Près de cinq mois après avoir lancé leur offensive à Koursk dans la torpeur du mois d’août, c’est cette fois en plein cœur de l’hiver que les forces ukrainiennes sont repassées à l’attaque, le 5 janvier. “Vers 9 heures, heure de Moscou, l’ennemi a lancé une contre-attaque afin de stopper l’avancée des troupes russes”, a averti le jour même le ministère russe de la Défense, évoquant l’implication de deux chars et d’une dizaine de blindés. Si le commandement ukrainien n’a pas donné de détails, des images géolocalisées publiées peu de temps après le début de l’opération suggèrent que ses troupes auraient donné l’assaut dans trois localités au nord-est de Soudja – petite ville frontalière russe de 5000 habitants aux mains de Kiev depuis début août.Un douloureux rappel pour le chef du Kremlin : en dépit de sa volonté de reprendre la main sur ce territoire qui, lors de la Seconde Guerre mondiale avait vu se dérouler la plus grande bataille de chars de l’Histoire entre les forces allemandes et l’Armée rouge, les Ukrainiens s’y accrochent fermement. “Pour ce que l’on en voit aujourd’hui, l’idée derrière cette offensive est de conserver les acquis territoriaux dans la région, souligne le général Jean-Paul Paloméros, ancien chef d’état-major de l’armée de l’air. Les Ukrainiens vont essayer de les tenir, de manière à ce que les Russes ne reprennent pas plus que ce qu’ils ont repris jusqu’à aujourd’hui.”Hécatombe chez les Nord-coréensAprès avoir lancé une offensive éclair le 6 août dernier, les Ukrainiens avaient rapidement mis la main sur environ 1 300 km2 dans cette région située au nord de l’oblast ukrainien de Soumy, faisant initialement face à une défense disparate composée de quelque 11 000 soldats russes comprenant de nombreux gardes-frontières et conscrits. Un mois après le lancement de l’opération, début septembre, Moscou s’était mis en ordre de bataille en s’appuyant sur le déploiement de 40 000 hommes supplémentaires auxquels se sont greffés ensuite environ 12 000 soldats nord-coréens. A l’issue de plusieurs semaines de contre-offensive, cet agrégat hétéroclite a finalement repris environ la moitié des territoires perdus, principalement sur le flanc ouest de la zone conquise par Kiev.”Lorsque cette offensive a été lancée l’été dernier, la plupart des observateurs pensaient qu’elle ne durerait qu’un temps, pointe François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et auteur d’Un monde sans l’Amérique (Odile Jacob, 2024). Mais elle a en définitive constitué un succès inattendu de l’Ukraine qui est non seulement parvenue à conserver la moitié de ses gains, mais reste encore aujourd’hui en capacité de conduire des offensives d’envergure limitée.”La reconquête de ses territoires perdus a, en outre, été coûteuse en hommes pour Moscou. “Au cours de l’opération de Koursk, l’ennemi a déjà perdu plus de 38 000 soldats” dans la région, “dont environ 15 000 irrécupérables”, a affirmé Volodymyr Zelensky le 5 janvier à l’occasion des cinq mois de son opération. Parmi eux, le décompte des morts chez les soldats nord-coréens serait effroyable. Sur les 12 000 hommes envoyés combattre pour les Russes, plus de 3 800 auraient d’ores et déjà été tués ou blessés, a ajouté le même jour le président ukrainien. Un chiffre plus de trois fois supérieur à celui de 1 100 évoqué par Séoul une dizaine de jours plus tôt.Gage en vue de possibles négociationsDe fait, leur envoi en première ligne a rapidement viré au fiasco. Mi-décembre, le renseignement ukrainien a affirmé que huit soldats tchétchènes du bataillon Ahmad de Kadyrov étaient morts sous les balles des hommes de Kim Jong-un. En cause : la barrière de la langue qui complique la coordination entre les unités russes et nord-coréennes. “Les unités nord-coréennes n’ont presque aucune expérience du combat, observe le général Ben Hodges, ancien commandant de l’armée américaine en Europe. Comme les Russes, elles sont utilisées comme de la chair à canon et auraient déjà perdu près de 30 % de leurs effectifs.” L’intensification des combats dans la zone ces derniers jours devrait encore alourdir le bilan. Le 7 janvier, l’état-major ukrainien a affirmé avoir repoussé 94 assauts russes dans la région de Koursk, soit près de la moitié des 218 affrontements recensés le même jour sur l’ensemble du front.Alors que le territoire russe n’avait plus été envahi par une force étrangère depuis la Seconde Guerre mondiale, l’enkystement des forces ukrainiennes à Koursk a tout d’un camouflet pour Vladimir Poutine. Le chef du Kremlin ne se risque d’ailleurs plus à fixer de calendrier pour la reprise de ses territoires perdus. “Je ne peux pas répondre à la question d’une date précise pour le moment”, a-t-il évacué le 19 décembre lors de sa conférence de presse annuelle, se contentant d’assurer que ses troupes “chasseront sans aucun doute” les forces de Kiev. “Le fait est que la Russie a jusqu’à présent été incapable de résorber cette tête de pont ukrainienne sur son territoire, pointe le général Ben Hodges. A un moment donné, elle devra rediriger plus d’hommes dans ce secteur du front si elle veut y parvenir.” De quoi poser un dilemme à l’état-major russe, qui, depuis l’été, a fait le choix de concentrer ses efforts sur la région de Donetsk, afin de progresser vers la ville stratégique de Pokrovsk.D’autant que pour Moscou, le temps presse. A l’approche de l’investiture de Donald Trump le 20 janvier prochain, qui, pendant sa campagne s’était fait fort de pouvoir réunir Moscou et Kiev autour d’une table en vue d’un arrêt du conflit, l’incursion à Koursk offre une carte à jouer aux Ukrainiens. “De leur point de vue, c’est un gage important dans le cadre d’une éventuelle négociation, confirme François Heisbourg, de la FRS. Il sera toujours plus confortable pour eux d’aborder toute tentative de pourparlers avec ce territoire comme potentielle monnaie d’échange que sans.” En particulier dans un contexte où Moscou ne semble prêt à aucune concession vis-à-vis de ses buts de guerre maximalistes. Le 6 janvier, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a estimé que la position de l’armée ukrainienne à Koursk sera “importante” dans la perspective d’éventuelles négociations sous la prochaine administration américaine. Encore faudra-t-il que Vladimir Poutine souhaite négocier.
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Author : Paul Véronique
Publish date : 2025-01-11 06:45:00
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