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Marc Ferracci : “Tant que l’Europe ne sera qu’un grand marché ouvert, nous serons des proies”

Le ministre délégué à l'Industrie Marc Ferracci, lors d'une conférence de presse aux côtés du ministre de l'Economie Antoine Armand, le 21 octobre 2024 à Paris.




Automobile, acier, chimie : dans ces trois filières particulièrement exposées à la concurrence des Etats-Unis et de la Chine, Marc Ferracci, le ministre délégué chargé de l’Industrie, plaide pour la mise en œuvre immédiate de “plans d’urgence” au niveau européen.L’Express : Vous avez participé le 28 novembre à Bruxelles au Conseil compétitivité de l’Union européenne. Quel en était l’objet ?Marc Ferracci : Ce Conseil, qui réunissait mes homologues de toute l’Union européenne, avait pour but de tirer les leçons du rapport de Mario Draghi dévoilé début septembre. Ce rapport dresse un constat sévère mais juste : la compétitivité européenne a décroché en vingt ans par rapport à celle des Etats-Unis. Il nous faut sans tarder, et collectivement, porter une politique industrielle européenne qui nous permette de corriger le tir.Les Américains et les Chinois sont offensifs et articulent leurs politiques commerciales et leurs politiques industrielles. Les premiers, en recourant massivement aux subventions à destination des entreprises installées sur leur sol et en jouant sur les droits de douane pour rendre leurs produits plus compétitifs. Les seconds, en développant des surcapacités industrielles dans différents secteurs clés – les batteries, les véhicules électriques, l’acier… – qui leur permettent d’inonder les marchés mondiaux.L’Europe doit réagir face à ces déséquilibres commerciaux. Je suis confiant dans la capacité des différents Etats membres à trouver des convergences pour mieux coordonner cette réponse. Nous l’avons constaté avec Antoine Armand [NDLR : le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique], les lignes bougent. Un consensus est en train de se former sur la nécessité d’un plan d’urgence européen pour la filière automobile, notamment en vue d’éviter les sanctions pour les constructeurs qui ne rempliraient pas leurs objectifs de véhicules électriques en 2025. Avec l’acier, c’est la même chose : il faut revoir la clause de sauvegarde adoptée en 2018, qui instaurait des quotas et des taxes pour protéger le marché européen des importations asiatiques, elle n’est plus suffisante.Quelles sont les propositions de la France pour infléchir la stratégie industrielle européenne ?Elles reposent sur trois axes. D’abord, il faut continuer de soutenir la demande pour les produits décarbonés. Comme les Allemands, je suis favorable aux “marchés pilotes”, qui imposent que les composants d’un produit soient fabriqués de manière décarbonée, soit très souvent dans l’Union européenne. Le verdissement des flottes automobiles d’entreprises, par exemple, doit bénéficier aux constructeurs européens.Ensuite, dès lors que l’on s’accorde sur une ambition industrielle commune, il faut être cohérent sur le plan commercial. Tant que l’Europe ne sera qu’un grand marché ouvert, nous serons des proies. Le président de la République l’a rappelé récemment : “Si on décide de rester des herbivores, les carnivores gagneront”.Enfin, nous devons mettre en place des mesures dissuasives pour éviter les contournements commerciaux. Un exemple : à partir de 2026, les importateurs européens de marchandises à forte intensité carbone, comme l’acier, l’aluminium ou le ciment, devront s’acquitter d’une taxe, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, si ces marchandises produites en Chine, ou ailleurs, ont dégagé lors de leur fabrication plus d’émissions de CO2 que les standards européens. Cette taxe aux frontières risque de faire l’objet de contournements. Penchons-nous sur le problème dès maintenant. C’est une question de souveraineté mais aussi d’efficacité et de justice.Les plans d’urgence que vous avez défendus à Bruxelles sont centrés sur trois filières : l’automobile, l’acier et la chimie. Pour un meilleur rendement ? La Cour des comptes, dans un récent rapport, a pointé un penchant français pour le “saupoudrage”, en s’interrogeant notamment sur “la quarantaine de champs d’investissement” du plan France 2030…Il faut distinguer les temporalités. Nos propositions sur les plans d’urgence devraient donner lieu à une réponse de la Commission européenne d’ici quelques semaines seulement. Je me félicite d’ailleurs que sa présidente, Ursula von der Leyen, ait dit qu’elle souhaitait entamer un “dialogue stratégique” sur la filière automobile. Il faut aider de manière plus systématique les constructeurs et les sous-traitants à accélérer leur transition.J’ai visité l’usine Forvia à Montbéliard début octobre. Sur ce site, les salariés qui travaillaient jusqu’ici sur les pots d’échappement thermiques – voués à disparaître en 2035 avec l’arrêt des ventes de véhicules neufs – sont formés progressivement aux procédés de fabrication des réservoirs à hydrogène. Forvia est une grande entreprise, qui peut investir. Mais c’est aussi le rôle de l’Europe d’accompagner ses industriels dans cette bascule. L’objectif de France 2030, qui est un bon plan, est plus lointain : il vise à positionner notre pays sur des technologies de rupture, comme les petits réacteurs nucléaires, le quantique… France 2030 est ainsi ciblé sur 10 objectifs, et non 40, qui sont les leviers de croissance pour demain.Pour autant, je suis favorable à ce qu’il puisse soutenir aussi le tissu actuel de nos PME et de nos ETI, qui sont des maillons essentiels de la cohésion territoriale. L’industrie française doit marcher sur ses deux jambes : le futur et l’existant.Michelin, Valeo, Sanofi… Les annonces de plans sociaux dans l’industrie se succèdent depuis quelques semaines. Les mesures que Michel Barnier vient de présenter – mobilisation transverse de plusieurs ministères et simplification administrative – sont-elles à la hauteur de l’enjeu ?Une task force interministérielle, réunissant le Travail, l’Industrie et l’Economie, se réunit désormais pour accompagner les usines en difficulté qui cherchent des repreneurs. Et si ce n’est pas possible, pour accompagner les salariés dans leur reconversion et revitaliser les territoires. Les plans sociaux attirent davantage la lumière médiatique, et je le comprends, que les créations d’emplois industriels qui se font, elles, au fil de l’eau. Elles continuent pourtant de progresser, ne l’oublions pas.Depuis 2017, 130 000 emplois industriels ont été créés en France, dont 28 000 l’an dernier. Pour cette année, les chiffres ne sont pas encore connus, mais la tendance concernant les usines est positive : le baromètre industriel de l’Etat compte 400 ouvertures nettes depuis 2022, dont 36 au premier semestre 2024. La situation est plus compliquée aujourd’hui, c’est vrai, du fait d’un rattrapage post-Covid et du contexte géopolitique. La réindustrialisation du pays se poursuit, mais elle ralentit. Ce qui nous oblige à redoubler de vigilance et à actionner de nouveaux leviers.Ainsi, tout nouveau chantier industriel sera désormais exonéré pendant cinq ans des contraintes réglementaires liées au zéro artificialisation nette (ZAN). Il sera aussi exempté des procédures devant la Commission nationale du débat public (CNDP), des procédures analogues étant déjà appliquées, pour raccourcir les délais d’instruction des dossiers.Ces délais, après avoir baissé, plafonnent depuis deux ans à 13,4 mois. Votre objectif est-il toujours de les ramener à 9 mois ?Absolument. Il y a eu des avancées en ce sens sur les grands projets. On doit pouvoir faire de même sur les plus petits. L’important est de ne pas changer de cap. Parce que la visibilité que nous devons à tous les acteurs est essentielle pour continuer de réindustrialiser le pays. Et parce qu’aller vite, aujourd’hui, est un facteur d’attractivité pour les investissements internationaux.



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Author : Arnaud Bouillin

Publish date : 2024-12-03 05:30:00

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Tags :L’Express

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