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Antisémitisme : pourquoi le mal réside d’abord dans le mot, par Christophe Donner

Rassemblement contre l'antisémitisme après le viol d'une enfant juive de 12 ans, le 19 juin 2024 à Paris




Pour en finir avec l’antisémitisme, il faudrait commencer par supprimer le mot. Ça n’est pas une blague juive. Ça n’est pas la version douloureuse de l’œuf qui fait la poule. Si on pense, comme moi, que les mots ont une certaine importance, qu’ils jouent un rôle non négligeable dans la structure de la pensée, un rôle bénéfique la plupart du temps, mais dans le cas de ce mot antisémite et de son dérivé antisémitisme, il joue un rôle maléfique. Il est d’ailleurs aujourd’hui utilisé comme insulte, à tort et travers, ce qui est logique puisque c’est un mot tordu, fautif et pervers. Une sorte de couteau sans manche fabriqué par l’intellectuel autrichien Moritz Steinschneider en 1860 qui voulut avec ce mot “antisemitische” dénoncer les thèses de l’intellectuel français Ernest Renan qui, dans son Histoire générale des langues sémitiques, parue en 1855, s’en prenait grossièrement aux prétendues tares des peuples de langues sémites, à l’exception très paradoxale de l’hébreu et des juifs qui le parlent pour lesquels il avait la plus grande admiration ; “l’esprit sémitique est surtout représenté par l’islam”, écrivait-il. Allons bon.Le mot “antisemitische” n’intéresse pas grand monde, dès lors qu’il ne concerne pas les juifs. Jusqu’à ce qu’un petit journaliste français, Edouard Drumont, à la recherche d’un scandale qui le rendrait célèbre, s’empare du mot, le traduise en français – “antisémite” – et réussisse cet exploit d’en faire, en 1886, le synonyme d’antijuifs. Ce n’est plus un glissement sémantique, c’est un effondrement. Drumont déteste viscéralement les juifs, son best-seller, La France juive, paru cette année-là, en témoigne. La question est : pourquoi Drumont est-il allé chercher ce contresens pour dire sa haine des juifs ?Sans doute parce que dans la France d’alors, coloniale en diable, le mot juif n’est pas aussi méprisable que le sémite qui recèle non plus une idée de langue, de religion, de région ou de peuple, mais de race. Et généralement, quand on parle de race, c’est pour les classer, les races inférieures, les races supérieures. Les sémites de Drumont, c’est la race inférieure, celle des juifs. Le mot est lancé, son effet est magique : l’ignorance mène à la peur qui engendre la haine. Heureusement, les antisémites sont là pour nous défendre contre l’invasion programmée de cette race, et résister au grand remplacement des Français aryens par cette sale race de sémites.Un mot qui empoisonne le langageLa simplicité de l’opération serait risible si le mot antisémite ne se voyait pas adopté, comme par inadvertance, par ceux qui ne sont pas antijuifs et ne veulent pas l’être et, plus désastreux, par les juifs eux-mêmes. En protestant contre l’antisémitisme, tous avalisent le terme censé les désigner comme une race. Pour couronner le tout, les non-juifs qui se défendent d’être antijuifs se voient qualifiés de philosémites.Cette saleté de mot n’a pas fini d’empoisonner le langage, et toujours pour le plus grand profit des antijuifs qui se débarrassent par la même occasion du terme de judéophobes qu’ils récusent. Avec Le Testament d’un antisémite et Les Juifs contre la France, Drumont achève de fixer dans le langage courant le terme d’antisémitisme comme un combat contre une race inférieure, dégénérée et dangereuse.Supprimer ce mot antisémite n’empêcherait pas Poutine de traiter Zelensky d’antisémite, n’empêcherait pas Netanyahou de croire qu’en assassinant des milliers d’enfants à Gaza, il élimine des antisémites, supprimer ce mot ne réglerait pas la “question juive”, ça la replacerait au cœur de la chose : il serait enfin question des relations entre les juifs et les non-juifs. Alors Amos Gitaï pourrait continuer à mettre en scène des pièces de théâtre et des films dans lesquels il demande aux Palestiniens et aux Israéliens “à qui est cette maison ?” sans craindre d’être censuré, menacé. Et Piero Usberti pourrait continuer de filmer son Voyage à Gaza qui sort dans quinze jours et qu’il faut voir quoiqu’il en coûte de chagrin.



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Author : Christophe Donner

Publish date : 2024-10-16 15:46:37

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Tags :L’Express

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