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Scandale des “grooming gangs” au Royaume-Uni : le rôle trouble des tribunaux islamiques

Mohammed Zahid arrive au tribunal de Manchester, le 14 janvier 2025. Des procédures préliminaires sont en cours pour huit personnes accusées d'exploitation sexuelle d'enfant.




Les dénonciations aussi fausses qu’hystériques d’Elon Musk sur X, accusant le Premier ministre britannique, Keir Starmer, d’avoir été “complice de viols massifs et tout cela pour quelques votes de plus”, ont remis en lumière l’affaire ancienne des “grooming gangs” dont les leçons, si elles ont été en grande partie tirées, interrogent cependant sur les égarements du multiculturalisme à l’anglaise. Des égarements alimentant toujours davantage le populisme d’extrême droite.Rappelons tout d’abord les faits hors norme qui secouèrent le Royaume-Uni au début des années 2010. En 2003, Ann Cryer, députée travailliste de Keighley dans le West Yorkshire, lance un cri d’alarme. Alertée par des parents apeurés, elle dénonce alors les agissements d’hommes d’origine pakistanaise à la sortie de deux écoles locales. Ceux-ci ciblent les filles de 12-14 ans, blanches et de la classe ouvrière. Leur modus operandi est toujours le même. Ils flattent les jeunes adolescentes, leur offrent des cadeaux, leur font faire des tours dans des voitures de sport, et petit à petit les entraînent dans l’alcool et la drogue. Puis ils deviennent leur “boyfriend” avant de les forcer à avoir des relations sexuelles avec leurs “amis”, parfois 25 hommes dans la même soirée.C’est ce que l’on appelle le “grooming”, un euphémisme pour désigner un processus de domination et manipulation émotionnelle sur une personne vulnérable dans le but de sa soumission et de son exploitation sexuelle. En France, on parlerait de proxénétisme aggravé et de réseau pédophile. La députée Ann Cryer saisit les services de la police locale et de protection des mineurs mais ses signalements répétés ne sont pas suivis d’effets. Pire, elle doit sécuriser son domicile et les bureaux de sa permanence à la suite de menaces : on la traite de raciste et d’islamophobe, et l’aile gauche de son propre parti l’accuse de mettre en danger “la cohésion culturelle” de sa circonscription. Un comble.Il faudra qu’un journaliste d’investigation, Andrew Norfolk du quotidien The Times, commence à enquêter pour que la vérité éclate au grand jour. “Je vais être honnête, j’aurais franchement préféré que cette histoire ne soit pas vraie,” dit-il aujourd’hui. “Elle me mettait terriblement mal à l’aise. La suggestion que des hommes d’une minorité ethnique commettent des crimes sexuels sur des enfants blancs allait inévitablement alimenter les fantasmes de l’extrême droite.” Suit une enquête minutieuse. Norfolk fait le lien entre différentes affaires jugées ici et là dans le nord de l’Angleterre. La victime a toujours entre 12 et 15 ans, le mode opératoire est le même et les criminels de ces viols en réunion pratiquement tous d’origine pakistanaise. Mais ce dernier élément, c’est Andrew Norfolk qui le découvre car l’identité des criminels est rarement communiquée par la police.Mur du silenceAprès trois mois de consultation des archives judiciaires, Norfolk découvre qu’entre 1997 et 2010, 17 affaires de “grooming” et d’abus sexuels dans 13 villes différentes du nord de l’Angleterre ont été jugées et sur les 56 hommes déclarés coupables, 53 sont des musulmans d’origine pakistanaise. Norfolk demande à parler à la police locale, aux services sociaux et au ministère de l’Intérieur : tous refusent de lui répondre. Même l’organisme caritatif de protection des enfants, Barnardo’s ne consent pas à le recevoir. Ce sont les victimes et les familles qui raconteront leur histoire à Andrew Norfolk. Le 5 janvier 2011, The Times révèle enfin l’affaire et dénonce la “conspiration du silence”. La réaction scandalisée de l’opinion est immédiate et le gouvernement conservateur de David Cameron ordonne une enquête publique. Confiées à Alexis Jay, inspectrice de l’Assistance Sociale, ses conclusions livrées en août 2014 font l’effet d’une bombe. Entre 1997 et 2013, dans la seule ville de Rotherham dans le Yorkshire, 1 400 mineures âgées de 11 à 15 ans, blanches et de la classe ouvrière, ont toutes été victimes d’un réseau pédophile organisé par des hommes en très grande majorité d’origine pakistanaise. A la question de savoir pourquoi les autorités locales n’ont-elles pas voulu écouter les victimes dont les plaintes et dépositions s’accumulaient dans leurs tiroirs, le rapport pointe la peur d’être perçu comme raciste et islamophobe.Du côté judiciaire, des enseignements ont été tirés. “Cela a pris trois ans mais les résultats sont là, estime Andrew Norfolk. Les différentes autorités, de la police à la justice, ont coordonné leurs efforts et entrepris des formations spécifiques au sein de leur personnel pour détecter les cas d’abus sexuels contre les enfants, à la fois au sein des familles, des institutions, mais également dans les cas de gangs organisés. Le nombre de poursuites a augmenté de façon significative.” Keir Starmer, alors procureur général, n’a d’ailleurs rien à se reprocher, contrairement aux insinuations d’Elon Musk sur X. Les services du Crown Prosecution que l’actuel Premier ministre dirige entre 2008 et 2013 prennent la mesure du problème, identifient les directives administratives qui empêchent que davantage de coupables soient poursuivis, et les condamnations commencent à tomber, bien plus nombreuses. L’adjoint de Keir Starmer en charge du nord de l’Angleterre, Nazir Afzal, britannique d’origine pakistanaise joue d’ailleurs un rôle crucial. Il se dit alors bien placé pour comprendre à la fois la culture profondément patriarcale des coupables mais également la faillite des autorités locales soucieuses de ne pas apparaître islamophobes.Conseils locaux de la chariaReste une question sur laquelle personne n’a osé se pencher, dit aujourd’hui Andrew Norfolk : “la raison de l’existence” de ces “grooming gangs” ethniques. Selon lui, tant que l’on ne prendra pas en considération la culture religieuse de ces proxénètes pédophiles, l’action de la centaine de sharia councils au Royaume-Uni et leur impact sur les relations hommes-femmes, et l’existence des mariages forcés et interfamiliaux au sein de ces communautés, on ne pourra pas traiter le mal à la racine. Et tant que cet effort n’est pas fait, l’extrême droite, de Nigel Farage en passant par l’activiste Tommy Robinson et son soutien Elon Musk, s’engouffrera dans la brèche.Fait peu connu en France, le Royaume-Uni dispose de plus d’une centaine de “conseils locaux de la charia”, tribunaux islamiques informels autorisés en 1982 par le gouvernement de Margaret Thatcher afin, comme le dira la Dame de Fer, de “permettre à la communauté musulmane d’administrer ses propres affaires.” Officiellement, ce ne sont pas des tribunaux mais, dans la réalité, des arbitrages légaux peuvent y être rendus, notamment en matière de divorces et d’héritages, deux domaines dans lesquels les droits des femmes et des filles y sont largement bafoués. Ces arbitrages viennent se substituer au droit de la famille pour tous ceux qui ne sont mariés que religieusement, comme c’est le cas de nombreux musulmans. Contrairement à la France, où seul le mariage civil est valide, outre-Manche, le mariage religieux a la même valeur légale. L’époux peut divorcer en quelques mots prononcés devant ces instances islamiques, tandis que l’épouse qui demande le divorce doit passer plusieurs fois devant ses juges et les payer pour leurs services. La divorcée perd souvent la garde de ses enfants et ne reçoit aucune pension.Autre domaine de jurisprudence islamique : les héritages. Lors du décès d’un père et de la transmission de ses biens, ses filles recevront deux fois moins que leurs frères. L’existence de ces jurisprudences tolérées par les autorités publiques nourrit une culture patriarcale au sein de ces communautés, une culture que la police britannique choisit souvent de “respecter”, par pur relativisme culturel. Par exemple, et comme le dénonce dès 2014 la journaliste vedette de la BBC Samira Ahmed, les autorités locales au Royaume-Uni passent souvent par les représentants autoproclamés de la communauté pakistanaise pour s’enquérir du sort de ses membres féminins au lieu de les contacter directement.”Il existe une petite minorité d’hommes pakistanais qui estiment que les filles blanches sont des cibles légitimes”, estime l’ancienne ministre conservatrice Sayeeda Warsi qui a grandi dans la communauté pakistanaise du Yorkshire. Et de poursuivre : “Pour eux, les femmes sont des citoyens de seconde classe et probablement que les femmes blanches sont même des citoyens de troisième classe. On ne pourra pas résoudre le problème si on n’est pas prêt à voir les choses en face.” Elle est une des rares voix à se prononcer de façon aussi claire.Pour l’éditorialiste Matthew Syed, de mère galloise et de père pakistanais, “les autorités publiques ont failli dans leur mission en laissant des minorités ethniques et des clans vivre dans l’isolement au lieu de s’intégrer dans la communauté nationale.” Et le journaliste de poser la question : “quelles sont les conséquences de notre lâcheté, et de la moralité sacrifiée sur l’autel de l’utopie multiculturelle ? La destruction du bon sens. C’est comme cela que des proto-fascistes comme Tommy Robinson, aidés par Elon Musk, deviennent les idoles de la droite […] tandis que la surenchère ultra-progressiste fournit encore plus de munitions aux démagogues. Un cercle de plus en plus vicieux.”



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Author : Agnès Poirier

Publish date : 2025-01-15 18:00:00

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