Spécialiste de l’électrification et des énergies renouvelables, Anne Lapierre a pris depuis l’été la tête du bureau parisien de Bracewell, un cabinet d’avocats d’affaires américain spécialisé dans l’énergie. Un nouveau défi pour cette experte qui a siégé douze ans au conseil d’administration de France Renouvelables et qui poursuit ses activités de conseil auprès de la Fondation Solar Impulse de Bertrand Piccard. Alors que la France s’enfonce un peu plus dans le flou politique, Anne Lapierre invite notre pays à revoir sa politique énergétique, incapable pour l’heure de protéger les entreprises d’un prix de l’énergie élevé ou de faire émerger un vrai marché de l’hydrogène.L’Express : L’énergie préoccupe les entreprises et les ménages. Quel pourrait être l’impact de la situation politique actuelle sur ce sujet majeur ?Anne Lapierre : Du point de vue de la réglementation, le contexte actuel soulève quelques inquiétudes. Notre pays accuse déjà un retard important par rapport à ce qui se fait à l’étranger, sur les contrats d’approvisionnement en électricité par exemple. Les remous récents ne peuvent qu’accentuer l’écart existant. Par ailleurs, les ménages et les entreprises ont besoin de règles claires qui s’inscrivent dans la durée. Que doivent penser les citoyens aujourd’hui ? Le budget étant tombé, ils peuvent continuer à acheter des chaudières à gaz en profitant d’un taux de TVA réduit. Mais beaucoup ont sans doute déjà compris que les prix de l’électricité allaient augmenter dans les années qui viennent. Certes, le gouvernement a communiqué sur une baisse de 9 %. Mais c’est par pur opportunisme : la baisse du prix de l’électron sur le marché européen permet de compenser la hausse des taxes.Que se passera-t-il l’an prochain si les prix du marché remontent ? Les ménages se retrouveront brusquement avec une flambée des factures qu’il faudra gérer dans l’urgence. Cet exemple montre bien le paradoxe du moment. L’énergie devient plus vitale que jamais. Cependant, il y a une telle fragilité politique que les décisions sont bien souvent déconnectées des enjeux. Cinq ans peuvent paraître suffisants pour un président en exercice, mais si les décisions d’investissement à prendre aujourd’hui auront un impact immédiat sur le budget de l’Etat, les bénéfices économiques ne seront tangibles que dans dix ou vingt ans. Ainsi, outre une Assemblée apte à voter des lois et un gouvernement en capacité de gouverner, ce dossier demande du courage.Les entreprises passent de plus en plus de contrats sur plusieurs années pour se fournir en électricité. Deviennent-elles plus résilientes face aux crises ?La situation n’est pas aussi rose qu’il n’y paraît. Sur les PPA – les contrats d’achat d’électricité verte issue d’énergies renouvelables -, nous observons un attentisme qui est sans doute lié à la situation politique. Ces instruments doivent devenir un élément majeur de la future compétitivité des entreprises. Toutefois, lorsque les prix de marché sont plus bas que ceux mentionnés dans les contrats, on constate un manque d’intérêt pour ce genre d’outil. Ce n’est pas très logique car les prix de l’énergie ont plutôt vocation à grimper à moyen et long terme. La Cour des comptes l’a déjà expliqué : la France possède un atout de taille avec son réseau électrique qui repose sur les réacteurs nucléaires, mais ces installations sont vieillissantes. A l’image d’une voiture affichant de nombreux kilomètres au compteur, elles vont coûter de plus en plus cher en maintenance. Les entreprises devraient donc se précipiter sur les PPA pour se couvrir du risque énergétique. Le fait qu’elles tardent à le faire montre que ces sujets restent très complexes, et qu’il y a encore de la pédagogie à faire.De nouveaux types de contrats d’approvisionnement en électricité sont-ils nécessaires ?Oui. Les entreprises – comme les ménages – s’emparent des outils mis à leur disposition. Si ces systèmes d’aide à la transition ne fonctionnent pas correctement, il peut être utile de les changer. Nous allons justement démarrer en début d’année prochaine des ateliers de réflexion destinés à faire évoluer les PPA pour qu’ils soient mieux adaptés aux besoins. De manière plus large, il y aurait beaucoup à faire afin d’améliorer les aides existantes. Prenez le marché de l’hydrogène vert. Les projets se développent en France sur la base de 12 euros par kilo produit. Or, le prix de l’hydrogène gris – celui produit de manière classique dans l’industrie – dépasse à peine les 2 euros. Et les subventions censées favoriser le passage vers des pratiques plus écolos ne couvrent que 0,40 à 0,70 euro. Il n’y a pas besoin de boule de cristal pour prédire l’échec de ce marché. Je crains que les mêmes erreurs ne se répètent, comme pour l’éolien en mer. Si on ne prend pas de décisions claires, la France risque de regarder passer le train car sur ces sujets d’énergie, nous sommes dans une compétition mondiale.Il nous faut donc, en matière d’hydrogène, une stratégie d’approvisionnement à l’étranger ?Absolument. Au sud du Maroc, par exemple, un million d’hectares vont servir à développer des projets autour de l’hydrogène. Une quarantaine de dossiers sont déjà en train d’être épluchés. Si la France ne fait pas partie de ces discussions dès le départ, nous le regretterons par la suite. Nous sommes déjà en retard par rapport à d’autres pays qui, comme l’Allemagne, mettent de l’argent pour faire des études, trouver des partenaires commerciaux au Maroc, en Mauritanie, en Namibie ou dans les pays du Golfe, c’est-à-dire dans des endroits où le coût du kilowattheure électrique sera très bas du fait de la présence d’immenses fermes éoliennes et solaires. Nous avons la chance d’avoir de très gros acteurs, comme TotalEnergies, Engie ou EDF, qui, dans le cadre de leurs activités, prospectent les régions les plus intéressantes. Mais le positionnement de ces entreprises ne fait pas tout. Il nous faut un engagement politique ainsi qu’une vision de long terme pour le pays.
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Author : Sébastien Julian
Publish date : 2024-12-11 07:00:00
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