Aux temps “pré-psychologiques” évoqués par le psychiatre Christophe André, l’existence s’arpentait bien souvent sans explorer ses états d’âme, exprimer ses émotions ou chercher à préserver son équilibre intérieur. La vie se traversait en serrant les dents. Consulter, c’était prendre le risque d’être pris pour un fou. Nous vivons la fin de cette ère. Dévoiler publiquement ses ressentis n’est plus le tabou qu’il était, l’usage de la psychologie se démocratise et la santé mentale se hisse au rang de grande cause nationale en 2025. Non seulement on consulte des spécialistes, mais on en parle à son entourage, sur les réseaux sociaux, dans le débat public. La quête du bien-être mental se banalise et marque ainsi un profond changement d’époque. Toute la société est concernée, y compris l’entreprise. Une “génération psy” émerge : quand 17 % des salariés français disent consulter, la proportion grimpe à 37 % chez les 18-24 ans, contre 9 % chez les 50-64 ans. Plus largement, 81 % des salariés estiment que la santé mentale est un “enjeu préoccupant” (“Les salariés et la santé mentale”, enquête OpinionWay, 2023) et ils la lient évidemment à la qualité de leur vie professionnelle.Faut-il s’en désoler ou s’en réjouir ? Certains verront dans cette universalisation de la psychologie un affaiblissement, la marque d’une société fragile et incapable d’affronter l’adversité. D’autres y percevront au contraire un renforcement, une capacité à prendre soin de l’autre et à devenir plus résilient. En toute hypothèse, sauf à vouloir affronter absentéisme, turn-over, désengagement, voire conflictualité généralisée, le monde de l’entreprise n’a pas d’autre choix rationnel que de s’adapter à cette réalité. Ma conviction est qu’il est même impossible de révéler tout le potentiel de ses acteurs internes sans leur porter une attention sincère.Le concept de “sécurité psychologique” développé par Amy Edmondson, professeure à la Harvard Business School,dans son ouvrage The Fearless Organization aide à penser cette mise à jour du management. Celui-ci implique une croyance partagée dans le droit à l’erreur, la prise de risques et l’expression des singularités sans crainte de stigmatisation. Il exige la mise en place d’une culture de la confiance, une attention à l’épanouissement de tous et la valorisation de la diversité des opinions.Plus de cohésion et de créativitéC’est un travail de longue haleine mais qui vaut le coup : une étude pluriannuelle des équipes de Google publiée en 2016 a révélé que la sécurité psychologique était le facteur le plus important pour expliquer la surperformance de certaines équipes par rapport à d’autres. Et cette recherche de sécurité psychologique pour tous n’a rien d’un somnifère qui empêcherait les débats et l’innovation au sein de l’entreprise. Bien au contraire. A l’heure où les salariés passent 50 % de temps de plus à collaborer qu’il y a vingt ans (“Collaborative Overload”, Harvard Business Review, 2016), elle peut faciliter l’expression et la résolution apaisées des divergences qui naissent inévitablement de tout travail de coopération.Faisons donc le pari, à condition qu’elle s’inscrive dans une dynamique collective durable, que la “génération psy” amènera avec elle potentiellement plus de cohésion et de créativité dans l’environnement professionnel. Certes, elle challengera les modes de management traditionnels. Elle déstabilisera au premier abord. Mais alors que nous sommes amenés à travailler et collaborer avec des personnes toujours plus différentes, être capable de considérer l’autre, comprendre ses émotions, motivations et singularités devient un savoir précieux. De même, au moment où l’intelligence artificielle se développe à une vitesse exponentielle, un peu d’humanité ne peut pas être une si mauvaise idée. Souvenons-nous de la première déclaration faite par le sprinteur de 27 ans Noah Lyles qui, le 4 août 2024, rentrait au panthéon de l’athlétisme en remportant le 100 mètres aux JO de Paris : “Je souffre d’asthme, d’allergies, de dyslexie, de TDA, d’anxiété et de dépression. Mais je veux vous dire que ce que vous avez ne définit pas ce que vous pouvez devenir. Pourquoi pas toi !”. La confirmation qu’une nouvelle génération arrive, aussi tendre que brillante.* Pascal Demurger est directeur général du groupe Maif et coprésident du Mouvement Impact France.
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Publish date : 2024-11-27 11:00:00
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