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Anne-Aymone Giscard d’Estaing : “Beaucoup ont vécu la loi sur l’IVG comme une remise en cause de leur masculinité”

Anne-Aymone Giscard d'Estaing




Une blouse de soie crème sous un tailleur chocolat. La voix est fluette mais le regard noisette d’Anne-Aymone Giscard d’Estaing n’a rien perdu de sa sagacité. Le 17 janvier 2025, la France célébrera le demi-siècle de la loi Veil qui grave dans le marbre la dépénalisation de l’avortement. Les témoins directs de cette avancée sociétale majeure se font de plus en plus rares. A 92 ans, l’ex-première dame veille scrupuleusement sur l’héritage politique de son mari. Dans le nid douillet de son appartement parisien, au milieu de bronzes anciens, de pastels de Pissaro et d’estampes japonaises précieuses, Anne-Aymone Giscard d’Estaing a livré ses souvenirs à L’Express. Et confié comment et pourquoi Valéry Giscard d’Estaing, ce jeune président élu en 1974, profondément croyant, a porté et soutenu bec et ongles le texte de loi défendu par Simone Veil à l’Assemblée nationale. VGE, le président le plus féministe de la Ve République ?L’Express : Comment le combat pour la dépénalisation de l’avortement est-il né dans l’esprit du président Valéry Giscard d’Estaing, dont le rêve politique était celui d’une “société libérale avancée” ?Anne-Aymone Giscard d’Estaing : Je ne pourrais pas dire précisément quel a été pour lui l’événement déclencheur, mais je me rappelle très bien le sentiment de grande injustice qu’il a ressenti au moment du procès de Bobigny en 1972. Il l’avait évidemment beaucoup suivi. Et ce qui lui importait, c’était de mettre fin à la pénalisation de l’avortement. Michel Poniatowski, qui était ministre de la Santé pendant la dernière année de la présidence de Pompidou, avait, lui aussi, envisagé cette dépénalisation, et ils en avaient parlé tous les deux, puisqu’ils étaient très liés. De fait, ils ont construit ensemble le programme de l’élection de 1974. Pour mon mari, cet engagement a été fondateur car il savait que son camp politique y serait opposé, notamment pour des raisons religieuses.Vous avez été très active pendant la campagne de 1974. Avez-vous aussi poussé dans ce sens ?Pendant plusieurs années, j’ai accompagné une association qui œuvrait à Aubervilliers pour aider les familles en difficulté. A de nombreuses reprises, j’ai eu l’occasion de rencontrer des jeunes femmes qui se trouvaient dans des situations terribles. Je me souviens d’une en particulier qui avait à peine plus de 30 ans. Elle avait déjà 6 enfants, vivait dans un HLM sans beaucoup de facilités, et nous savions que son mari rentrait souvent le soir aviné. Elle n’avait aucun recours si elle tombait une nouvelle une fois enceinte. Cette injustice sociale m’a beaucoup touchée, d’autant que je croisais aussi beaucoup de femmes issues de catégories sociales bien plus aisées qui me confiaient partir en Suisse ou à Londres pour se faire avorter. Pour moi, il s’agissait aussi de réparer une injustice sociale profonde.Comment Valéry Giscard d’Estaing a-t-il réconcilié ce besoin de justice sociale avec ses convictions religieuses ?La nécessité de remédier à une grande injustice a pris le pas sur sa conviction chrétienne. Je sais que lorsqu’il a rencontré les souverains pontifes, Paul VI en 1977 puis Jean-Paul II en 1980, ce sujet a été abordé. Mais Valéry considérait qu’un chef d’Etat devait surtout tenir compte des besoins de ses concitoyens et ne pas leur imposer ses convictions.Cette décision a-t-elle été contestée immédiatement parmi ses amis politiques ?Oui et ce fut très difficile pour lui. Le garde des Sceaux, Jean Lecanuet, était démocrate-chrétien. Ce dernier lui a immédiatement dit qu’il ne s’opposerait pas publiquement au projet de loi mais qu’il ne pourrait pas le soutenir, alors même que c’était à lui de le défendre à la tribune de l’Assemblée nationale. C’est pourquoi, finalement, la défense du projet a été confiée à la ministre de la Santé. En réalité, le texte de loi était déjà ficelé quand il a été confié à Simone Veil.Les débats à l’Assemblée nationale ont été d’une violence inouïe. Michel Debré parle alors “d’une monstrueuse erreur historique”. Jean Foyer, ancien garde des Sceaux du général de Gaulle, évoque des “avortoirs”. Jusqu’à Jean-Marie Dahier, un député du centre, qui ose parler “d’embryons jetés au four crématoire” devant Simone Veil. Comment le président a-t-il vécu ces trois jours de débat ?Je me rappelle une extrême tension. Nous nous sommes rendu compte à ce moment-là qu’il y a des idées tellement profondément ancrées chez les hommes qu’ils ont des réactions qu’on ne peut pas imaginer. Beaucoup ont vécu cette loi comme une remise en cause de leur masculinité. Il faut se rappeler une société extrêmement traditionnelle et patriarcale. Ce qui est frappant, c’est qu’à aucun moment dans les expressions des opposants, il n’a été question des droits des femmes, jamais. C’étaient les droits des hommes, avant tout ! Evidemment, Valéry était choqué. Mais il n’a jamais douté de la nécessité de faire adopter cette loi et donc il a essayé par tous les moyens de peser sur le vote.A-t-il craint que le projet de loi ne soit pas voté à l’Assemblée nationale ?Je n’ai pas de souvenirs précis, mais il est certain que ce fut très difficile. Puisque finalement ce sont ses adversaires politiques – les députés de gauche – qui ont le plus voté pour.En a-t-il été meurtri ?Oui, sûrement. Mais il considérait que c’était quelque chose qu’il fallait faire. Il a assumé de tordre le bras de sa propre famille politique.Légalisation de l’avortement, remboursement de la pilule, divorce par consentement mutuel… Valéry Giscard d’Estaing avait-il une certaine idée du féminisme…Il a été un président très féministe et on l’a un peu trop oublié ! D’ailleurs, toutes les avancées dont vous parlez se sont faites au début de son septennat. Elles avaient été théorisées avant son élection. Pour lui, la politique n’était pas uniquement un jeu de pouvoir, mais d’abord un outil pour améliorer la société.Est-ce que, des années, des décennies après, le fait que ce féminisme engagé ne soit pas plus souvent mis à son bilan l’a attristé ?Oui, sûrement… Il a beaucoup souffert de ce qu’il a considéré comme l’ingratitude de ses concitoyens. Ce n’est pas du tout pour lui enlever des mérites, mais dans l’imaginaire français, cette loi est citée comme la loi Veil, et associée à la personnalité très forte de Simone Veil. Mais le fait que ce soit elle qui ait défendu la loi est une chose un peu fortuite, puisque normalement, c’était au garde des Sceaux de le faire s’agissant d’une loi qui changeait une loi…Vous avez parlé de la position de Jean Lecanuet au sein du gouvernement, vous souvenez-vous d’autres oppositions ?Jacques Chirac n’y était pas favorable non plus. Mais, cela aurait fait mauvais genre que le Premier ministre ne soutienne pas une loi aussi symbolique.Il a été un président très féministe et on l’a un peu trop oublié !Y a-t-il quelque chose dans la trajectoire de Valéry Giscard d’Estaing, dans son enfance, son parcours, qui pourrait expliquer cet engagement féministe ?Je ne saurais pas vraiment l’expliquer. Il a grandi dans une famille assez traditionnelle. Sa mère, dont il était très proche, avait été un peu une pionnière à son époque. Vivant en Auvergne, elle avait passé le “bachot”. C’était quand même quelque chose…Comment vous avez vécu, l’année dernière, la constitutionnalisation de l’IVG ? Est-ce que pour vous une forme de parachèvement de l’œuvre de votre époux ?Je pense qu’il n’y aurait pas du tout été favorable. Il considérait que la Constitution était faite pour régler la vie institutionnelle du pays, pas pour graver dans le marbre des lois. C’est un peu un abus d’usage de la Constitution.La société a beaucoup évolué. Aujourd‘hui, le mouvement MeToo dénonce notamment les violences sexuelles. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle génération de féministes ?Je pense qu’elles ont sûrement de bonnes raisons de se remuer ! Il y a encore trop de lourdeurs sociologiques qui font que, par exemple, la culture du viol n’a pas encore totalement disparu. C’est ce qu’il faut changer. Comme dans tout mouvement, il y a toujours un côté excessif. Mais basiquement, leur contestation est une chose utile. Certes, la société a beaucoup changé en cinquante ans, mais je pense qu’il y a encore dans le fondement psychique de certains hommes l’idée selon laquelle la femme est un être inférieur. Regardez dans le domaine professionnel, il reste encore pas mal de chemin à parcourir pour obtenir une véritable égalité. Statistiquement, nous ne sommes pas arrivés à la parfaite parité. Ceci étant, vouloir imposer la parité est un peu absurde.Trouvez-vous que le droit des femmes a davantage progressé que celui des enfants…Tout à fait ! Quand on voit le peu de cas qu’on fait de la protection de l’enfance encore aujourd’hui, je suis effarée. J’ai créé en 1977 la Fondation pour l’enfance et, à l’époque, Simone Veil et d’autres ministres m’avaient déconseillé de le faire en me disant que je n’aurai que des ennuis. Nous espérions beaucoup faire évoluer les choses, mieux protéger les enfants, combattre les violences intrafamiliales. Et là-dessus, vraiment, ça n’a pas beaucoup changé. Depuis au moins vingt ans, il n’y a pas eu de secrétariat d’Etat ou de ministère spécifiquement consacré aux problèmes de l’enfance. L’Aide sociale à l’enfance est une institution laissée à l’abandon et sa situation est catastrophique. Les départements, notamment ruraux, n’ont pas les moyens financiers de venir en aide aux mineurs non accompagnés. L’Etat devrait se réengager sur ce sujet.Comment expliquez-vous le peu de cas donné à la protection de l’enfance ?Peut-être parce que les enfants ne sont pas des électeurs…



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Author : Béatrice Mathieu, Etienne Girard

Publish date : 2025-01-16 17:26:49

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