La dernière fois que la France a consacré plus de 5 % de son PIB pour financer sa défense, c’était en 1962, la guerre d’Algérie touchait à sa fin et son armée quittait le rivage sud de la Méditerranée. Depuis, et malgré l’effort économique exigé par la production d’armes nucléaires et la mise en place d’une dissuasion, voulues par le général de Gaulle, la part dédiée aux dépenses militaires a baissé. Elle s’est approchée des 3 % dans les années 1970, avant de décroître jusqu’à 2 % depuis le début du XXIe siècle (le plus bas a été atteint en 2018 et 2019 à 1,84 %).Consacrer une plus grande part de la richesse nationale aux armées, comme ce fut le cas par le passé, les militaires français en ont rêvé. A présent, Donald Trump le demande : à moins de deux semaines de son retour à la Maison-Blanche, l’homme d’affaires s’est à nouveau ému, en conférence de presse depuis sa résidence floridienne de Mar-a-Lago, que ses alliés européens de l’Otan consacrent si peu, à ses yeux, à leur budget de défense. “Ils devraient être à 5 %, pas 2 %”, a-t-il insisté à plusieurs reprises, ajoutant qu’”ils peuvent tous se le permettre” – une vingtaine de pays sur les 32 membres de l’Otan sont à 2 % ou plus.Pour la France, une telle augmentation ferait plus que doubler le budget actuel de 2 %, pour atteindre 130 milliards d’euros (en parité de pouvoir d’achat). “Cela changerait évidemment tout, alors qu’on est aujourd’hui encore dans une logique de contrainte budgétaire, indique Elie Tenenbaum, directeur du Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Déjà, passer à 3 % nous permettrait de disposer de deux divisions terrestres pleinement opérationnelles, alors que l’on mutualise actuellement les matériels des forces.” Il y a ainsi plus de régiments que d’armements disponibles.”A 4 %, on peut accroître la structure des forces, tandis qu’à 5 % on changerait de monde, car on pourrait alors envisager de rester dans la course technologique, sans avoir à rogner sur le volume des forces, poursuit ce bon connaisseur du modèle de l’armée française. A 5 %, un deuxième groupe aéronaval devient possible, soit un porte-avions supplémentaire avec les navires qui l’accompagnent, frégates, sous-marins d’attaque, ravitailleurs, etc.” De quoi assurer une permanence sur les mers, impossible actuellement, avec le seul Charles-de-Gaulle, dont le remplaçant doit arriver à la fin des années 2030.Dépenser plus… pour acheter américain ?Le passage à 3 % ne permet que de rattraper le manque d’investissement des décennies passées. “Il ne permettrait pas de sortir du modèle d’armée ‘échantillonnaire’ actuel, qui permet à la France de faire presque tout, insiste Yohann Michel, chargé d’études à l’Institut d’études de stratégie et défense (IESD) de Lyon III. Mais à 5 %, en cas de remontée en puissance, ce modèle donne un avantage que n’ont pas d’autres pays européens, qui ont dû faire de gros choix d’abandon de capacités.”Une hausse importante, sans même aller jusqu’à 5 %, permettrait d’augmenter les cadences de production et de financer des programmes en jachère. Mais elle ne peut se faire dans un claquement de doigts. “Il n’y a pas aujourd’hui de capacité de production excédentaire, ce qui veut dire qu’il faudrait commander du matériel et recruter des personnels pour les usines, rappelle Julien Malizard, titulaire de la chaire économie de défense à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Il faudrait qu’un tel passage de 2 à 5 % se fasse dans un délai long, avec des investissements d’ampleur, pour que toute la chaîne de valeur suive la cadence, les grands industriels faisant parfois appel à des centaines de sous-traitants.” Les difficultés rencontrées depuis l’invasion de l’Ukraine sur l’augmentation de la production d’obus en sont une illustration récente.Des soldats de l’armée française installent un obusier automoteur Caesar français lors d’une manifestation au salon international de défense et de sécurité terrestre et aérienne Eurosatory, à Villepinte, le 16 juin 2024.La hausse de la part du PIB consacré à la défense par les Européens, comme le demande Trump, peut-elle justement profiter aux industriels français de l’armement ? “Ils n’exportent pas beaucoup leurs matériels en Europe, souligne Julien Malizard. Il pourrait y avoir des opportunités pour produire sous licence ou accepter des coentreprises, mais cela passerait par un changement de mentalité, car nos industriels sont plus frileux que ceux d’Allemagne, par exemple, pour associer davantage des producteurs locaux ou monter des filiales.”L’intention de Donald Trump est probablement toute différente. “Il veut surtout que les Européens dépensent pour acheter aux Américains, mais il n’est pas sûr que ceux-ci soient capables de produire déjà plus”, estime Renaud Bellais, codirecteur de l’observatoire de la défense de la Fondation Jean-Jaurès. Le paradoxe de l’annonce du républicain est que les Etats-Unis sont à moins de 3,5 % de PIB consacré à la défense depuis plusieurs années. S’ils sont montés à 4,9 % de dépenses en 2010, au moment des engagements dispendieux en Irak et en Afghanistan, il faut remonter aux années 1980 pour les voir dépasser les 5 %.Les 5 % de Trump, espèrent les Européens, ne sont qu’une base de négociation. Le nouveau secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, a déjà prévenu qu’il faudrait aller bien au-delà des 2 %, sans s’avancer sur un chiffre ou des modalités à décider entre pays membres. Il s’agit, par ces dépenses, de renforcer la défense du continent et de dissuader le Kremlin de toute attaque, ou de pouvoir y résister, sachant qu’elle opposerait probablement la Russie à une coalition continentale. “L’une des grandes leçons de la guerre en Ukraine, c’est qu’un tel conflit amène des pertes matérielles et humaines, précise Renaud Bellais. Une hausse importante du budget militaire permettrait de gagner en épaisseur.”Reste à savoir si cela est acceptable au niveau politique et social. A richesse constante, il faudrait piocher sur une autre partie du budget de la nation. “Je sais que dépenser plus pour la défense revient à dépenser moins pour d’autres priorités, a reconnu le mois dernier Mark Rutte. Les pays européens dépensent facilement jusqu’à un quart de leur revenu national pour les retraites, la santé et la sécurité sociale, nous avons besoin d’une petite fraction de cet argent.” Si de tels choix semblent évidents pour les pays limitrophes de la Russie, c’est moins le cas à l’ouest du continent.
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Author : Clément Daniez
Publish date : 2025-01-11 07:30:00
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