortir de moi. Même si certains personnages de Vernon Subutex me l’autorisaient, je n’y arrive pas entièrement. Sinon, j’aimerais bien me glisser dans la peau du bonhomme qui joue de la flûte avec les narines sur ton affiche pour un spectacle du Lido, A Funny Thing Happened on the Way to the Forum. Ou me réincarner dans le bois de sa flûte.
Source link : https://www.lesinrocks.com/livres/du-dessin-des-poils-des-chiens-des-drags-luz-interviewe-par-19-artistes-629699-09-10-2024/
Author : Vincent Brunner
Publish date : 2024-10-09 17:00:00
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