Compter ses trimestres en rêvant de croisières ou s’imaginer reprendre une boutique pour continuer une activité ? Ces deux attitudes sont respectables mais, si dans le passé on pouvait imaginer des préretraites précoces, l’heure de la retraite ne cesse de reculer depuis 2010 après plusieurs réformes. Le paysage des pensionnés a été modifié. Ainsi, le taux d’emploi des seniors a progressé en dix ans en France de 38 % au début de 2008 à près de 54 % fin 2019 – contre 66 % pour l’ensemble de la population active. Toutefois, s’il était comparable à celui de nos voisins européens fin 2019 pour les 55-59 ans (73 %), il reste inférieur pour les 60-64 ans : 34 % dans l’Hexagone, contre 47 % au niveau de la zone euro, 56 % au Royaume-Uni et 63 % en Allemagne (Trésor Eco, février 2022). Et parfois, le choix ne se fait pas entre exotisme et boutique à reprendre : entre 55 et 61 ans, 21 % des seniors (16 % des 55-69 ans) ne sont ni en emploi, ni à la retraite : “cette situation est souvent subie, notamment pour des raisons de santé ou de handicap” (Insee, 2023 et 2024).Plus le temps s’égrène, plus les salariés redoutent le passage à la séniorité professionnelle et, surtout, ses conséquences. “On ne se réveille pas un matin en se disant “je suis senior”. On se dit plutôt : “qu’est-ce que je vais faire aujourd’hui ?”, analyse Sibylle Le Maire, fondatrice et dirigeante du Club Landoy (fondé en 2019 à l’initiative du groupe Bayard et qui réfléchit aux enjeux de la démographie dans les entreprises). D’ailleurs, cette notion de “senior” varie selon les pays. “Aux Etats-Unis, elle peut commencer à 40 ans. En France, c’est plutôt à partir de 50 ans qu’on constate un point de bascule. C’est une réalité incarnée par le regard des autres. Plus on approche de la retraite, plus l’emploi des seniors baisse”, indique-t-elle.”La discrimination liée à l’âge reste un problème en France”En effet, 80 % des plus de 55 ans sont en poste contre 49 % à 61 ans (Insee, 2024). “Moins la qualification est élevée, plus les départs en retraite sont précoces. Ainsi, 46 % des ouvriers ou des employés peu qualifiés partent en retraite de façon anticipée, contre 39 % des employés et 21 % des cadres”, poursuit l’experte. La pénibilité et la santé en sont une explication.Pourtant, quelle que soit l’activité, la question de la fin de carrière se pose en amont : alors qu’à 45 ans, il reste potentiellement encore 25 ans de carrière (dans le privé, l’employeur ne peut mettre le salarié d’office à la retraite qu’à 70 ans), 47 % des 45-54 ans disent craindre pour leur emploi contre 34 % des 55 ans et plus, indique le baromètre Ifop pour le Club Landoy (janvier 2024). Pour 64 % des répondants, c’est “parce qu’ils coûtent plus cher à l’entreprise” que les seniors sont davantage exposés à un risque de licenciement. Ils sont aussi 64 % à penser qu’à compétences égales, avoir plus de 50 ans est un inconvénient pour être embauché. Ce panel estime enfin que l’attractivité la plus haute sur le marché du travail se situe entre 26 et 30 ans et qu’elle commence à décliner à 41 ans. “La discrimination liée à l’âge reste un problème en France. Pourtant, tout le monde va devenir senior, un jour ou l’autre. On ne peut pas y échapper”, commente Sibylle Le Maire. Sans surprise, 94 % des personnes interrogées jugent important de lutter contre les discriminations qui frappent les seniors en entreprise.Que faire de ces dix ans gagnés ?Pour ce faire, le Club Landoy veut agir “comme un catalyseur social afin d’aider les entreprises à bâtir un pacte social économiquement soutenable et socialement souhaitable”, avec notamment un index structuré autour de quatre axes : le taux d’employés de plus de 50 ans ; leur taux de formation ; leur taux de mobilité et leur taux de recrutement. Pour Sibylle Le Maire, “la pyramide des âges s’inverse et la population vieillit. Cette évolution est sociétale et affecte le monde du travail : que faire de ces dix années supplémentaires de vie que nous avons gagnées en cinquante ans ? Et comment ce temps s’organisera-t-il collectivement ?”.Se pose la question de l’allongement de la durée du travail avec “le totem de l’eldorado de la retraite”. Mais le système actuel est-il soutenable ? “Je constate deux tendances qui montrent que les plus de 50 ans ont toujours leur place : dans les PME et les ETI, il y a moins de départs de seniors car on ne peut se permettre de les laisser partir. La pénurie de main-d’œuvre a accentué ce phénomène. Et dans des groupes plus importants, si on s’est séparé des seniors, ils reviennent souvent comme experts ou consultants”. Les 73 % des 45 ans et plus qui rêvent de faire une carrière longue à un seul endroit (Ifop/Club Landoy) n’indiquent pas, cependant, si ces autres statuts qui font voler en éclat le CDI sont une réponse satisfaisante au maintien dans l’emploi des seniors, ou, au contraire, un chiffon rouge.
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Author : Claire Padych
Publish date : 2024-11-19 07:30:00
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