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Albina du Boisrouvray, présidente de l’ONG FXB : “J’ai été beaucoup plus utile en restant loin de la politique”

Albina du Boisrouvay en Inde avec l'association FXB, Bhojpura Camp, Jaipur le 23 décembre 2003




C’est à l’heure du thé, par un dimanche froid et ensoleillé, qu’Albina du Boisrouvray reçoit chez elle. Très vite, on remarque les éléments de décor entraperçus dans ses vidéos postées sur TikTok et Instagram. À 83 ans, celle qui fut au cours d’une vie bien remplie, successivement – pour ne pas dire tout à la fois – militante, productrice, journaliste, bénévole, est suivie par quelque 178 000 personnes tous réseaux sociaux confondus. Niché au sommet d’un immeuble haussmannien, son appartement parisien déborde d’indices sur cette personnalité sans pareil. Un alliage d’ancien et de moderne à la fois cossu et sobre, à l’image de l’occupante occasionnelle des lieux. “J’essaie de passer le moins de temps possible à Paris… Pour être honnête, je ne suis pas tout à fait à l’aise en ville. Là où je me sens vraiment chez moi, c’est dans ma campagne portugaise, ou dans mon Valais”, confie ce petit bout de dame, dont le sourire exprime la bienveillance.”(Son) Valais” – c’est comme ça qu’elle l’appelle – est son “cocon”, sa “bouffée d’oxygène”, mais surtout, le terrain de jeu de son fils, François-Xavier Bagnoud. Nous voilà au début des années quatre-vingt. La mèche blonde, les traits fins, les lèvres généreuses, le jeune homme a la vingtaine. Il est sauveteur en haute montagne. Un métier qui se confond avec sa passion pour le vol héritée de son père et de son grand-père maternel, le comte Guy de Jacquelot du Boisrouvray. Le même qui à sa fille unique, Albina, souffle un jour : “Dis-donc, ça ne t’inquiète tout de même pas de voir ton fils voler dans ces machins-là”. Inquiète, bien sûr qu’elle l’est. Mais à quoi bon priver son enfant de ce dont il ne peut se passer ? Une quarantaine de printemps plus tard, les souvenirs d’Albina du Boisrouvray demeurent intacts : “À chaque Noël, je me cassais la tête pour lui trouver des cadeaux. Mon second mari, Georges Casati me répétait : ‘M’enfin, aux yeux de François, quel objet peut donc concurrencer un hélicoptère ?'”.Albina du Boisrouvray aux côtés de son fils François-Xavier BagnoudAucun, bien sûr. C’est dans cette machine volante que François-Xavier Bagnoud a trouvé la vie. C’est également là qu’il l’a perdue un 14 janvier de l’an 1986. Un matin qui avait commencé comme les autres pour sa mère, alors à Paris. À onze heures moins cinq, le téléphone sonne. À l’appareil, Bruno Bagnoud, le père de François-Xavier. “Il voulait me prévenir avant que l’information ne passe aux nouvelles de 11 heures”, se rappelle Albina du Boisrouvray, les yeux embués par le chagrin. “Je fus calcinée dans les flammes, émotionnellement incinérée”, écrira-t-elle trente-six ans plus tard dès les premières pages de ses mémoires Le courage de vivre. Son fils unique, à qui elle était “dédiée corps et âme” depuis sa naissance le 11 septembre 1961, est mort aux manettes de son hélicoptère aux côtés de Daniel Balavoine avec qui il s’était lancé dans le Rallye Paris-Dakar.Un déjeuner avec Nelson MandelaS’en suit un défilé de journées à ne fabriquer rien d’autre que des larmes. “J’avais le sentiment que ma vie était terminée, je n’avais plus d’identité, c’était comme si je n’avais été rien d’autre que la maman de François”, conte Albina du Boisrouvray. Alors président de Médecins sans frontières (MSF), Bernard Kouchner lui téléphone une poignée de jours après l’accident. “Maintenant que François n’est plus là, je vais malheureusement avoir tout le temps du monde pour partir en mission avec MSF”, se voit-elle lâcher, stupéfaite de cette témérité jaillissant d’une fébrilité qui avait pris possession d’elle après la mort de son fils. “Je me suis entendue dire l’impensable, je ne comprenais pas comment j’avais pu prononcer cette phrase”. Qu’importe, le S.O.S a été entendu et retenu. L’année suivante, Bernard Kouchner téléphone à son amie, ne lui laisse pas le choix : “Prépare ta valise, on part au Liban aider les victimes du conflit”.Le pays du cèdre est alors en guerre civile depuis une douzaine d’années. Là-bas, Albina du Boisrouvray, qui distribue médicaments et vivres, rencontre des Libanais dont la famille entière a été décimée. “J’ai pris conscience que mon malheur n’était qu’anecdotique par rapport à la souffrance qui emportait d’autres”. Deux ans durant, elle met son énergie au service de Médecins sans frontières. Une expérience “profondément humaine” qui lui ouvre un appétit philanthropique dont elle ne sera jamais véritablement rassasiée. “J’ai très vite eu envie de faire plus. À l’époque, l’enjeu planétaire était le Sida”. Aussi, fonde-t-elle en 1989 une ONG, “FXB” – les initiales de son fils, François-Xavier Bagnoud. À sa genèse, l’organisation vient en aide aux orphelins du Sida. Pour la doter de moyens, Albina du Boisrouvray vend tableaux, hôtels, et maisons. Au total, plus de 100 millions de dollars sont injectés dans la Fondation. “Problème : alors que je pensais pouvoir répliquer en Afrique le modèle de maison d’accueil que j’avais mis en place aux États-Unis, je me suis rendue compte une fois sur place que ce problème concernait non pas quelques dizaines de milliers d’enfants, mais bien plus !”.Albina du Boisrouvray et Nelson Mandela en 2000 lors d’un voyage en Afrique du SudÀ la fin des années quatre-vingt, près d’un quart des femmes enceintes sont infectées par le VIH dans la capitale ougandaise d’après les données de l’Institut national d’études démographiques (Ined). La décennie qui suit connaît une explosion de cas sur le continent africain. “L’épidémie a rajouté du tragique à l’existence de personnes qui vivaient déjà dans l’extrême pauvreté, il fallait donc trouver un modèle qui permette à ces familles de sortir de cette indignité”, explique Albina du Boisrouvray. La quadragénaire d’alors eut l’idée de créer le “micro-dons”. Un capital – à la place du prêt – octroyé aux familles pour leur permettre en trois ans, de mettre sur pied des entreprises. Naissent ainsi les “villages FXB”. Exploitations agricoles, commerces locaux… Quelque 100 000 personnes à travers l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine sont parvenues à devenir économiquement et socialement autonomes. Une fierté pour Albina du Boisrouvray qui n’a rien oublié du déjeuner qu’elle a partagé avec Nelson Mandela en l’an 2000. “Il m’a félicitée pour notre travail, et a admis ne pas s’être suffisamment impliqué dans la lutte contre le VIH. Cette humilité fut saisissante”.La guerre d’Algérie, L’Express, “Françoise”, et sa mèreSi d’aucuns tissent un lien entre la générosité de la comtesse du Boisrouvray et la mort de son fils en 1986, son “réflexe humaniste” remonte à ses jeunes années. Son premier “combat” fut la décolonisation et l’opposition à la guerre d’Algérie, déclenchée en 1954. Dans les rues de Paris, elle manifeste le poing levé aux côtés de partisans du FLN. “À seize ans, un policier m’a donné un coup de bâton sur l’épaule. Lorsque mon père – pourtant très conservateur – m’a vu rentrer chez moi avec un énorme bleu, il a admis que les Anglais avaient beaucoup mieux géré leur décolonisation que nous”, sourit-elle, prenant le soin de préciser que “bien que de droite et perverti par le fric”, son père, résistant de la première heure, avait l’âme à gauche.”Sur la tombe de Che Guevara”, article paru dans L’Express du 4 mars 1968, sur la base des informations glanées par Albina du BoisrouvrayC’est au coeur de ce conflit que la jeune Albina découvre les éditoriaux de Françoise Giroud et de Jean-Jacques Servan-Schreiber, mythique couple fondateur de L’Express et pourfendeurs de la guerre d’Algérie. “Françoise était pour moi un modèle de réussite, d’indépendance, de liberté, de courage… Elle a cassé ce plafond de verre, ce mépris des femmes et la négation de leurs capacités. Quand Jean-Jacques est parti à la guerre [d’Algérie, NDLR], c’est elle qui a dirigé le journal.Lorsqu’il en est revenu, il a trouvé un joyau.” Déterminée à rencontrer cette patronne de presse qui la fascine tant, Albina du Boisrouvray, tout juste un quart de siècle, parvient à se faire inviter à un dîner qui compte parmi les convives Françoise Giroud. “On a immédiatement connecté, c’était comme une évidence”. Début 1968, elle livre à l’hebdomadaire mendésiste un scoop sur la mort de Che Guevara. “Ce qui n’avait pas plu à Jean Daniel [l’ancien patron du Nouvel Obs, pour qui elle écrivait], mais j’aimais tellement Françoise… Elle était un peu comme la mère que je n’avais jamais eue”.Élevée entre New York, Paris et Marrakech dans un luxe qu’elle a depuis “l’âge de la raison” estimé démesuré, Albina du Boisrouvray souffre dans son enfance de carences affectives. Issue de l’aristocratie française, son père “à l’image de nombreux autres à l’époque”, se montre peu démonstratif. Sa mère, bolivienne, héritière d’une fortune colossale amassée grâce à l’exploitation des mines d’étain, la délaisse. Avec elle, les relations seront conflictuelles jusqu’à ce que mort les sépare à l’aube des années soixante-dix. Albina a alors 19 ans, et peine à éprouver une quelconque tristesse pour cette “pauvre femme, immigrée, mal introduite par son mari en France” et qui selon elle, ne l’a jamais vraiment aimée. “À sa mort, je ne voulais rien d’elle, et surtout pas de tout cet argent. Lorsque mon père m’a fait signer des tas de papiers pour que je n’hérite pas directement de sa fortune, j’étais ravie, j’étais même complice”, s’amuse-t-elle aujourd’hui encore.Son débat avec un ancien locataire de MatignonCes “papiers” signés sous les ordres de son père ? La punition de sa “rébellion” à laquelle elle consacre une importante partie de ses mémoires publiées en 2022. “J’ai toujours été une indignée qui ne supportait pas l’injustice”, relate celle qui admet sans pudeur aucune avoir été proche des cercles maoïstes et trotskistes à l’aube des années soixante-dix. À l’époque, sur sa table de chevet, trônaient les livres des grands penseurs marxistes. De retour des États-Unis où elle avait ouvert une société de production – “question de principe, j’ai très vite compris que l’argent était une corde dorée qui permettait à ceux qui en détenaient l’extrémité de vous tenir, il était donc hors de question pour moi de dépendre financièrement de ma famille” – elle se rapproche des Amis de la Terre. Initié outre-Atlantique, le mouvement a été importé par René Dumont et Brice Lalonde.Aux législatives de 1978, Albina du Boisrouvray est alors candidate dans le 8e arrondissement de Paris. À 39 ans, la jeune femme débat face à Maurice Couve de Murville, député de la VIe circonscription et surtout, ancien Premier ministre du général de Gaulle (1968-1969). Dans les urnes, elle obtient plus de 6 % des suffrages exprimés, soit le double du résultat national de son parti écologiste. L’année suivante, Brice Lalonde lui propose alors de figurer sur la liste pour les élections européennes. Refus catégorique. “J’ai détesté l’expérience de la vie politique, et j’ai surtout vite compris que beaucoup se résumait à de la négociation en arrière-boutique. Par ailleurs, tous mes amis que j’ai vus défiler au Parlement européen se sont rendu compte qu’ils ne faisaient que voter des textes déjà discutés, et que leur pouvoir est extrêmement limité”.Cap sur l’acte II de la Fondation FXB GlobalDes retours qui confortent Albina dans l’idée que la politique ne lui permettrait pas de concrétiser les idées qui, dans son esprit, fusent. “Je suis convaincue aujourd’hui que j’ai été beaucoup plus utile en menant des projets dans le cadre d’ONG et d’associations, que je ne l’aurais été si j’avais été élue à l’Assemblée nationale ou à Strasbourg [siège du Parlement européen, NDLR]”. En trois décennies, sa fondation FXB Global est parvenue à sortir près de 20 millions de personnes de l’extrême pauvreté. Un an après avoir repris la présidence de son association laissée au début des années 2010, Albina du Boisrouvray compte lui donner une nouvelle impulsion. À 83 ans, c’est elle qui, depuis son ordinateur, offre au logo de sa fondation un élixir de jeunesse.Une tasse en porcelaine fine au bout des lèvres et les yeux qui pétillent, Albina explique les couleurs choisies pour chaque lettre, leur signification et les mésaventures rencontrées dans l’élaboration numérique de ce nouvel emblème. Une des premières étapes vers le “second chapitre” de FXB, dont elle a déjà commencé à écrire les premières lignes. “Les populations les plus pauvres étaient menacées par le Sida. Elles le sont aujourd’hui par le réchauffement de la planète”. Ainsi, il s’agira de préservation de l’environnement et d’aides aux populations les plus touchées par le dérèglement climatique. Des enjeux face auxquels la classe politique, “mue par ses propres intérêts”, n’est selon elle pas à la hauteur. Même les Écologistes ? “Ils peuvent avoir de bonnes idées, mais ils n’ont aucune lucidité sur la nécessité de continuer à consacrer une part de notre mix énergétique à l’énergie nucléaire”, soupire Albina du Boisrouvray qui accorde toutefois aux élus une certaine indulgence : “Rien n’est simple lorsque l’on est étranglé par une dette qui s’alourdit à toute vitesse”.Une chose est sûre : le climat politique et ses turbulences la confortent dans l’idée que “la société civile est là pour s’infiltrer là où les politiques n’ont pas le courage d’aller”. Une conviction qui la porte depuis des années. La preuve, dans le numéro du 15 juin 2000 de L’Express : “L’humanitaire, c’est la vraie politique !”.Le courage de vivre, par Albina du Boisrouvray. Éditions Flammarion (2022). 480 p., 23 €.



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Author : Ambre Xerri

Publish date : 2025-01-18 13:00:00

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