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Buffet nocturne, SMS et visite secrète : Eric Lombard et la gauche, les coulisses d’une négociation

Le minitre de l'Economie Eric Lombard, le 9 janvier 2025.




Ils étaient venus pour dialoguer et négocier, ils sont restés dîner. Pâtés en croûte, saumon fumé et farandole de desserts… Le ventre plein (sans excès), et des avancées dans les poches. Bercy, drôle d’endroit pour une rencontre. Depuis 2017, on n’a pas vu tous les jours un membre du gouvernement, nommé par Emmanuel Macron – sur proposition de François Bayrou, certes – et les représentants socialistes, écologistes et communistes échanger le bout de gras une partie de la nuit. Le mercredi 8 janvier, la réunion de travail entre la gauche et Eric Lombard a joué les prolongations jusqu’aux environs de 23 heures. Les communistes ont fait savoir qu’ils casseraient volontiers la croûte, les socialistes ont tout de suite acquiescé, les écolos, c’est bien le moins, n’ont pas voulu nuire au climat.Le lendemain matin, le téléphone du ministre de l’Economie vibre fort. Et il vibre à gauche. Les convives du soir multiplient les SMS : merci pour ce moment, comme disait quelqu’un. “Allo, Marine” : à l’heure du déjeuner, c’est Tondelier qui rappelle directement le ministre sur son portable. Les contacts continueront de se multiplier jusqu’au mardi 14 janvier, jour de vérité, jour de la déclaration de politique générale de François Bayrou. Le ministre de l’Economie s’est engagé à dire à ses interlocuteurs avant l’heure fatale le résultat des courses. Notamment la piste d’atterrissage sémantique qui sera dégagée sur le dossier des retraites. Jacques Chirac en son temps avait inventé la “susmulgation” (promulgation du CPE pour les étudiants et aussitôt suspension), l’exécutif aujourd’hui cherche la pierre philosophale. Et rêve d’agiter, sinon la lettre, du moins l’esprit de la fameuse retraite à points.Parce que c’est lui, parce que c’est eux. Lombard et les socialistes, c’est une vieille histoire. Si vieille, qu’on dit parler “le même langage”. Si vieille, qu’on se tutoie. Si vieille, qu’Olivier Faure le considère comme “un ami personnel”. Au début des années 1990, ce dernier et ses copains Benoît Hamon et Christophe Clergeau, la vingtaine passée, marchent dans les pas de Michel Rocard. C’est là que la jeune garde croise la route d’Éric Lombard, trente-quatre ans à l’époque. Un rocardien pur jus, qui donne de son temps dans les ministères comme collaborateur et auprès de son ami Michel Sapin et de Bernard Poignant dans les clubs “Convaincre”, ces chapelles au service de la candidature présidentielle du réformiste (qui restera virtuelle). Faure et Lombard se retrouveront vingt-huit ans plus tard, un déjeuner un jour du printemps 2018. Le premier a pris quelques cheveux gris et la tête d’un Parti socialiste en crise. L’autre n’a pas renouvelé sa carte depuis des décennies, mais a gardé des liens amicaux avec de nombreux socialistes. Le début d’une longue série de tête-à-tête entre les deux hommes, à des moments cruciaux du PS : après la campagne catastrophique de 2022, juste avant que les socialistes ne signent l’accord de la Nupes ou encore quelques jours après que la naissance du Nouveau front populaire. “Eric lui apporte son soutien dans les moments difficiles post-Hamon et post-Hidalgo, il cherche à comprendre, sans juger, l’alliance avec Jean-Luc Mélenchon. Ça discute poloch’ comme on dit”, retrace un confident du frais ministre de l’Économie. L’été dernier, après les législatives, alors qu’Emmanuel Macron se cherche un nouveau Premier ministre qui ne soit pas Lucie Castets, c’est encore Olivier Faure qui murmure le nom du directeur de la Caisse des dépôts à des proches du chef de l’État.”J’ai un problème avec Bruno Retailleau”Les convives de mercredi soir sont plus que des connaissances : Patrick Kanner a déjà emmené Eric Lombard sur ses terres lilloises, le sénateur Claude Raynal, président PS de la commission des finances du Sénat, était assis à sa gauche (forcément) au conseil de surveillance de la Caisse des dépôts et des consignations (CDC), la députée verte Eva Sas est dans son paysage depuis longtemps. Le ministre a découvert Marine Tondelier à la télévision comme beaucoup, et il la trouve excellente. Comme il vient de la gauche, il connaît le poids de certains symboles. La retraite à 64 ans par exemple. Il ne néglige pas non plus les gestes. Il a échangé des messages avec François Hollande dans la semaine suivant sa nomination. Les deux s’apprécient : à la tête de la CDC, Lombard n’a jamais raté un conseil d’administration de la fondation de l’ancien président, La France s’engage. Jeudi matin, il a fait le déplacement pour une visite de courtoisie dans ses bureaux de la rue de Rivoli, histoire de bien souligner qu’il ne considère pas le Corrézien comme un député comme les autres.Cela fait des mois que Lombard est entré dans la partie. En août, Emmanuel Macron se retrouve en short après une dissolution ratée. Alors il joue au ballon et l’un de ces ballons (d’essai) s’appelle Eric Lombard. Le président ne lui propose pas Matignon mais l’interroge sur ses relations avec les forces de gauche et sur des éléments programmatiques. Quand Michel Barnier arrive à Matignon, Eric Lombard aurait pu aller à Bercy mais il ne croit pas à la stratégie du Savoyard de regarder plus sur son extrême droite que vers les socialistes. Puisqu’on vous dit qu’il est de gauche. Quand François Bayrou arrive à Matignon, Eric Lombard entame cette fois de vraies discussions avec le nouveau Premier ministre. Trois longs échanges, dont l’un sur le ministre de l’Intérieur.- J’ai un problème avec Bruno Retailleau.- Tu n’aimes pas ?- J’aime beaucoup le bonhomme, on se connait bien. Mais moi, une grande loi immigration et une diminution drastique de l’AME, c’est non.- Il n’y aura pas de grande loi immigration ni de suppression de l’AME.On croirait entendre Boris Vallaud à sa sortie de Matignon, c’est Eric Lombard à son entrée au gouvernement. Puisqu’on vous dit qu’il est de gauche…”Le Pen, c’est ontologiquement impossible pour lui”D’ailleurs, s’il accepte le portefeuille, lui “le gauchiste de service” comme il dit en rigolant, c’est aussi parce qu’il pense réussir à faire du PS et consorts les principaux interlocuteurs du gouvernement, et non plus le RN. Comme une condition sine qua non de sa participation à l’aventure Bayrou. “C’est son mandat”, assure un de ses amis, qui insiste sur l’aversion du rocardien envers le parti d’extrême droite. Oh, il les reçoit bien à Bercy, ce vendredi, mais le paradigme a changé : dans ses conversations avec Emmanuel Macron et François Bayrou, avant d’accepter le job, Lombard s’est assuré que la stabilité politique se discute avec la gauche. “Il sera républicain, et d’une amabilité absolue avec le RN, mais il ne voudra jamais dépendre de leur vote. Le Pen, c’est ontologiquement impossible pour lui”, renchérit un de ses vieux camarades, qui rappelle que le grand-père fut sauvé par quelques Justes dans le Berry profond. Un état d’esprit qui a fini de convaincre les socialistes, les écologistes et les communistes de s’asseoir à sa table, eux qui avaient déjà entendu le chef de l’État sonner la fin de la récré avec le RN lors des consultations des partis à l’Élysée début décembre. Une règle du jeu, nouvelle, et à rebours de Michel Barnier, qu’avait rappelée François Bayrou en les recevant à son tour.Ce n’est pas parce qu’on parle le même langage que l’affaire est rangée. À Bercy, ce n’est pas une concertation qui se joue mais un rapport de force. “Il y aura un changement de méthode s’il y a un changement de résultat. La survie de ce gouvernement dépend de sa capacité à négocier avec nous”, temporise Boris Vallaud, le chef de file des députés socialistes. Sur la table, des discussions techniques sur cinq chantiers : les retraites, le pouvoir d’achat, les services publics, la bifurcation écologique et la justice fiscale. C’est sur ce dernier point que les choses ont avancé le plus facilement : l’idée d’une nouvelle taxation des hauts patrimoines serait en bonne route. Signe des temps, tous les plénipotentiaires ont fait vœux de silence sur les avancées, soucieux de ne pas parasiter la négociation en cours. “La preuve du pudding, c’est qu’on le mange”, explique le sénateur Patrick Kanner, paraphrasant le philosophe marxiste Engels. Bref, le NFP ne rigole pas avec la censure. Michel Barnier a servi d’exemple. L’exécutif, qui l’a bien compris, cherche un terrain d’entente. Eric Lombard l’a dit à ses amis de gauche : les partis de gouvernement qui veulent préparer 2027 ont tout intérêt à avoir une situation stabilisée. Vive la convergence des luttes…



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Author : Eric Mandonnet, Olivier Pérou

Publish date : 2025-01-10 15:58:15

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