C’est un spot publicitaire inconnu en France mais qui, aux Etats-Unis, en a amusé plus d’un. Donald Trump, à genoux, cirant les chaussures du comédien Larry Hagman alias “JR” Ewing, le méchant baron du pétrole de la série Dallas. C’était en 2012, quatre ans avant l’élection du candidat républicain à la Maison-Blanche, dans un clip promo diffusé à l’occasion du reboot du mythique feuilleton des années 1980 ? Riches, cupides, volages, un certain franc-parler… JR et le milliardaire new-yorkais ont bien des choses en commun. Comme JR, Trump a survécu à une tentative d’assassinat (deux, dans le cas de JR). Comme lui, il est l’un des deux visages que l’Amérique adore détester.A la différence de Larry Hagman, décédé en 2012, Donald Trump n’est pas né au Texas. Mais il y est un peu comme chez lui… Dans le comté très rural de Collin, bastion républicain situé à 40 kilomètres au nord-est de Dallas où se trouve le ranch Southfork de la famille Ewing, 56,2 % des électeurs ont en effet glissé un bulletin Trump face à Clinton en 2016. Quatre ans plus tard, malgré une nette baisse, ils étaient encore 51,4 % à lui apporter leur confiance face à Biden. Et en 2024 ?On ne dispose pas de sondages pour le seul comté de Collin mais selon plusieurs indicateurs (dans la ville de Dallas, les démocrates ont largement l’avantage), Donald Trump pourrait perdre sa couronne de roi du pétrole. D’abord, entre la présidentielle de 2012 (Mitt Romney était le candidat républicain) et celle de 2020, les conservateurs ont vu leur avance sur les démocrates fondre comme neige au soleil (95 000 votes d’avance en 2012, 60 000 en 2016, 22 000 il y a quatre ans). Une érosion qui s’explique notamment par le boom démographique : “Au cours des dix dernières années, le comté de Collin est passé de 700 000 habitants à environ 1,2 million”, pointe le politologue Joshua Blank, directeur de recherche du Texas Politics Project à l’université du Texas à Austin.”Trump ne pense pas toujours ce qu’il dit”Pourquoi un tel essor ? L’attractivité économique de Dallas, devenue trop chère pour s’y loger, pousse une partie de la population qui y travaille à s’installer dans les zones alentour, dont le comté de Collin, devenu une sorte de satellite. Historiquement très “blanc”, ce territoire a ainsi vu arriver au fil des années une nouvelle population active aux profils variés. En grande partie des Asiatiques – “des personnes avec un niveau d’éducation très élevé” souligne Joshua Blank – qui représentent désormais 18 % des habitants, devant les Hispaniques (16 %). Or, les Américains d’origine asiatique penchent généralement pour le parti démocrate, même si ce soutien semble s’éroder depuis quelques années.Visiter Southfork ramène les gens à cette époque où la vie était un peu plus simple pour tout le mondeAu ranch Southfork, que nous visitons un dimanche de septembre sous un soleil implacable, pas d’Américains d’origine asiatique, mais des locaux de longue date. A commencer par les employés de cette vaste étendue de terre mi-ranch mi-“musée”, lieu de pèlerinage pour les plus nostalgiques de la série. “Je suis surprise de voir combien de visiteurs viennent encore ici, pas seulement des Américains, mais des gens du monde entier”, s’extasie Katherine*, guide touristique de ce temple du kitsch où les costumes portés par les personnages côtoient des interviews filmées de l’époque et des vieux scripts gribouillés au crayon. “Avec le chaos et la haine qu’on observe tous autour de nous aujourd’hui, visiter Southfork ramène les gens à cette époque où la vie était un peu plus simple pour tout le monde”, analyse cette native de Dallas à l’accent du Sud bien marqué. Après avoir longtemps voté démocrate, cette sexagénaireglissera un bulletin Trump.Malgré les dérapages ? “Il dit parfois des choses qu’il ne devrait pas. Mais je crois qu’il ne pense pas toujours ce qu’il dit. C’est souvent mal interprété”, balaie la Texane. Laquelle place la question du pouvoir d’achat au cœur de ses préoccupations : “Je n’aime pas la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Il est difficile pour les gens ordinaires de gagner leur vie. Bien sûr, cela s’est aggravé il y a environ quatre ans avec la pandémie et tout le reste, mais je pense que nous étions dans une meilleure situation économique dans les années 1980 qu’aujourd’hui.”Le ranch Southfork près de Dallas, qui a servi de tournage (en extérieur) à la série.Un nouveau mandat de Trump ? “Je ne comprends même pas comment il a pu être élu la première fois”, fulmine Jim, fervent démocrate, venu tout droit du Kansas pour visiter le ranch des Ewing en compagnie de son épouse Susan. Et pourtant, au niveau national, 46 % des électeurs environ pourraient retenter l’expérience Trump : “Si vous être prêt à soutenir un homme qui n’a pas de programme, pas de vision pour l’Amérique et qui ne cherche qu’à s’enrichir, c’est révélateur de votre personnalité”, lâche ce retraité, un brin dépité. Tout aussi épris de justice que Bobby, son personnage préféré dans la série (le gentil de la fratrie Ewing), Jim plaide pour une meilleure redistribution des revenus : “Aujourd’hui, le système favorise trop les ultra-riches. Si nous ne rééquilibrons pas cela, il y a un réel danger que la classe moyenne dont nous faisons partie disparaisse.” C’est donc en toute logique qu’il votera pour Kamala Harris, même si ce curieux de nature – “Dites-moi, vous qui habitez en France, est-ce que le Paris des Jeux olympiques qu’on a vu à la télévision était une version édulcorée ?” – n’est “pas encore vraiment convaincu” par la candidate démocrate.Car si l’ex-président est un repoussoir pour beaucoup, Kamala Harris n’est pas pour autant un aimant à électeurs. Plutôt un choix par défaut. Ainsi, Isabella, 18 ans, votera pour la première fois le 5 novembre prochain, avant tout pour éviter l’élection de Trump : “Nous avons besoin d’un président qui soit plus pondéré” – mais aussi pour défendre le droit à l’avortement. Sa mère, fervente catholique et républicaine, ne votera pas cette fois-ci pour Donald Trump, qu’elle “n’aime pas”, mais ne soutiendra pas non plus Kamala Harris. Impossible d’apporter sa voix à une candidate favorable au droit à l’avortement. “Pas Trump !”, c’est en ces termes négatifs que Deborah, onze ans de service au ranch de Southfork, nous confie implicitement qu’elle votera démocrate. Un brin désabusée par l’offre politique. “De nos jours, les hommes politiques passent leur temps à se dénigrer les uns les autres, mais qu’est-ce qu’ils veulent vraiment faire ?”, s’interroge cette Texane d’adoption, qui se définit comme “libertaire” et “neutre” : “C’est plus sûr ainsi”, lâche-t-elle dans un éclat de rire.”JR et Trump, le genre de milliardaires dont raffolent les ouvriers”S’il est facile d’imaginer que le très misogyne et manipulateur JR Ewing – “Ne dites jamais la vérité quand un bon mensonge suffit” –n’aurait jamais glissé un bulletin Harris dans l’urne, qu’en est-il de sa femme Sue Ellen, trompée à longueur de journée ? “Je pense qu’en tant qu’épouse de JR, elle se serait probablement rendue aux collectes de fonds et aurait voté républicain”, imagine Max Marshall, auteur du formidable récit “Dallas à 40 ans : l’histoire de la série qui a changé le Texas à jamais” publié en 2018 dans le magazine Texas Monthly. Selon le journaliste texan, la série Dallas a contribué à casser deux stéréotypes ancrés dans la culture américaine : d’une part, avoir effacé l’image d’une ville longtemps associée à l’assassinat de JFK – “La série a fait passer Dallas de la ville de la haine à la ville de la cupidité” –, d’autre part, avoir tiré un trait sur l’image du milliardaire nécessairement philanthrope qui a longtemps prévalu aux Etats-Unis : “Avec JR, les riches se sont enfin sentis libres de faire étalage de leur richesse en disant ‘regardez comment je peux enfreindre les règles sans être inquiété’.”JR, Donald Trump, deux milliardaires sulfureux à l’avidité assumée qui ont émergé à la même époque : les clinquantes années Reagan. Deux figures appréciées de l’Américain “moyen”, selon Max Marshall, et ce pour la même raison : “Les ennemis que JR Ewing détruisait dans la série avec un sourire ironique étaient souvent des patrons suffisants, faisant partie de l’establishment. Pour l’ouvrier, JR était donc le fantasme de ce méchant qui travaille en votre nom pour démolir les gens que vous aimeriez voir tomber. C’est pareil avec Trump, décrit le journaliste. D’ailleurs, les progressistes oublient à quel point ils ont aimé voir Trump s’en prendre à Jeb Bush, Ted Cruz ou encore Marco Rubio pendant les primaires de 2016. Puis une fois qu’il a commencé à retourner ses attaques contre eux, les démocrates ont commencé à voir en lui l’archétype du méchant.”A l’intérieur du musée, les photos des acteurs principaux de la série Dallas. Le vote ouvrier, meilleur espoir du candidat républicain pour l’emporter le 5 novembre prochain ? Harry Enten, journaliste spécialiste des données chez CNN, lançait un pavé dans la mare le 30 septembre dernier : “Donald Trump bénéficie du soutien de la classe ouvrière le plus important de tous les candidats républicains à la présidence depuis une génération.” Dallas, ton univers reste impitoyable.* Le prénom a été modifié.
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Author : Laurent Berbon
Publish date : 2024-10-12 05:30:00
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