Cela l’avait marqué. Mais cela l’avait-il indigné ou flatté ? A l’enterrement du réalisateur Claude Autant-Lara au cimetière de Montmartre à Paris, en l’an 2000, Jean-Marie Le Pen avait relevé qu’il n’y avait “pas un seul artiste présent”. Etre l’ami du démon coûte cher, jusqu’au bout. Le milieu culturel n’avait jamais pardonné au cinéaste, ancien compagnon de route du Parti communiste, d’être devenu député européen du Front national puis d’avoir tenu des propos ouvertement antisémites, notamment sur Simone Veil.Jean-Marie Le Pen a, toute sa vie durant, tenu à soigner sa marque : être le monstre de la République. A quoi tient pareille trajectoire ? Après sa défaite aux élections législatives de 1962, le député sortant qu’il est voit arriver une très sérieuse proposition : devenir adjoint au chef de contentieux, avec la promesse de devenir chef de contentieux un peu plus tard. “J’aurais fait une carrière bourgeoise”, disait-il. Dans sa bouche, un gros mot. Le général était un colosse, un monstre ne saurait être gaulliste. “Tout le monde l’est à part moi. Je ne l’ai jamais été, je ne le suis pas et il est peu probable que je le devienne”, confiait-il.Un monstre n’exerce pas le pouvoir. Jean-Marie Le Pen a vu défiler tous les présidents de la Ve République. Chirac fut celui qu’il détesta le plus, Mitterrand celui qui le charma le plus. En janvier 1995, le socialiste croisa le leader d’extrême droite dans les salons de la préfecture de Strasbourg, juste après son fameux discours au Parlement européen. La scène est décrite par l’un des témoins, Yvan Blot, ancien député européen FN. “Bonjour, monsieur Le Pen, je vous ai bien eu tout à l’heure ! – Je ne comprends pas, monsieur le Président. En quoi vous m’avez eu ? – Allons, monsieur Le Pen ! Vous n’avez pas entendu mon discours dans l’hémicycle du Parlement européen ? J’ai dit : ‘Le nationalisme, c’est la guerre !’ Vous ne vous êtes pas senti visé ? […] – Non, monsieur le Président ! Vous savez très bien que beaucoup de guerres n’ont rien à voir avec le nationalisme ; il y a des guerres de religion, des guerres pour le pétrole ! – Ah, c’est un grand sujet que la cause des guerres ; on n’a pas le temps d’en parler maintenant dans ce salon ; […] Je le regrette d’ailleurs ; mais on va se revoir bientôt ? Je l’espère. – A vous d’en décider.” Loin des regards, une forme de complicité générationnelle – douze ans les séparaient.”Si c’est une vague, ça peut être une déferlante”Il avait établi sa hiérarchie des présidents. “A part de Gaulle, je n’en vois pas un avec une dimension exceptionnelle. Valéry Giscard d’Estaing est un bourgeois qui se veut éclairé, façon XIXe siècle, avec une certaine allure quand même. Mitterrand, dans un genre florentin, a une dimension qui n’est pas mince. Jacques Chirac a l’air de descendre de l’ENA en marche. Mais ce sont des personnages d’avant-guerre.” Qu’il est confortable de disserter sur les chefs d’Etat, à condition de ne pas en être un. Et il n’a jamais été près de le devenir, malgré ses cinq candidatures à l’élection présidentielle. Un quasi-record, seule Arlette Laguiller a fait plus avec six participations, mais pas mieux, puisque lui appartient au cercle restreint des finalistes.Le 21 avril 2002, il crée en effet un séisme en atteignant le second tour de la présidentielle. “Si c’est une vague, ça peut être une déferlante” : il le dira après coup, mais le dimanche soir du premier tour, et dans la semaine qui suit, il n’espère pas la victoire, la redoute plutôt. Il se console en voyant, le 1er mai 2002, près d’un million et demi de personnes descendre dans la rue pour huer son nom à l’instigation de la gauche : il provoque, le diable s’habille en Pravda.Cette année-là ne constituera d’ailleurs jamais à ses yeux l’apogée de sa vie publique. Son meilleur souvenir remonte à 1984. Aux élections européennes, le Front national réussit sa première percée nationale en obtenant dix élus. La bête immonde montre ses muscles, quelle jubilation ! Elle suscite l’opprobre généralisé mais sans jamais avoir à exercer la moindre responsabilité – une victoire chimiquement pure pour elle, en quelque sorte. De même, c’est la fin des années 1950, quand il fut pour la première fois député, dont il parlait le plus volontiers, avec force détails, force souvenirs. La politique comme un rapport de force, pas comme un exercice de l’Etat.”La mort, c’est comme l’incendie d’une bibliothèque”Un monstre n’est pas une étoile filante, il s’installe dans le temps – son parcours politique a duré quelque soixante-cinq ans. Il joue avec les mots, jusqu’à la sanction judiciaire. Il en a usé, il en a abusé, lui qui fut condamné plus de 25 fois pour apologie de crimes de guerre, provocations à la haine et à la discrimination, antisémitisme ou encore pour des injures publiques. Ce lundi de mars 2018, au restaurant du Père Claude qui a vu défiler nombre de responsables politiques et qui était l’une des tables préférées de Jacques Chirac, il lâche : “Moi, fasciste ? Je n’étais pas assez socialiste pour ça.”Un monstre laisse-t-il une trace dans l’histoire ? Le souhaite-t-il seulement ? Jean-Marie Le Pen avait une image en tête : “La mort, c’est comme l’incendie d’une bibliothèque. Tout ce que vous avez appris disparaît.” Surtout, pas d’excuses, ce sont elles qui seraient monstrueuses. “Je suis un homme sans regret” : Il n’y aura pas de remords, même devant la mort. Il ne s’agit pas de tout gâcher, de calmer les flots, quand on a eu “une vie de brise-glace qui n’a jamais navigué en eau libre”.Vivre comme un monstre, partir comme un dinosaure ? “Quand je serai mort, je serai un type formidable, avait-il avancé ce jour-là. On aime bien les morts en France.” L’envie ou l’obligation, quand le combat est achevé, de rendre les armes. L’impossible rédemption en guise de possible fin.
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Author : Eric Mandonnet
Publish date : 2025-01-07 12:04:54
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