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Leboncoin, Vinted, Momox… Panique dans l’édition face à l’explosion de l’occasion

Momox




Il est l’un des succès de la rentrée littéraire 2024, encore applaudi par la critique, toujours en bonne place dans les librairies et grandes surfaces culturelles. Mais cinq mois après sa sortie, on peut dénicher ce roman sur toutes les plateformes de livres d’occasion avec une forte décote. “En très bon état”, “comme neuf”, “à offrir”, les commentaires varient, pas le prix : autour de 15 euros au lieu des 23 mentionnés sur la quatrième de couverture. Le phénomène n’est pas nouveau, il a longtemps fait le bonheur des bouquinistes et des Gibert où les amateurs allaient dénicher des ouvrages introuvables ou des romans policiers à quelques francs. Mais désormais “l’occas’” se développe à un rythme extrêmement rapide : sa part a doublé en dix ans selon le panéliste GfK et elle représente entre 8 et 9 % en valeur des achats de livres (20 % en volume). Semant, au passage, un vent de panique dans le monde de l’édition.Longtemps, les éditeurs ont jugé le marché de la seconde main marginal. Le livre numérique constituait, selon eux, un danger bien plus sérieux. A tort. “Le livre numérique n’a pas été la menace qu’on prédisait. En revanche, il y a eu une plateformisation du livre d’occasion”, note le sociologue Vincent Chabault, qui lui a consacré une longue enquête, Le Livre d’occasion. Sociologie d’un commerce en transition (Presse universitaire de Lyon). Quand ils ont enfin perçu la menace, les éditeurs n’étaient pas équipés pour en évaluer l’ampleur, ni en volume, ni en chiffre d’affaires. Une enquête publiée au début de 2024 par le ministère de la Culture et la Sofia, un organisme paritaire réunissant éditeurs et auteurs, leur a brutalement ouvert les yeux.Des livres “comme neufs”Première découverte, l’étendue du phénomène. En 2022, 80 millions d’ouvrages se sont vendus en seconde main, selon GfK, pour 320 millions de neufs. Surtout – et c’est bien plus inquiétant pour le monde de l’édition – 40 à 50 % des offres portent sur des livres présentés comme “en très bon état” et 20 % sur des livres “comme neufs”. Plus grave encore, les livres de moins d’un an peuvent représenter jusqu’à 9 % des offres dans certaines catégories, instaurant une opportunité d’achat à moindre coût entre la sortie officielle du grand format et sa version poche. Désormais, plus personne n’en doute : l’occasion grignote les revenus de tous les acteurs de la chaîne du livre, éditeurs, auteurs ou libraires. En particulier dans le domaine de la littérature de genre (roman policier, fantastique ou littérature sentimentale) ou de la bande dessinée franco-belge.Autre source d’inquiétude : les acheteurs de livres d’occasion sont les mêmes que ceux des ouvrages neufs. En fonction des opportunités, de leurs envies et de leur pouvoir d’achat, ils arbitrent entre l’un ou l’autre. Preuve que la pratique n’est plus marginale mais qu’elle est désormais ancrée dans les habitudes de consommation, 52 % des grands lecteurs (plus de 20 ouvrages par an) ont acheté des livres d’occasion durant l’année écoulée, selon la dernière enquête Ipsos sur les Français et la lecture. Or, parmi ces acquéreurs, les 35-49 ans et les catégories socioprofessionnelles supérieures sont surreprésentés, alors que les inactifs et les étudiants sont, eux, sous-représentés. Des résultats qui bousculent l’idée reçue selon laquelle le livre d’occasion serait un vecteur de démocratisation de la lecture, un accès privilégié pour les “non-lecteurs” trop intimidés par la solennité des librairies ou découragés par le prix.Mais la véritable surprise est venue d’un autre aspect de l’enquête. Les éditeurs étaient convaincus que leurs concurrents étaient les acteurs en ligne du livre, comme la Fnac, Amazon ou Momox. Ils n’avaient pas perçu l’émergence d’une autre catégorie de vendeurs appelés Leboncoin ou Vinted. “Les gens y bradent le contenu de leurs chambres, de leurs placards, mais ils y vident aussi leurs bibliothèques”, note Arnaud Robert, le directeur général de la Sofia. Ces plateformes, plus habituées jusque-là à vendre des vêtements, de l’électroménager ou des meubles, sont devenues des acteurs majeurs dans le livre. A la fin du mois de décembre, Leboncoin hébergeait plus de 10 millions d’annonces pour cette seule catégorie. Et l’après-période des fêtes devrait contribuer à gonfler encore l’offre. Pour obtenir le prix le plus élevé possible, mieux vaut, en effet, ne pas tarder à revendre les cadeaux dont on ne veut pas.La loi sur le prix unique du livre fragiliséeEn gommant les frontières entre neuf et occasion, ces nouvelles pratiques fragilisent la loi sur le prix unique du livre. Et la riposte est difficile à imaginer. Lorsque les sites comme Amazon et la Fnac sont devenues des places de marché proposant tant du neuf que de l’occasion, les éditeurs avaient obtenu une modification de la loi, les obligeant à distinguer clairement les offres. Mais le texte était à peine entré en vigueur à la fin de 2021 que, déjà, d’autres questions se posaient. Des grandes enseignes culturelles proposent désormais de “l’interclassement”, c’est-à-dire du neuf et de la seconde main dans un même rayon. Elles sont peu nombreuses et leur offre réduite aux stocks apportés par les clients, mais comment expliquer aux lecteurs l’intérêt du prix unique du livre si les libraires, très prescripteurs, semblent s’en exonérer ? “Entre un livre ouvert une fois et un livre neuf, la différence n’est pas très grande. Cela contribue à affaiblir la loi Lang qui a préservé la diversité éditoriale et des points de vente”, note Bruno Nougayrede, PDG du groupe Elidia (Editions du Rocher…).Depuis la publication de l’étude de la Sofia, les propositions se multiplient pour trouver une parade alors que le marché de l’édition a marqué le pas en 2024, avec une croissance au mieux nulle, voire négative. Avec, comme principal objectif, de capter une partie du chiffre d’affaires qui échappe aux acteurs de la filière livres. Même s’il en connaît les obstacles juridiques, Bruno Nougayrede suggère, par exemple, une réflexion sur le pilon : certains livres ne pourraient-ils pas être vendus comme occasion par les éditeurs plutôt que d’être détruits ? D’autres, à l’instar de Stéphanie Le Cam, directrice de la Ligue des auteurs professionnels, voudraient qu’on interroge la raison d’être du maintien d’un taux réduit de TVA sur le livre d’occasion.A l’occasion du dernier Festival du livre de Paris en avril, Emmanuel Macron s’était dit favorable à une proposition émise par le Syndicat national des éditeurs d’une taxe frappant les plateformes d’occasion qui serait reversée aux créateurs, à la manière de celle en vigueur en matière de streaming musical. Mais ce dispositif se heurte à plusieurs obstacles : comment éviter de pénaliser les acteurs de la solidarité qui se financent en revendant des livres qu’ils ont reçus en dons ? Est-il légal d’introduire une distinction entre acteurs ? Comment redistribuer sans contrevenir à la législation sur le droit d’auteur qui ne prévoit pas de “droit de suite” comme dans l’art contemporain ? Et selon quelle clé de répartition puisque tous les auteurs ne sont pas concernés de la même manière par les ventes d’occasion ?Une fois le principe posé, les questions restaient nombreuses. La dissolution est ensuite passée par là, des amendements sénatoriaux créant un prélèvement sont tombés avec Michel Barnier et son budget. Pour l’instant, le dossier est encalminé et Rachida Dati, confirmée au ministère de la Culture, n’a jamais caché ses doutes à l’idée d’une taxe. Trop impopulaire. Le marché de l’occasion, lui, prospère.



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Author : Agnès Laurent

Publish date : 2025-01-10 06:45:00

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