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De Charlie à la Syrie : quand les caricatures font tomber les tabous, par Omar Youssef Souleimane

Un homme marche sur une bannière représentant le président syrien déchu Bachar al-Assad dans un centre de remise d'armes et d'enregistrement de sécurité avec le gouvernement de transition, le 24 décembre 2024 à Damas, en Syrie




Sur les murs de certains quartiers sunnites en Syrie et au Liban, on peut souvent lire : “Il est interdit d’insulter ou de se moquer de Dieu ou de son messager.” Une phrase qui suscite presque automatiquement une envie contraire : se moquer de ce Dieu, de son prophète et de ceux qui ont écrit ces mots. Quel est donc ce Dieu qui aurait besoin de défenseurs ? C’était précisément cette logique qui animait les assassins pénétrant avec leurs kalachnikovs les locaux de Charlie Hebdo, décidés à se venger au nom d’Allah. Cette idée, à l’origine de tant de drames, perdure. En Syrie, au moment de la chute du régime d’Assad, des djihadistes français combattant aux côtés du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham (HTC) jubilaient à l’idée de “libérer” la Syrie du dictateur. Pourtant, leur véritable ennemi n’a jamais été Bachar el-Assad, mais la liberté de pensée, de création, et le droit de critiquer la religion, afin de protéger leur islam et de reconstruire un califat international. Devons-nous craindre leur retour en France et la possibilité qu’ils commettent un nouvel attentat ?En ce dixième anniversaire du massacre de Charlie Hebdo, marqué aussi par la chute d’Assad, je pense à Ali Ferzat, un caricaturiste syrien talentueux, célèbre pour avoir dessiné l’autocrate syrien dans des positions ridicules. Au début de la révolution de 2011, il a été enlevé en plein cœur de Damas. Des hommes des services secrets l’ont brutalement battu, s’acharnant particulièrement sur ses doigts, son principal outil d’expression. L’objectif était clair : faire taire l’artiste et briser le symbole du pinceau qui résistait à la répression.Rien ne dérange plus un dictateur que la caricature. Elle détruit l’image qu’il incarne dans l’esprit de la population, celle d’un être supérieur. Nous Syriens avions été biberonnés à l’idée qu’Assad était le plus intelligent, le plus beau, le plus fort de la planète. Avec ses photos, ses phrases, et cette voix que nous connaissions par cœur, il était, inconsciemment, devenu sacré. C’est aussi le cas de Mahomet. Il suffit de lire les hadiths pour découvrir le portrait d’un homme miraculeux : il était décrit comme le plus viril, capable de coucher avec ses neuf femmes le temps d’une nuit et un jour. Il pouvait affronter n’importe quel autre homme sur terre. Un Spiderman réel qui pourrait être un sujet très inspirant pour les humoristes.Aurais-je pu être parmi les assassins ?C’est grâce aux moqueries que l’aura d’Assad, sur laquelle un dictateur construit son pouvoir, est tombée dans l’esprit des Syriens. C’est aussi de cette façon que Charlie Hebdo a fait tomber l’image de Mahomet comme étant un sujet tabou. Le soir du massacre, lors du rassemblement place de la République à Paris, les slogans scandés ressemblaient à ceux que nous criions en Syrie contre Assad. A la suite de chaque interpellation d’un militant par les milices du régime, nous changions nos photos de profil sur les réseaux sociaux, en écrivant “Je suis” suivi du nom de la personne arrêtée. Et en ce triste 7 janvier 2015, nous sommes devenus Charlie. Le journal était le reflet de la résistance pour la liberté dans tous ses sens : contre la dictature d’un homme comme celle d’un dieu. Les deux se ressemblent.Au moment de l’attaque contre le journal satirique, je me suis posé une question : si je n’étais pas moi-même sorti de cette idéologie consistant à venger au nom de Dieu, aurais-je pu être parmi les assassins ? J’ai grandi dans une culture qui considérait la défense de l’islam comme un accomplissement sacré. En 2001, ayant suivi mes parents en Arabie saoudite, j’étudiais dans une école coranique. Au moment de l’attentat du 11 septembre, je me suis enthousiasmé pour Oussama Ben Laden. Il était considéré comme un héros qui défendait Mahomet, le combattant qui préservait la dignité de l’islam face à l’Occident. Comme des milliers d’autres jeunes, j’ai été manipulé par cette idéologie. Si l’attentat contre Charlie Hebdo avait eu lieu à ce moment-là, je me serais sans doute réjoui, estimant que le journal payait le juste prix pour sa ligne éditoriale provocatrice.Aujourd’hui, dix ans après l’attaque, Mahomet n’est plus, pour beaucoup de jeunes au Proche-Orient, une figure intouchable. Mais la chute d’Assad en Syrie offre une nouvelle opportunité aux extrémistes religieux. Selon les Forces démocratiques syriennes (FDS), des mouvements massifs d’organisations liées à l’Etat islamique ont été enregistrés, surtout au nord-est de la Syrie. Daech profite du chaos actuel, il est désormais hors de contrôle. Ses membres ne resteront pas seulement en Syrie, ils chercheront à appliquer le djihad international. Mais en parallèle, le départ d’Assad a aussi réveillé des mouvements laïques et artistiques dans la région. Nous pouvons le constater à travers les dessins sur les murs, les nouvelles chansons répétées lors des rassemblements. Entre les deux camps, l’intégrisme et la libération de l’esprit, le combat continue.* Ecrivain et poète né à Damas, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais, traqué par les services secrets, a dû fuir la Syrie en 2012. Réfugié en France, il a publié chez Flammarion Le Petit Terroriste, Le Dernier Syrien, Une chambre en exil et Etre Français.



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Publish date : 2025-01-03 10:59:48

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Tags : L’Express

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