Le deuxième en deux jours. Un câble sous-marin de télécommunication reliant la Suède à la Lituanie a été endommagé au nord de l’Europe. “Il est essentiel de clarifier les raisons pour lesquelles deux câbles ne fonctionnent pas en mer Baltique”, a déclaré ce 19 novembre le ministre suédois Carl-Oskar Bohlin dans un message à l’AFP. Cette annonce fait suite à la déclaration, la veille, selon laquelle un autre câble – cette fois reliant la Finlande et l’Allemagne – avait également été abîmé dans la zone. “Nous pouvons confirmer que l’interruption du trafic Internet n’a pas été causée par un défaut d’équipement mais par un dommage matériel sur le câble de fibre optique, a déclaré Audrius Stasiulaitis”, porte-parole de la filiale lituanienne de l’opérateur suédois Telia. Le trafic Internet du câble sous-marin suédois, endommagé depuis dimanche matin, a été conduit vers d’autres liaisons internationales.Si l’origine précise de ces dégâts reste encore à déterminer, le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, a déclaré ce mardi qu’un “sabotage” était probablement à l’origine des dégâts constatés sur les deux câbles de télécommunication. “Personne ne croit que ces câbles ont été coupés par accident […] Je ne crois pas aux versions des ancres (de bateaux) qui auraient par hasard provoqué des dommages sur ces câbles”. L’opérateur du second câble – reliant la Finlande à l’Allemagne -, le finlandais Cinia, a également pointé que “ce type de rupture ne se produit pas dans ces eaux sans impact extérieur”. Dès lors, à qui la faute ?Pour tenter d’élucider le mystère, la Finlande et l’Allemagne ont annoncé une investigation concernant la rupture du câble sous-marin entre le port allemand de Rostock et Helsinki. Les deux capitales européennes ont déclaré être “profondément préoccupées” par la situation. “Notre sécurité européenne n’est pas seulement menacée par la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, mais aussi par des acteurs malveillants”, ont estimé les ministres des Affaires étrangères d’Allemagne et de Finlande. Un tel incident suscite immédiatement des soupçons de dommages portés intentionnellement”. L’inquiétude européenne n’est pas surprenante : ces derniers mois, les incidents dans la zone se sont multipliés, tous les regards se tournant vers Moscou. Analyse avec Camille Morel, chercheuse associée à l’Institut d’études de stratégie et de défense, auteure de Les câbles sous-marins. Enjeux et perspectives au XXIème siècle.L’Express : Avez-vous été étonnée de la rapidité avec laquelle les ministres allemands et finlandais ont évoqué la possibilité d’un acte malveillant pour expliquer l’endommagement des câbles ?Camille Morel : Rappelons les faits. Deux câbles ont été endommagés à quelques jours d’intervalle, dans une zone très scrutée – la mer Baltique. Des enquêtes ont été diligentées mais, à ce jour, nous ignorons tout de l’origine de ces défauts. Dans les deux cas, nous savons simplement qu’une partie du trafic a été mise à mal, et qu’une partie du flux a été “rerouté” vers d’autres câbles. A l’heure actuelle, il est donc impossible de désigner le ou les auteurs de ces faits avec certitude. Toutefois, l’environnement international entraîne évidemment des suspicions.D’abord, la tension actuelle avec la Russie, compte tenu du conflit en Ukraine, mais aussi des dernières déclarations des pays baltes, notamment, qui craignent des attaques de Moscou. Nous sommes dans un contexte bien particulier, où la menace russe plane.D’autant que, ces derniers temps, les intimidations se sont multipliées. Il y a cinq jours, un navire russe équipé de missiles de croisière hypersoniques, le Zircon, a traversé la Manche. Ce week-end, notamment, un navire russe, le Yantar, était à proximité des eaux irlandaises. Par le passé, il y a déjà eu des suspicions d’intérêt de ce navire pour les câbles sous-marins. Ces éléments vont peser dans les esprits dans le sens d’un dommage volontaire. Tout l’enjeu va être d’attribuer cet événement à un acteur. Mais nous sommes encore loin d’avoir des preuves de quoi que ce soit.A-t-on seulement une preuve qu’il s’agisse d’une intervention humaine, ou cela peut-il être un problème technique ?Environ 70 % des endommagements de câbles sous-marins ont des causes naturelles. Cette fois-ci, Cinia a mis de côté la possibilité d’un séisme sous-marin. En dehors de cette hypothèse, cependant, il reste beaucoup de possibilités de dommages autres qu’une intervention humaine. Des pêcheurs peuvent avoir fait des dégâts par accident. Cela peut aussi être un défaut technique. Cela peut-être beaucoup de choses en réalité – on ne sait pas s’il s’agit ou non d’un acte malveillant. C’est bien ce que l’enquête va tenter de définir.Quel serait l’intérêt pour la Russie d’endommager ces câbles ?Pour la Russie comme pour d’autres pays, s’en prendre aux réseaux de communication est un levier dans le cadre d’un conflit. C’est un moyen de faire pression sur un gouvernement, sur une population. Moscou utilise beaucoup ce levier des communications – qu’il s’agisse de câbles, mais aussi de satellites, de serveurs Internet. Moscou s’en prend couramment aux infrastructures de communication. L’endommagement des câbles serait donc cohérent avec les techniques russes, et leur manière d’agir hybride. J’insiste sur ce dernier point, car tout l’intérêt d’une telle opération est évidemment qu’elle est difficile à attribuer.Quand un Etat s’essaie à la guerre hybride – ou plutôt aux techniques d’hybridité – il fait le choix de ne pas agir publiquement et ne revendique donc pas son action. Il peut même décider de ne pas mener l’action lui-même, agir par l’intermédiaire d’acteurs non étatiques. Dans le cas qui nous préoccupe, son but ne serait pas de couper un pays de ses communications – les atteintes réalisées sont trop restreintes pour ça – mais de montrer sa capacité d’agir, de nuire. Un pays qui utilise ces techniques veut faire pression et semer le doute dans l’esprit de ceux qu’il attaque.Berlin et Helsinki ont pourtant évoqué la possibilité d’une intervention russe. Cela signe-t-il un changement de doctrine des Etats européens en la matière ?Depuis 2023, on dénombre une série d’attaques d’infrastructures maritimes au sens large en mer du Nord et mer Baltique visant à endommager des câbles sous-marins. Les faisceaux d’indices s’étayant un peu plus au fil des mois, les suspicions à l’endroit de Moscou augmentent toujours un peu plus. Or, ces actes ne sont jamais revendiqués formellement : comme je l’ai déjà, tout leur intérêt est de rester dans le flou. Les pays européens ont donc eu un changement de philosophie depuis le début du conflit en Ukraine, et sont plus prompts à affirmer leurs soupçons quand se produisent des événements similaires aux endommagements de câbles dont nous parlons aujourd’hui.Pourtant, les Etats victimes sont malgré tout assez démunis quand il s’agit d’organiser des représailles face à ce type d’attaques.Effectivement, mais le sujet préoccupe de plus en plus. L’hybridité fait l’objet de discussions dans les cercles européens, avec l’espoir, à terme, de définir une doctrine d’action afin d’avoir une position commune. Plusieurs pays ont appelé à instaurer un service de coopération en matière de renseignement, notamment pour surveiller ces câbles. Mais pour l’instant, ils en restent-là.Ill est important de rappeler que cette éventuelle attaque reste en dessous d’un certain seuil d’intensité. Aucun territoire n’a été coupé du reste du monde. L’auteur éventuel s’en est pris à un flux Internet, qu’il a été possible de récupérer par un autre moyen. Les dommages n’ont donc pas eu de conséquences suffisantes pour entraîner une riposte, à plus forte raison alors que leur auteur n’a pas été désigné avec certitude. Voilà tout l’intérêt de ces attaques hybrides : entretenir l’ambiguïté. La menace plane, mais elle est insaisissable – et donc difficilement arrêtable.L’endommagement des câbles nécessite-t-il une technologie particulière ? Leur localisation est-elle connue, ou demande-t-elle des efforts de renseignement ?Si les dommages ont lieu proches de la surface, il est possible d’atteindre les câbles avec une ancre ou un grappin. En revanche, si vous voulez être discret, vous pouvez agir dans des endroits plus profonds. Il faut alors utiliser des drones et des robots sous-marins pour intervenir en profondeur.Mais cela nécessite un investissement plus important en matière de renseignement, afin de savoir avec précision où se trouve la cible. Cette information n’est pas connue du grand public, mais plutôt des opérateurs et de leurs sous-traitants. C’est également le cas des pays à qui appartiennent les eaux territoriales qu’ils traversent. Obtenir une cartographie précise de leur tracé nécessite donc de regrouper toutes ces informations.Cette volonté de s’en prendre aux infrastructures sous-marines est-elle une nouveauté du conflit ukrainien, ou s’est-elle déjà présentée par le passé ?Elle est au moins aussi ancienne que la Première Guerre mondiale. L’un des premiers objectifs a été de couper les câbles sous-marins allemands à des endroits déterminés afin d’isoler Berlin du reste du monde. A l’époque, cette action avait été d’une tout autre ampleur que les dommages de ces derniers jours : le pays n’avait pas d’autres leviers pour communiquer vers l’international. Plus récemment, le gazoduc Nord Stream avait été endommagé quelques mois après l’invasion russe en Ukraine. L’origine de ces dégâts est toujours aujourd’hui non-élucidée : l’incertitude causée par ce genre d’affaires est toujours un de leurs principaux intérêts.
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Author : Alexandra Saviana
Publish date : 2024-11-19 17:08:24
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