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Comment la phobie d’Elon Musk met en lumière nos propres faiblesses

Le PDG de Tesla Elon Musk, ici à Washington le 5 décembre 2024.




A en croire les déclarations de nombreux responsables politiques, Elon Musk serait devenu l’une des plus grandes menaces pesant sur la démocratie européenne. Dès lors, il faudrait le combattre de toute urgence, notamment en suspendant voire en interdisant le réseau X sur le territoire français. Le président Macron dénonce une “internationale réactionnaire” et le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot estime même “possible” le bannissement de X.Qu’en penser ? On ne devient pas l’homme le plus riche du monde par un coup de chance. Assurément, Elon Musk est l’un des entrepreneurs les plus visionnaires de notre époque. Ceci étant dit, nombre de ses déclarations farfelues relatives à la politique européenne suscitent à juste titre des critiques. Nous ne soutenons pas ses prises de position lunatiques. L’homme constitue-t-il pour autant un danger pour la souveraineté des Etats de notre continent ?On lui reproche d’abord son “ingérence” dans la politique de plusieurs Etats européens. Assurément, il ne s’est pas privé de commenter férocement la vie politique européenne. Mais, juridiquement, l’ingérence désigne l’intervention d’une puissance étrangère dans les affaires d’un Etat. Or, même si Musk sera bientôt investi et représentera les Etats-Unis au plus haut niveau, il n’est pas encore à ce jour officiellement Secrétaire d’Etat : il agit encore à titre privé. Par ailleurs, quand, en 2017, Barack Obama a recommandé de voter pour Emmanuel Macron, nous n’avons entendu nulle part parler “d’ingérence”. Bien au contraire, la presse a salué avec joie et fierté ce “magnifique soutien”.Une multitude d’intellectuels, de mandataires, de syndicats, de journalistes considèrent aujourd’hui que l’influence de Musk menacerait le processus électoral. Serait-ce la première fois qu’un magnat médiatique influe sur la vie politique ? Non. C’est aussi vieux que la démocratie. Pourquoi s’en indigner alors même que, bizarrement, personne ne s’indigne quand le milliardaire Mathieu Pigasse, patron de presse (actionnaire majoritaire du Monde, des Inrockuptibles, etc.) déclare dans Libération : “Je mets mes intérêts financiers au service de mes idées. (…) Je veux mettre les médias que je contrôle dans le combat contre la droite radicale” ? Au demeurant, il en a parfaitement le droit.Notons d’ailleurs qu’Elon Musk ne contrôle pas un média traditionnel en tant que tel mais utilise son profil sur X pour donner, toutes les cinq minutes, son avis sur tout et n’importe quoi à travers des tweets généralement loufoques. Il exerce sa liberté d’expression. Ni plus ni moins. Comme n’importe qui. A commencer par ses détracteurs. Oui mais, nous dira-t-on, 212 millions de personnes sont abonnés à son compte. Et alors ? Posons-nous la question autrement : existe-t-il un stade où la popularité vous priverait de votre liberté de parole ? Un stade où vous seriez – à tout le moins – obligé de vous exprimer parcimonieusement et avec réserve ? Non. Absolument pas. Si oui, à partir de combien de millions ? Doit-on légiférer là-dessus ? Absurde. Evidemment, la liberté d’expression a aussi des limites. S’il tient des propos diffamatoires, calomnieux, racistes, incitant à la haine, Musk, comme n’importe quel citoyen, est passible de poursuites pénales.”Sauver” la démocratieOn nous dira que Musk est un danger en raison de la possibilité qu’il aurait de “manipuler” l’opinion publique. Remarquons d’emblée le caractère cocasse de ce discours visant à “sauver” la démocratie en privant tous les utilisateurs de X du droit de s’exprimer. A les en croire, la démocratie serait un régime où des représentants sont élus au moyen d’un suffrage exprimé par un ensemble de personnes fragiles, influençables et vulnérables qu’il faudrait absolument protéger contre elles-mêmes. Des personnes intellectuellement trop faibles pour faire preuve de discernement. Mais cette conception de l’humanité n’est-elle pas précisément la conception des intellectuels qui – avant la consécration de la démocratie – luttaient précisément non pas “pour” mais “contre” la démocratie ? Celle des gens qui pensaient la démocratie impossible ? Des gens qui, comme le dénonçait déjà Emmanuel Kant, voulaient maintenir les hommes “sous tutelle”. C’est bizarre car, nous pensions naïvement, avant de les entendre que la démocratie était un système reposant sur la conviction que le citoyen est à même de poser un choix libre et éclairé indépendamment des influences auxquelles il est exposé.Bannir “X” au nom de la démocratie ? Sérieusement ? A suivre cette logique, pourquoi s’arrêter là ? Vu qu’il y a toujours un danger d’abuser de n’importe quelle liberté, pourquoi, dès lors, ne pas toutes les supprimer pour protéger la démocratie ? Notre système n’est-il pas plutôt censé reposer sur la confiance en l’humain ? Avec, évidemment, des règlementations, en l’occurrence, le Digital Service Act (DSA) auquel tous les réseaux sociaux sont soumis en Europe et assurant notamment la transparence sur les choix de modération (La Commission européenne a ouvert en décembre 2023 une enquête visant X, soupçonné d’infractions aux nouvelles normes européennes : NDLR). Faut-il aller plus loin ? Car, n’en déplaise aux censeurs et aux sacrificateurs du bouc-émissaire, la vérité est que le vrai le problème, ce n’est pas, fondamentalement, Elon Musk. Ce n’est même pas X. Mais les abus qui, sur tous les réseaux sociaux, peuvent être commis par les centaines de millions d’utilisateurs.Raison pour laquelle l’un des deux signataires de cette tribune a – en sa qualité de Secrétaire d’Etat à la Digitalisation en Belgique – fait adopter les 11 et 12 avril 2024, durant la présidence belge de l’Union européenne, la Déclaration de Louvain-La-Neuve, signée par les 27 Etats Membres. Elle vise à responsabiliser les utilisateurs en permettant, à ceux qui le désirent, de faire authentifier leur identité par la mise en œuvre d’une signalétique labellisée reposant sur une régulation européenne appelée eIDAS. En clair, ce système, s’il est mis en œuvre, permettra à chacun de distinguer les vrais et les faux profils. Il n’est pas obligatoire et il peut aussi, troisième possibilité, être adopté par quelqu’un désireux de garder un pseudonyme (tout en acceptant d’être authentifiable par les autorités). Son grand avantage est de permettre aux utilisateurs qui le désirent de n’interagir, via un système de filtre, qu’avec de vrais profils, c’est-à-dire des gens dont on peut retrouver l’identité en cas de litiges, des gens qui acceptent et assument les conséquences de leurs comportements et écrits sur les réseaux sociaux, bref, des gens responsables. Cela permettrait de réduire considérablement la violence existant sur ces réseaux et renouer avec la convivialité et le débat argumenté.Renforcer les armes de la démocratieDans un monde où la liberté d’expression semble de plus en plus déranger, la réponse ne doit pas être de diminuer la liberté d’expression mais de lui fournir les moyens de s’épanouir en limitant ses abus. Dans cet ordre d’idées, nous devons renforcer plus que jamais les armes premières de la démocratie que sont l’éducation et la culture, l’esprit critique et l’humanisme des Lumières. Nous devons urgemment disposer des outils régulatoire et technologiques qui nous permettent d’exercer notre lucidité, notre esprit critique et notre responsabilité.2025 est l’année européenne de l’éducation à la citoyenneté numérique. Une année propice pour s’interroger sur la société universelle que nous voulons construire ensemble. Nous ne voulons pas d’une société glissant les tabous sous le tapis. Cacher ce dont nous ne voulons pas ne le fait pas cesser d’exister. Très souvent, c’est d’ailleurs le contraire qui se produit. Surtout à l’ère des réseaux sociaux…Dans un contexte où l’Europe digitale a du mal à soutenir la comparaison avec son voisin d’Outre-Atlantique, la muskophobie ne révèle-t-elle pas une frustration par rapport à nos propres manquements ? La pusillanimité du monde politique, médiatique et académique face à un certain nombre de sujets dont il est devenu difficile de parler en France et en Europe (communautarisme, antisémitisme, sécurité, immigration, intégration, coût social de la transition écologique, etc.) conduit à la colère sociale et alimente les extrémismes de droite et de gauche qui bourgeonnent un peu partout. Quand la presse n’aborde pas ces questions en profondeur, les réseaux sociaux servent d’exutoire. En condamnant Musk ne confondons-nous pas la cause et l’effet ?Nous nous retrouvons dans cette situation absurde où notre grand continent qui a vu naître la démocratie, les droits de l’homme, la science, le progrès, etc. est désormais terrifié par les tweets d’un milliardaire américain…Faut-il interdire X ou créer nos propres réseaux ? Bannir Musk ou développer une véritable stratégie digitale européenne ? De la même manière que l’élection de Trump a révélé notre dépendance militaire aux Etats-Unis et le caractère précaire de la sécurité de notre continent, les rodomontades de Musk sont le miroir de nos faiblesses et de nos lâchetés. Dans un cas comme dans l’autre, elles doivent être l’occasion d’un sursaut salutaire pour l’Europe.*Corentin de Salle, directeur scientifique du Centre Jean Gol et Mathieu Michel, Secrétaire d’Etat à la Digitalisation (Belgique), membres du Mouvement réformateur (libéral) belge.



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Publish date : 2025-01-17 06:30:00

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