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“Notre situation est plus inquiétante que celle de la France” : le constat sans appel d’un économiste allemand

Le chancellier allemand Olaf Scholz en conférence de presse au sommet du G20, à Rio de Janeiro, au Brésil, le 19 novembre 2024




Alors que la coalition allemande a récemment explosé sur des questions budgétaires avec le limogeage du ministre des Finances, le libéral Christian Lindner, les nouvelles sur le front de l’économie sont mauvaises. Sur les cinq dernières années, le produit intérieur brut n’a progressé que de 0,1 % et les plans sociaux s’enchaînent, notamment dans l’automobile, provoquant un séisme social dans certains länder peu habitués à de telles annonces. Le durcissement du protectionnisme américain en 2025 pourrait freiner par ailleurs le léger redémarrage attendu. Dans leur dernière projection, le Conseil des experts économiques allemands table sur une maigre croissance de 0,4 % l’an prochain. Et si l’Allemagne était le vrai maillon faible de l’Europe ? Une thèse défendue par l’un des plus influents économistes allemands, le professeur Achim Wambach, président du think tank ZEW à Mannheim.L’Express : L’Allemagne et la France traversent une crise politique et économique mais les ressemblances s’arrêtent là. Selon vous, lequel de ces deux pays pourrait être qualifié “d’homme malade de l’Europe” ?Achim Wambach: Sur un strict plan économique, la situation de l’Allemagne est franchement plus inquiétante que celle de la France. Car c’est le modèle même du pays qui est en danger. Sur les deux dernières années, la croissance allemande a été proche de zéro, la production industrielle a chuté de 18 %, l’activité des constructeurs automobiles a, elle, dégringolé de 25 %. L’investissement industriel est au point mort. Si vous regardez la France, le bilan est nettement meilleur. L’activité a crû, le chômage a reculé, l’investissement direct étranger a nettement progressé, la création de start-up est très dynamique et Paris est devenu un hub pour les start-up européennes. Même si les incertitudes politiques pèsent actuellement sur le climat global, l’attractivité de la France s’est indéniablement améliorée ces dernières années. Les réformes Macron ont porté leurs fruits. Notamment la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, qui est désormais plus bas qu’en Allemagne. Très souvent je dis à mes collègues allemands : “Regardez ce qu’a fait la France, c’est un exemple à suivre !” L’Allemagne a de très sérieuses difficultés structurelles auxquels il faut urgemment s’attaquer.Mais vous omettez la situation inquiétante des finances publiques françaises ?Évidemment, c’est un très gros problème. Et la France doit absolument s’y attaquer. Mais le chemin à suivre n’est pas si insurmontable.Au crédit de l’Allemagne, vous pourriez relever l’excédent commercial. Ce qui n’est pas le cas de la France qui croule, elle, sous un déficit de sa balance…Je serais plus nuancé sur la question de l’excédent de la balance des paiements allemande. Si le surplus est si large, c’est parce que notre demande interne est déprimée et parce que l’argent des épargnants allemands part s’investir à l’étranger. Ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle pour le pays.L’origine de la crise politique en Allemagne est budgétaire, le ministre des Finances Christian Lindner refusant de desserrer le frein à l’endettement. Est-ce une erreur selon vous ?Je pense qu’il a d’abord agi par pur calcul politique, en pensant qu’il obtiendra davantage de votes lors des prochaines élections s’il continue de défendre des règles budgétaires très strictes. Pour revenir aux maux dont souffre l’Allemagne, le premier d’entre eux est le manque criant d’investissements dans les infrastructures. Nous avons besoin de davantage d’argent public. Mais en même temps, je suis un ardent défenseur du frein à l’endettement qui est inscrit dans la Constitution. Cette règle mise en place en 2009, en pleine crise financière, explique non seulement notre situation budgétaire très saine mais également la solidité et la résilience de l’euro, malgré toutes les tempêtes de ces dernières années.Investir davantage dans les infrastructures sans violer la règle du frein à l’endettement, n’est-ce pas la quadrature du cercle ?Les temps ont changé, de nouvelles menaces sont apparues et l’Allemagne – je le répète – doit investir davantage, dans les écoles, les routes, les réseaux télécoms, mais aussi les connexions électriques et les réseaux hydrogènes pour changer radicalement notre modèle énergétique encore beaucoup trop dépendant du gaz. Le tout, sans jeter aux oubliettes notre règle d’or budgétaire. Nous devons faire la différence entre les dépenses d’investissement, qui structurent l’avenir, et les dépenses de fonctionnement. L’environnement des taux a, lui aussi, changé : la période où l’argent était gratuit est terminée et les taux d’intérêt sont désormais supérieurs au taux de croissance. Dans ce contexte, la dette peut s’emballer assez vite. Je propose donc la création d’un large fonds d’investissement public pour les infrastructures, doté de 100 à 400 milliards d’euros, qui sera abondé par de la dette. Mais une dette fléchée. Il faudra pour cela l’accord des deux tiers des parlementaires au Bundestag.Quelles doivent être les priorités de la future coalition qui sortira des urnes en février prochain ?La relance des investissements dans les infrastructures, comme je viens de le décrire. Le deuxième chantier doit être celui des pénuries de main-d’œuvre. Le vieillissement de la population active et, bientôt, la baisse du nombre d’actifs vont peser structurellement sur la croissance potentielle du pays. L’un des enjeux majeurs est l’augmentation du taux de participation des femmes sur le marché du travail et la diminution du travail à temps partiel. Ce qui passe par un effort considérable pour l’accueil des jeunes enfants et le développement des crèches.Redoutez-vous un impact significatif sur la croissance allemande de la guerre commerciale promise par Trump ?Evidemment ! 10 % de nos exportations sont à destination des Etats-Unis. Lors du premier mandat Trump, l’augmentation des droits de douane sur les voitures allemandes, l’acier ou encore l’aluminium a amputé les profits de nos grands groupes. Mais l’heure est plus grave cette fois. Car Trump ne promet pas seulement d’augmenter les droits de douane : il veut aussi diminuer les taux d’imposition des sociétés installées aux Etats-Unis et alléger les régulations. Ce qui peut jouer comme un aimant pour les sociétés européennes. Le risque est non seulement d’exporter moins aux Etats-Unis mais de voir de plus en plus d’entreprises allemandes, dans la chimie ou les biens d’équipement, investir et produire aux Etats-Unis plutôt qu’en Europe. Ou pire, installer leurs centres de R & D outre-Atlantique. C’est un sujet à prendre en compte quand nous réfléchissons, par exemple, à la régulation de l’IA : ne pas décourager la recherche sur le sol européen…L’industrie automobile souffre, à l’image de Volkswagen qui a annoncé un vaste plan de suppression de postes. Soutenez-vous le report de la date de 2035 pour l’interdiction des ventes de véhicules thermiques neufs en Europe ?Oui ! Car à partir de 2027, l’Europe va se doter d’un nouveau système de quotas d’émission de carbone pour le transport routier et le bâtiment. Sans rentrer dans les détails, le prix de la tonne de CO2 va sensiblement augmenter. D’après nos estimations, il pourrait atteindre à terme 200 euros ! Ce qui veut dire que les prix de l’essence pourraient progresser de près de 60 centimes d’euros par litre. C’est considérable. Ce signal prix sera suffisamment important pour inciter naturellement les automobilistes à basculer vers des véhicules moins polluants, et diminuer ainsi leur facture. La demande fera donc l’offre ! Dans ce contexte, nous n’avons pas besoin d’interdire la vente des véhicules thermiques dès 2035 car les constructeurs vont s’adapter aux nouvelles conditions de marché.Le rapport Draghi a pointé la sous-compétitivité de l’Europe par rapport aux Etats-Unis. Parmi les nombreuses préconisations, l’une d’elles porte sur un nouveau grand emprunt européen. Est-ce, selon vous, la bonne réponse ?L’Europe a effectivement beaucoup perdu en compétitivité par rapport aux Etats-Unis. Beaucoup ont souligné l’effet de l’Inflation Reduction Act lancé par Joe Biden. Mais cette perte de compétitivité est bien antérieure. Je pense que l’excès de régulation en Europe a beaucoup joué. Un exemple : dans l’économie digitale, nous avons dénombré 60 normes dans l’Union quand il n’y en a quasiment aucune aux Etats-Unis. En protégeant trop, nous détruisons du business. L’Europe retrouvera aussi de la compétitivité en développant un marché unique des capitaux, en mettant l’accent sur l’éducation, en signant des accords de libre-échange. Si on ne réfléchit qu’à un nouveau grand emprunt, on oublie tout le reste. Simplifions d’abord, avant de songer à emprunter.



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Author : Béatrice Mathieu

Publish date : 2024-11-25 04:30:00

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Tags :L’Express

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