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Manifestations d’agriculteurs : les élections syndicales, enjeu caché de la colère

Manifestation d'agriculteurs à Auch, dans le Gers, le 18 novembre 2024




En matière sociale, l’évolution d’un conflit tient parfois moins aux revendications officielles qu’aux surenchères entre organisations syndicales. La mobilisation agricole lancée ce lundi 18 novembre risque fort de ne pas déroger à cette règle. Certes, elle vise avant tout à mettre en garde le gouvernement Barnier contre l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur. Et à lui exprimer toute l’inquiétude du monde paysan un an après les manifestations et blocages du début de 2024, alors que les promesses faites par le pouvoir n’ont pas toutes été tenues et que la situation s’est encore dégradée en raison des mauvaises récoltes et des différentes maladies qui touchent les élevages. Mais l’ampleur de la “colère paysanne” sera aussi fonction d’une autre échéance passée inaperçue mais déterminante : les élections professionnelles pour les chambres d’agriculture qui doivent se tenir d’ici à la fin du mois de janvier 2025.Ce scrutin, qui se tient tous les six ans, dessine les équilibres politiques entre les différentes organisations syndicales. Il détermine qui seront les interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics à tous les niveaux, à l’échelon local comme national. Il définit aussi le montant des subventions versées aux uns et aux autres. Autant d’enjeux qui conduisent la FNSEA, les Jeunes agriculteurs (JA), la Coordination rurale et la Confédération paysanne à être particulièrement attentives aux desiderata de leurs adhérents et aux colères venues du terrain. Pas question, en effet, dans ce contexte, d’apparaître moins allant que les concurrents et de risquer de perdre de précieuses voix. Chacun joue sa partition, en tentant de se distinguer des autres.Le mode de scrutin favorise le premier arrivé Lors du dernier vote, en 2019, la FNSEA, qui présente toujours une liste commune avec les Jeunes agriculteurs, avait emporté une large majorité (55 %). Derrière elle : la Coordination rurale (21,5 %) plutôt classée à droite, la Confédération paysanne, plutôt à gauche (20 %), puis le très minoritaire Modef (1,3 %). Mais le mode de scrutin favorise le premier arrivé puisqu’il remporte la moitié des sièges, l’autre moitié étant répartie à la proportionnelle. Conséquence, la FNSEA, très présente sur l’ensemble du territoire, domine la quasi-totalité des chambres d’agriculture. En France métropolitaine, elle en dirige 78 sur 84 ; les six autres sont réparties entre la Coordination rurale (3), la Confédération paysanne (1), la dernière étant une non-affiliée.Or, cette écrasante domination permet aussi à la FNSEA de détenir des mandats dans toutes les institutions liées au monde agricole, comme la sécurité sociale agricole, la mutualité, les lycées… Un avantage considérable pour peser sur les décisions prises par les pouvoirs publics. L’enjeu est aussi financier. Du résultat des élections dépend, en effet, la répartition des subsides versés aux organisations syndicales. Ceux-ci sont répartis selon la règle suivante : 25 % vont à la liste majoritaire, les 75 % restant à la proportionnelle. La FNSEA touche ainsi, par exemple, plus de 14 millions d’euros de concours publics sur un budget de 20 millions d’euros.Le gouvernement lui-même n’a pas voulu donner davantage de poids à la FNSEA à la faveur de ces élections. Au début de 2024, le décret organisant le scrutin prévoyait de revenir au système antérieur au quinquennat Hollande lorsque seuls 50 % des financements (et non 75 %) étaient répartis à la proportionnelle. Mais dans la version publiée en juillet dernier, la disposition avait disparu. La Confédération paysanne et la Coordination rurale, qui craignaient de perdre de 300 000 à 500 000 euros, ont respiré, mais la FNSEA et les JA ont exprimé leur mécontentement.Dans la mobilisation actuelle, chacun avance ses pions avec la crainte de perdre des voix. Certes, en raison du mode de scrutin, les évolutions sont très lentes. Ainsi, si la Coordination rurale a recueilli 22 % des voix en 2019, contre 12 % dans les années 1990, elle ne gère que trois chambres d’agriculture. Mais chacun se demande si le conflit de l’année dernière, qui a vu la Coordination rurale alimenter la colère et la FNSEA dirigée depuis 2023 par Arnaud Rousseau se faire déborder par sa base, a laissé des traces. La FNSEA et ses alliés avaient alors été critiqués pour avoir surtout défendu les intérêts des grands céréaliers, liés à l’agro-industrie, au détriment des plus petits exploitants, en particulier des éleveurs. Tous redoutent une nouvelle progression de la Coordination rurale, plus en phase avec la colère du pays qui s’exprime politiquement via le vote Rassemblement national.Dès ce lundi et ce mardi, la FNSEA et les JA ont appelé à manifester à l’occasion d’un G20 qui se tient au Brésil. La Confédération paysanne privilégie pour l’instant des rassemblements devant les institutions françaises et européennes. La Coordination rurale, qui se réunit en congrès mardi et mercredi, a promis ensuite “une révolte agricole”. Mais la forme et l’ampleur des protestations pourraient très vite évoluer en fonction des réactions de la base. Qu’elle s’enflamme et toutes les organisations suivront, de peur d’être distancées par les plus radicales d’entre elles.



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Author : Agnès Laurent

Publish date : 2024-11-18 16:31:12

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Tags :L’Express

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