Sorour Darabi est, quelque part, un artiste en mutation. Que ce soit de son propre corps ou par la forme de ses performances, il emprunte des chemins de traverse. Après une série de solos – tel le troublant Farci·e –, il ose enfin la pièce de groupe sous la forme d’un opéra de poche queer. On pourra dire que sa création, Mille et Une Nuits, se joue du fameux recueil de contes comme de nos attentes.
C’est d’ailleurs dans la pénombre que la pièce s’ouvrait lors de sa présentation au dernier festival Montpellier Danse, cet été. Déambulation nocturne où chaque pas, des interprètes comme du public, est compté, cet opus tient à distance tout exotisme. Sorour Darabi voit en Shéhérazade “l’héroïne que beaucoup voudraient être, y compris une grande partie des personnes fem et transféminines”.
Un ballet sensoriel et sensuel
Dès lors, comment traduire cette transformation au plateau ? La première belle idée plastique repose sur des blocs de glace suspendus. De leur fonte, s’écoulant en flaques, Alicia Zaton, la scénographe, tire des “miroirs” à même le sol – une manière de diffracter les images des corps. Il y a celui de Darabi, fluide, ou d’Aimilios Arapoglou, danseur vu aux côtés de Damien Jalet. Ils deviennent des créatures lascives et quasi éphémères dans les jeux de lumière imaginés par Shaly López et Dani Paiva de Miranda.
Mille et Une Nuits mue plus d’une fois, sexuel et rêveur, insaisissable surtout. Il faudrait se déplacer autour des artistes – le dispositif se veut quadri-frontal, et donc ouvert – pour apprécier les facettes de cette pierre précieuse, un ballet d’atmosphère aux (grands) airs, volute sonore chargée du son de la harpe ou de la basse. Il y a des voix, des poèmes de Sorour même, des rumeurs en guise de bande-son. Une expérience sensorielle qui demanderait à être quelque peu resserrée. Mais l’œuvre de Sorour Darabi ne s’impose pas de limites.
Conter l’intime
Plus que l’écriture du geste, c’est la métamorphose des genres que le regard tente de saisir. Loin des codes surannés de l’opéra, essentiellement hétérosexuels, Sorour Darabi puise dans ce registre musical et dramatique matière à détourner sa nature. Ses Mille et Une Nuits se veulent émancipation et “porte-parole d’esthétiques et de modes de pensée différents, visant à construire un autre rapport au monde”. La superbe partition imaginée par le duo Pablo Altar et Florian Le Prisé prend dès lors des allures de (com)plaintes pas si éloignées d’un Sexual Healing. Souffle, râle, nappes, boucles, les nuits Darabi sont plus belles que les jours.
Installé depuis une douzaine d’années en Europe, l’Iranien Sorour Darabi tisse de création en création un répertoire fragile fait de questionnements. Qu’il s’intéresse aux cérémonies chiites de deuil ou à la fonction du langage, ce créateur ne cesse d’interroger l’intime. Et d’une certaine façon le politique. Mille et Une Nuits, sous ses airs de conte venimeux, est tout autant un hymne au désir. Shéhérazade ainsi réinventée est de toutes les saisons.
Mille et Une Nuits, chorégraphie, conception, textes et direction artistique Sorour Darabi, avec Aimilios Arapoglou, Li-Yun Hu, Felipe Faria, Lara Chanel. Au Pavillon Villette, Paris, dans le cadre du Festival d’Automne, du 16 au 19 octobre.
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Author : Philippe Noisette
Publish date : 2024-10-12 06:00:00
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