MondialNews

Pourquoi le festival de Hyères demeure-t-il un espace de liberté créative unique ?

Pourquoi le festival de Hyères demeure-t-il un espace de liberté créative unique ?



Perché sur la colline de Castéou, un château cubiste avant-gardiste, créé en 1923 par Robert Mallet-Stevens, attire désormais tout Paris à la fin de l’été. La Villa Noailles est, depuis 101 ans, un vivier artistique, accueillant des créateur·ices venu·es d’horizons divers qui, à travers leurs pratiques, bouleversent les conventions établies. Sous l’œil bienveillant de Marie-Laure et Charles de Noailles, des figures emblématiques telles que Giacometti, Cocteau ou Man Ray ont marqué cet espace, entre festivités et créations. Une effervescence artistique qui perdure encore aujourd’hui grâce au festival initié en 1984 par Jean-Pierre Blanc. Mais cette liberté n’est-elle qu’une évasion passagère avant le retour à une industrie vorace ?

“Impossible de trouver une telle liberté à Paris”, confirme Gabriel Figueiredo, fondateur de la maison genderfluid De Pino, qui a présenté un premier défilé en hommage aux codes de la mode en juillet dernier. Plutôt que des vêtements, il choisit ici de dévoiler des sculptures textiles empreintes de surréalisme, réalisées avec l’artiste reconnu pour ses dessins, Rémi Calmont. Durant plusieurs semaines à la Villa, il a redécouvert le luxe du temps, un privilège rare dans la frénésie contemporaine. “C’est un privilège”, insiste-t-il. Marvin M’Toumo, également en résidence cet été, a quant à lui, profité de ce cadre paisible pour faire le point sur les quatre années écoulées depuis son prix Chloé à Hyères en 2020, et il présentera l’exposition Dame Oiseau. “Le rythme n’est pas le même ici. D’un coup, on a à nouveau du temps pour la recherche créative”, explique-t-il. Il décrit lui aussi un espace où l’interdisciplinarité, la complexité et l’abstraction sont respectées et encouragées. Tous deux ont profité de ce moment pour explorer les savoir-faire et interroger leur pratique.

Ouatine et surréalisme

Chaussures à talons, homards ou notes de musique géantes perchées sur le toit de la Villa : ces symboles emblématiques du surréalisme sont ici réinterprétés à travers la ouatine, un matériau habituellement caché à l’intérieur des vêtements pour les rembourrer. Mais à la Villa Noailles, ce qui est traditionnellement dissimulé devient l’essence même des œuvres, en l’occurrence des sculptures textiles que Figueiredo et Calmont ont imaginées en hommage aux artistes surréalistes qui ont fréquenté ces lieux.

“Plus que leur mécénat, c’est leur envie de créer, de s’amuser, cette joie de vivre en somme, que nous voulions célébrer”, expliquent-ils, inspirés par une exposition dédiée à Marie-Laure et Charles de Noailles. Pour Figueiredo, cet été à Hyères a marqué un tournant. Bien que la création de collections soit au cœur de son activité, le travail sur ces sculptures l’a poussé à sortir de sa zone de confort. “J’ai adoré apprendre de nouvelles techniques. Cela ouvre des perspectives que je n’imaginais même pas pour ma marque”. Et si cette expérience à la Villa Noailles n’était finalement qu’un prétexte pour repenser la mode autrement ?

View this post on Instagram A post shared by villa Noailles (@villanoailles)

Coquille d’œuf et plume

La définition de la mode est, par essence, plurielle et ne saurait être dissociée de l’image, comme l’illustre le travail hybride de Marvin M’Toumo, qui, depuis quatre ans, articule vidéo, performance, écriture et théâtre à sa pratique de la mode. Plumes, accessoires en coquille d’œuf, seins coniques ressemblant parfois à des becs d’oie : les oiseaux sont au cœur de son univers, qu’il décrit comme des animaux aux symboles multiples et antagonistes selon les cultures. “Prendre les oiseaux comme point de départ m’a invité à explorer des savoir-faire en dehors de ce que font les maisons de haute couture parisiennes – comme la plumasserie chez les Aztèques, en Nouvelle-Zélande, ou chez les Kanaks. J’ai développé ma propre technique en observant le plumage de plusieurs espèces.”

© Matthieu Croizier

Ornithologue de la mode, il présentera une série de robes opalines portées lors de ses défilés-spectacles Concours de Larmes et Rectum Crocodile, telles des carcasses, chacune ayant un nom, une âme. Au sol, certaines ressemblent à des nids, mais une fois déployées, elles évoquent parfois des pièces de couture de la fin du XIXe siècle. Les robes de M’Toumo échappent à toute catégorisation et définition. Portées, usées, tachées : certaines pièces sont déplumées, des boucles d’oreilles en coquille d’œuf fissurées, comme une critique de la quête constante de nouveauté qui imprègne l’industrie de la mode.

© Pauline Scotto Di Cesare

À côté des Dames Oiseaux, plusieurs éléments de la carrière de Marvin apparaissent, comme les images d’une collection d’éventails haute couture réalisée avec l’atelier Lognon de la maison Chanel et la maison d’éventails Duvelleroy. “Le prix reçu en 2020 à Hyères m’a ouvert de nombreuses portes. Dès le lendemain de ma victoire, j’ai été contacté par la maison Jean-Paul Gaultier, puis par le ballet de Guillaume Hulot à l’opéra de Hanovre”, souligne-t-il.

En échappant aux définitions et en proposant des pratiques qui ne rentrent pas dans les rubriques mode des magazines classiques, Gabriel Figueiredo et Marvin M’Toumo imaginent une autre mode, soutenus par la Villa Noailles, et que l’on espère bientôt entendus par Paris.



Source link : https://www.lesinrocks.com/ou-est-le-cool/pourquoi-le-festival-de-hyeres-demeure-t-il-un-espace-de-liberte-creative-unique-631427-11-10-2024/

Author : Manon Renault

Publish date : 2024-10-11 14:46:05

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Exit mobile version