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“J’ai envie de dire à l’exécutif : laissez-nous faire !” : l’appel du président du Medef Patrick Martin

Romuald Meigneux / Medef




Bercy, Matignon, l’Elysée… Cette semaine, Patrick Martin prend son bâton de pèlerin pour marteler un message à l’exécutif : ce budget dont la France a impérativement besoin ne peut se contenter de nouvelles “rustines”. Le président du Medef plaide pour une “refonte fondamentale” du système de protection sociale. Selon lui, l’urgence du moment n’interdit pas l’audace.L’Express : En ce début d’année, l’économie française continue de montrer des signes de faiblesse, sur fond d’incertitudes politique et fiscale. Le gouvernement est en train de revoir ses prévisions de croissance pour 2025. Sommes-nous au seuil d’une récession ?Patrick Martin : Depuis la dissolution, il y a une dégradation sensible de la performance économique du pays. Certes, ce phénomène n’est pas uniquement français, d’autres Etats en Europe sont touchés. Mais je vous confirme que les indicateurs dont nous nous disposons ne sont pas rassurants. Dans la construction de logements, avec moins de 250 000 mises en chantier sur un an, nous sommes redescendus au niveau de 1953, mais, à l’époque, la France comptait 24 millions d’habitants de moins ! En novembre dernier, l’indice PMI manufacturier, qui mesure l’activité des directeurs d’achat du secteur, a atteint son plus bas niveau depuis quatre ans et demi. Le taux d’utilisation des capacités de production est aujourd’hui au niveau très faible de 75 %, ce qui est très alarmant pour notre industrie. Avec des situations critiques, notamment dans l’automobile et la chimie. Plus aucun secteur d’activité n’est dans une bonne dynamique. Et puis, bien sûr, le taux d’épargne des ménages est au plus haut : c’est l’expression de leur inquiétude pour l’avenir. Est-on en récession ? En instantané, probablement.Quel est le poids de la conjoncture internationale dans ce retournement ?Il y a un tropisme américain évident. Un chiffre, édifiant, qui corrobore ce qu’a écrit Mario Draghi dans son rapport : les Français détenaient 330 milliards de dollars de bons du Trésor américains fin 2024, contre 220 milliards un an plus tôt. On voit très clairement des investissements partir aux Etats-Unis, du fait de l’Inflation Reduction Act, des prix bas de l’énergie et des annonces très offensives de Donald Trump concernant l’impôt sur les sociétés, par exemple, qu’il veut baisser à 15 %. Pour mémoire, dans le projet de loi de finances présenté par le précédent gouvernement, les moyennes et grandes entreprises françaises voyaient leur taux monter – supposément de façon temporaire – à 35,5 %…Donc, les ménages français financent à la fois le déficit et la relance industrielle américaine ?Oui, et c’est spectaculaire. Savoir si c’est un comportement patriote ou non n’est pas le sujet. Les gestionnaires d’actifs ont des impératifs de sécurité et de rentabilité, ils allouent l’argent qu’on leur confie là où ils estiment que c’est le plus prometteur pour leurs clients. L’Union européenne est-elle la victime collatérale de la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis ? C’est un peu court comme explication car les performances économiques, d’un pays à l’autre de l’UE, sont extrêmement différentes. Je suis très admiratif de ce qui se passe au Portugal, en Espagne, en Pologne et d’une certaine manière en Italie. L’Italie, qui a une croissance plus faible que la nôtre, parvient à rétablir rapidement ses comptes par des mesures d’économies déterminées avec 3,8 % de déficit public en 2024 contre 7,2 % en 2023 !Les défaillances d’entreprises sont au plus haut en France : 66 000 en cumul sur douze mois, d’après le cabinet Altares. La cote d’alerte est-elle atteinte ?La taille moyenne des entreprises qui entrent en procédure collective augmente, et tous les secteurs sont frappés : l’industrie, le bâtiment, le transport routier, la logistique… Néanmoins, sur le plan financier, la plupart des sociétés résistent. Pour une bonne raison : les banques françaises continuent de leur distribuer du crédit. Et aussi une moins bonne : les dirigeants essaient de préserver leur trésorerie en sous-investissant, ce qui compromet l’avenir. Avant d’autres, nous avions chiffré, avec Rexecode, à 40 milliards d’euros chaque année le montant des investissements supplémentaires que les entreprises françaises devront engager d’ici à 2050 pour tenir les objectifs de décarbonation. Or, en 2024, l’investissement productif a baissé de 2 %. Pendant ce temps-là, les Américains et les Chinois investissent massivement, ce qui accentue le décrochage de notre économie.Que dites-vous au gouvernement qui travaille à ce nouveau budget ?Soyons audacieux ! La situation a atteint un point tellement critique que c’est maintenant ou jamais. En décembre, tous les partenaires sociaux, à l’exception de la CGT, ont signé une lettre commune pour exprimer leur parfaite conscience de la fragilité économique du pays. C’est sans précédent. Il y a un sens des responsabilités qui me semble ici plus affirmé que chez certains politiques. Il serait bon que tous lèvent le nez du guidon et admettent que la France a des problèmes structurels majeurs, qu’il faut traiter. Notre modèle social est asphyxié. En 1974, les prestations sociales représentaient 18 % du PIB. Aujourd’hui, c’est 32,5 % ! C’est, nous dit-on, un choix collectif qu’il faut assumer. Mais la France ne peut plus se le payer ! Faire croire l’inverse est illusoire. La dépense publique représente 56 % du PIB. Aujourd’hui, 57 % des Français perçoivent plus de prestations qu’ils ne contribuent au financement du système. Quand tant d’entre nous ont intérêt à ce que rien ne change, le pays est forcément figé et se sclérose.François Bayrou dit vouloir rouvrir des discussions sur la précédente réforme des retraites. Y êtes-vous favorable ?Le “débat sur les retraites”, s’il est rouvert, ne doit pas être trompeur. Nous sommes dans un régime par répartition, où règne l’illusion collective : “J’ai cotisé, j’y ai droit”. Or sur BFMTV, le 23 décembre, le Premier ministre a dit vouloir “protéger les entreprises, grandes, moyennes et petites. C’est une seule et même économie. Elles sont la richesse du pays”. Il a raison. Je pense qu’il faudrait confier cette discussion sur les retraites, dans un premier temps, aux seuls partenaires sociaux : elle serait plus apaisée. Nous sommes prêts à parler des carrières longues ou de l’usure au travail – et non de la pénibilité. Mais sans déséquilibrer le rendement de la réforme précédente, dont on sait qu’il est déjà insuffisant. Et sans renchérir, par ailleurs, le coût du travail pour les entreprises.Lors du précédent débat budgétaire, vous aviez fait une ouverture en vous disant favorable à une hausse raisonnable et temporaire de la fiscalité sur les grandes entreprises. Est-ce toujours le cas ?Compte tenu de la situation dégradée des finances publiques, j’avais effectivement envisagé une ouverture, mais strictement conditionnée. La hausse de la fiscalité devait être temporaire et s’inscrire dans un équilibre entre les mesures à la charge des contribuables et celles plus structurelles visant à réduire le coût de la sphère publique. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la copie finale du projet de budget était très loin de remplir ces deux objectifs. Aujourd’hui, ces conditions doivent être renforcées car l’économie s’est encore affaiblie. Nous devons nous interroger plus fondamentalement sur le niveau et sur le financement de la protection sociale. La nouvelle ministre des Comptes publics a fermé la porte à une “TVA sociale”. C’est à, mon sens, regrettable. Nous devons travailler sur un transfert du financement de la protection sociale des cotisations vers la fiscalité, et notamment la TVA ou la CSG. Les mesures d’urgence prises sur un coin de table ne régleront rien. Il faut une réponse structurelle.Quelle est votre ligne rouge ?Les lignes rouges, les discours grandiloquents, ne sont pas vraiment le style du Medef. Mais nous restons résolument opposés à une remise en cause des allègements de charges tels qu’ils étaient prévus par l’ancien gouvernement. Nous plaidons pour une refonte fondamentale du système, pas pour de nouvelles rustines. La France souffre d’un niveau de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques insupportables, lesquels pèsent sur la compétitivité et l’attractivité du travail : il y a trop de transferts sociaux au regard des revenus du travail ! Or, 50 % de la couverture sociale est payée par les entreprises. C’est une singularité française, qu’il faut corriger. Les allègements ne réduisent que très partiellement la “surfiscalité” qui nous handicape !Vous dites qu’il n’y a aucun sujet tabou, y compris celui la désindexation des retraites ?Tout le monde devra faire des efforts. Les 10 % d’abattement sur les revenus des retraités sont-ils justifiés dans le contexte dégradé qui est le nôtre ? Le taux réduit de CSG dont ils bénéficient est-il défendable ? Je comprends que l’immense majorité des retraités pense que ces niches sont justifiées. Mais il faut oser leur dire : “Attention, ce que vous ne payez pas aujourd’hui, ce sont les actifs et les entreprises qui vont devoir le payer, parce que ce sont eux qui financent votre retraite. Ne les fragilisons pas davantage !”. Rouvrons également la question de la retraite par capitalisation. Mais il faut que la refonte du système de financement de la protection sociale se fasse en veillant à ce que les salariés y trouvent leur compte. Sinon, il y aura un vrai problème d’acceptation.Mais comment faire pour que les salariés soient aussi bénéficiaires de ce big bang ?Si, par exemple, les cotisations familiales, largement financées par les entreprises, sont demain supportées par la fiscalité, alors nous pourrons reverser une partie des gains en salaire net pour les salariés.L’accord de libre-échange avec les pays du Mercosur signé par la présidente de la Commission européenne juste avant Noël a fait l’unanimité contre lui en France. On a beaucoup entendu la FNSEA, moins le Medef. Les entreprises françaises ont pourtant à y gagner…Oui, c’est vrai, même s’il y a un certain nombre de clauses miroirs qui doivent être imposées. Sur le principe, nous restons convaincus que cet accord fera davantage de gagnants que de perdants, lesquels il faut évidemment accompagner. Mais on ne peut pas s’interdire de commercer avec d’autres zones du monde alors que nous allons devoir faire face à une hausse des barrières douanières avec les Etats-Unis et à un dumping extrêmement agressif de la Chine. Par ailleurs, ce débat sur le Mercosur renvoie au corpus de règles que l’Europe veut imposer à ses partenaires commerciaux. A ce titre, la directive européenne sur le devoir de vigilance [NDLR : cet ensemble de mesures que les entreprises doivent prendre pour éviter de porter atteinte aux droits humains et à l’environnement] nous ferme des marchés internationaux. Certains partenaires non européens ne voulant hélas pas s’y conformer.Le Medef a lancé avec un collectif d’économistes et de chefs d’entreprise, le “front économique”, un cercle de réflexion pour sortir la France du déclin d’ici à 2030. Notre pays manque-t-il à ce point d’idées ? Les solutions ne sont-elles pas déjà connues ?Quand vous regardez les craintes, notamment des jeunes, sur la pérennité du régime de retraite, on s’aperçoit que nos concitoyens ont finalement un bon sens assez robuste, malgré les fausses promesses. Nous avons un rôle à jouer pour poser ou reposer un certain nombre de diagnostics et de propositions. Si d’autres veulent nous rejoindre pour faire avancer les débats, la porte est ouverte. D’une façon générale, je trouve les partenaires sociaux très responsables dans cette période agitée et sombre. La démocratie sociale doit pouvoir y jouer pleinement son rôle.Est-ce le grand retour des corps intermédiaires ? En 2017, Emmanuel Macron les disait moribonds…Nous avons la charge d’un certain nombre de comptes sociaux qui sont très bien gérés. Au premier rang desquels l’Agirc-Arrco, le système de retraite complémentaire, pour lequel nous savons prendre des décisions difficiles, comme la sous-indexation des pensions. Quand vous regardez l’origine du déficit de l’Unedic, il est essentiellement le résultat des ponctions réalisées par l’Etat. A ce titre, les quelque 12 milliards d’euros de prélèvements sur les budgets de l’Unedic prévus d’ici à 2027 vont mettre le régime dans une situation de tension extrême. En termes de gestion, les partenaires sociaux n’ont pas démérité. Et, vu le climat politique mouvant dans lequel nous sommes aujourd’hui, ils sont un facteur de stabilité. Alors, de grâce, ai-je envie de dire à l’exécutif, laissez-nous faire !



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Author : Arnaud Bouillin, Eric Chol, Béatrice Mathieu

Publish date : 2025-01-07 17:00:00

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Tags : L’Express

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