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Entre les géants de la Tech et l’UE, la guerre est déclarée : qui aura le dernier mot ?

Photo d'illustration créée le 7 janvier 2025 à Washington, avec des images de Mark Zuckerberg et du logo de Meta




Il n’était pas dans les premiers rangs, avec Snapchat ou LinkedIn. Pas non plus au dernier, en compagnie de l’insolent X, de l’agité TikTok, ou du cancre Telegram. Aux yeux de l’Union européenne, Meta était, sur la modération, un élève pas toujours volontaire, mais à l’écoute. Depuis 2016 et au gré des scandales (Cambridge Analytica, Facebook Files…), son dirigeant et fondateur, Mark Zuckerberg, a œuvré plutôt positivement sur les contenus publiés sur ses plateformes. Une priorité pour l’UE, qui conditionne l’accès à son marché de 450 millions de personnes à des règles strictes de protection des utilisateurs. Adopté en 2022, ce garde-fou démocratique s’est traduit par la réglementation sur les services numériques, dite DSA.Le 7 janvier, coup de théâtre : Mark Zuckerberg a bruyamment rejoint le fond de la classe, boulettes de papier en main. La modération réclamée par l’Union européenne ? De la censure, contraire à la “liberté d’expression”, a-t-il taclé dans une vidéo. Les fact-checkeurs, ces partenaires au sein des médias, chargés de lutter contre la désinformation ? Renvoyés et remplacés par des “notes communautaires” aux Etats-Unis, mais vraisemblablement bientôt partout dans le monde. Cette volte-face était la plus redoutée par l’UE : Meta dispose du groupement de réseaux sociaux et de messageries le plus puissant du monde, avec environ 3,5 milliards d’utilisateurs. Et son ressort semble moins idéologique que cynique : il s’agit, pour le créateur de Facebook, de s’aligner sur la volonté du nouveau duo fort de l’Amérique. “Trusk”, l’alliance entre le président républicain Donald Trump et Elon Musk, accusé d’ingérences sur le Vieux Continent via son réseau social X (ex-Twitter).Cette situation pose un défi vital aux 27 Etats membres : comment faire respecter son jeune règlement face à une Silicon Valley déjà très puissante économiquement et qui se rallie désormais massivement derrière “Trusk”, prompt à déclencher une guerre commerciale à quiconque se dresse sur sa route ? La Commission européenne, décisionnaire exclusif sur le DSA en ce qui concerne les très grandes plateformes – celles rassemblant plus de 45 millions d’utilisateurs sur le continent -, est d’abord restée muette. Pire, des informations ont circulé sur la mise en pause ses enquêtes en cours concernant la Big Tech, dans Le Monde et le Financial Times. Pas moins de six, aujourd’hui, touchant Meta, X, ou encore TikTok, sur le fondement du DSA.L’Europe prise de coursPas aidée par l’hospitalisation de sa présidente, Ursula von der Leyen, la Commission a dans un premier temps démenti. Du bout des lèvres. Les dossiers contre la Big Tech seraient en fait embourbés à des stades “techniques” et non politiques. Y compris le plus avancé, celui sur X, ouvert depuis décembre 2023, et dont des conclusions préliminaires ont déjà été publiées – ce qui ne met pas fin à l’enquête, mais laisse la possibilité au réseau de se défendre et de se mettre en conformité. Les investigations contre Meta, elles, ne sont pas arrivées à ce niveau. Enfin, en l’absence de mise en œuvre concrète des dernières menaces de Zuckerberg en Europe, une nouvelle enquête ne peut, a priori, pas être ouverte sur ce motif.Alors, à défaut de les résoudre ou de pouvoir en ouvrir, Bruxelles a décidé d’étendre une procédure en cours. Vendredi 17 janvier la Commission a annoncé l’élargissement de son enquête… sur X. L’institution réclame dorénavant au réseau social “de fournir une documentation interne sur ses systèmes de recommandation et toute modification récente qui y a été apportée”. Tout en lui imposant, à compter du même jour, de conserver jusqu’au 31 décembre toute sa documentation à ce sujet – au cas où X aurait la mauvaise idée de la duper. Une procédure maligne, prévue dans ses textes, et qui aiderait à résoudre une énigme : est-ce que X est manipulé par son détenteur pour y diffuser sa propre vision du monde ?Attention, néanmoins, aux faux espoirs. Cette investigation, très technique, sera sûrement longue, comme les précédentes. “L’application du droit est un combat sans fin et il faut se doter des équipes et des compétences pour pouvoir le faire respecter”, esquissait l’ex-Commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, auprès de L’Express il y a quelques mois. Cela n’a pas changé. Enfin, pour ce qui est du DSA, une bonne collaboration des entreprises est également nécessaire. Contrairement à une idée répandue, l’UE ne “censure” pas les contenus à la source et ne détermine pas non plus ce qui est illégal ou non. “Le DSA n’évoque même pas la question du fact-checking par les médias, il ne rentre pas dans ce type de détail”, indique par exemple Julien Guinot-Deléry, avocat spécialiste des nouvelles technologies au sein du cabinet Gide Loyrette Nouel, à propos du changement de politique de Mark Zuckerberg. En clair, le simple abandon de cette pratique ne rend pas coupable Meta de facto.Des sanctions lourdes”Le règlement met à la charge des très grandes plateformes des obligations d’identification des risques systémiques et de mise en œuvre de mesures pour y remédier”, synthétise Charles Bouffier, avocat au cabinet Racine. Une sorte d’autoévaluation, sur des “risques” volontairement larges, comme “les effets négatifs sur les élections et le débat public”. C’est ici que l’abandon du fact-checking par Meta pourrait, à un moment, se payer. Ou l’éventuelle modification volontaire de l’algorithme de X par Elon Musk. Un autre risque est “l’entrave à la liberté d’expression”. Car oui, les plateformes américaines ne sont pas toujours aussi free speech qu’elles le prétendent. Meta est notamment poursuivi par l’UE, depuis le printemps dernier, pour avoir atténué la visibilité des contenus politiques, sans aucune transparence. L’inverse de ce qu’il promeut aujourd’hui.Quoi qu’il en soit, ce processus demande du temps. La Commission doit, en outre, préparer le coup d’après. Les entreprises visées dans le cadre du DSA peuvent effectuer un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne. Ce qui paraît inévitable : les géants de la tech ont systématiquement fait appel de leurs sanctions dans le cadre d’autres règlements, comme celui sur les données personnelles (RGPD). L’UE a déjà connu des revers, pas plus tard qu’en septembre, quand une amende de 1,49 milliard d’euros adressée par la Commission européenne à Google en 2019 pour un abus de position dominante a été annulée par la justice. Les dossiers doivent donc être “béton”. Alors même que la jurisprudence manque, qu’il s’agisse du DSA ou du DMA.Certains opposent toutefois à cette lenteur le cas de TikTok “lite”. Début 2024, cette pastille du géant chinois ByteDance avait été rapidement mise hors-jeu, après des alertes liées aux risques d’addiction chez les jeunes utilisateurs. Un deux poids, deux mesures, avec les plateformes américaines ? TikTok avait retiré de lui-même l’application litigieuse. Ce qui reste un bon exemple de l’effet “dissuasif” du DSA, peu après son entrée en vigueur. Mais pas encore de son caractère “punitif”.Les sanctions existent pourtant bel et bien. Et elles promettent d’être colossales, comparé à celles émises au nom du RGPD. Jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial pour le fautif, dans le DSA. Concernant X, les 27, depuis l’été dernier, laissent entendre que la sanction vaudrait pour le réseau, mais aussi toutes les firmes d’Elon Musk, dont Tesla ou SpaceX. Au regard du chiffre d’affaires mondial de X, la somme collectée ne s’élèverait en effet qu’à 150 millions d’euros. Un ticket de parking, pour l’homme le plus riche du monde… L’interdiction d’opérer en Europe est également prévue par la loi, comme l’ont martelé plusieurs dirigeants politiques ces dernières semaines, à l’instar du ministre des Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot. La “reine” des sanctions.Courage politiqueMais c’est ici que le droit laisse sa place à la politique. Et au courage : celui du collège des commissaires européens, seul décisionnaire de la portée et de l’ampleur d’un tel châtiment. Une témérité que les géants de la tech, Meta et X au premier chef, ont donc décidé de “tester”, comme l’explique la députée européenne française Stéphanie Yon-Courtin (Renew) à L’Express. Cette dernière s’était publiquement émue dans un courrier adressé à la Commission, vendredi 10 janvier. Elle dénonçait un “dangereux précédent” derrière cet atermoiement contre la tech américaine. Selon la députée, la fin des enquêtes “risquerait d’être perçue comme un favoritisme à l’égard de certaines entreprises ou de certains pays, alimentant ainsi le discours selon lequel les lois européennes sont intrinsèquement anti-Gafam.” Un véritable blanc-seing.D’autant que l’UE redoute déjà une alliance plus large, qui s’attaquerait non seulement à la modération et au DSA, ainsi qu’au DMA ou à l’IA Act, autres bébés de la Commission sur la libre concurrence sur le marché du numérique et l’intelligence artificielle. Ici, Apple, Amazon – fondé par Jeff Bezos, qui s’est récemment rapproché de Donald Trump – ou encore Microsoft pourraient se montrer offensifs. En raison de la crainte inspirée par le nouveau président américain, bien sûr. Mais aussi parce que le renouvellement du collège des commissaires paraît plus favorable aux mastodontes de la Silicon Valley.Thierry Breton et Margareth Vestager ont quitté leurs fonctions en fin d’année. Le Français, au Marché intérieur, s’était fait remarquer par son opposition frontale à la nouvelle politique de modération de X, sous Elon Musk. C’est lui qui a ouvert la première enquête approfondie contre le réseau social, dès le mois de décembre 2023, à la suite des attaques terroristes survenues en Israël et du climat délétère en ligne. La Danoise, à la Concurrence, passait, elle, pour le pire cauchemar de Google et d’Apple. Deux compagnies qu’elle a réussi à faire lourdement condamner, en septembre, peu avant la fin de son mandat.La remplaçante de Thierry Breton, la Finlandaise Henna Virkkunen, semble pour l’heure plus timorée. “Les réseaux sociaux jouent un rôle important dans la vie quotidienne des citoyens, mais ils ont également une importance et une influence considérables sur le plan social et économique. En Europe, nous voulons créer un environnement numérique sûr et équitable”, a-t-elle tièdement pianoté, à la suite du revirement de Mark Zuckerberg. L’élargissement de l’enquête contre X est un moindre mal, donc, et peut surtout ouvrir un dialogue : un apaisement ? Après l’élection de Donald Trump, l’envoyé spécial de Bruxelles dans la Silicon Valley, Gerard de Graaf, vantait lui aussi les vertus de cette approche. “Nous avons connu une intense période d’élaboration de lois. Nous serons dorénavant plus sélectifs”, glissait-il. Une façon de rassurer ses interlocuteurs, dans l’épicentre de la tech américaine. De proposer une forme de trêve. Il semble cependant un peu tard : la guerre est déclarée.



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Author : Maxime Recoquillé

Publish date : 2025-01-18 07:30:00

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Tags : L’Express

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