Le 20 janvier, Donald Trump sera investi président des Etats-Unis. Beaucoup se demandent : comment a-t-on pu en arriver là ? Et si, pour comprendre un peu mieux, à la fois le succès et le mode de communication du 47e président des Etats-Unis, il était plus instructif de se tourner vers le catch plutôt que la psychiatrie ? Le catch est né dans les fêtes foraines du XIXe siècle et en a conservé quelques souvenirs comme le terme “kayfabe”. Il s’agit d’un mot argotique utilisé pour rappeler à l’ordre un artiste qui sortait de son rôle. “Kayfabe” c’est-à-dire en verlan “Be fake” : continue à jouer ton rôle factice.Le catch ne reste intéressant qu’à la condition que chaque spectateur puisse croire en la vérité de ces affrontements pour rire. En majorité, les fans savent très bien qu’il s’agit d’une simulation scénarisée mais, le révéler au grand jour, gâcherait leur plaisir. De quoi ? De la suspension volontaire de l’incrédulité, une notion forgée par Samuel Coleridge, au XIXe siècle, pour tenter de comprendre la magie que la fiction exerce sur nos esprits. Il se trouve que, parfois, le charme perdure et que la vie sociale brouille les frontières entre le réel et la fantaisie.Cette confusion constitue la matrice de la façon dont Donald Trump occupe la scène publique. L’homme multiplie les déclarations outrancières et les mensonges mais une partie de ses soutiens décrypte son attitude comme une interprétation théâtrale dont la forme, plutôt que le fond, dévoile quelque chose de vrai. D’ailleurs, par son parcours même, l’homme se tient entre entertainment et exercice du pouvoir. Entrepreneur et animateur de téléréalité, il va sans cesse se mettre en scène en participant à ses propres publicités télévisées et use du langage risiblement viriliste des sports de combat.L’ex-patronne du catch devient ministre de l’EducationLa confusion atteint un point culminant dans sa carrière, en 2007, lorsqu’il participe à un moment iconique de l’histoire du catch et affronte Vince McMahon, le président-directeur général de la World Wrestling Entertainment. Les deux hommes sont amis dans la vraie vie mais, kayfabe oblige, ce jour-là, rien n’a transparu de cette affection lorsque Trump, devant un public en liesse, a roué de coups et rasé le crâne de McMahon. Chacun aura noté qu’il a d’ailleurs désigné Linda McMahon, la femme de Vince, comme son futur “ministre de l’Education”. Pourtant, il annonça, lors de sa campagne de 2024, qu’il abolirait ce ministère ! Et ceux qui commentent la vie politique américaine furent stupéfaits : comment ses électeurs peuvent-ils accepter de telles contradictions ? Sont-ils stupides ? Sont-ils indifférents à la vérité ? Je crois plutôt qu’une partie d’entre eux acceptent la suspension de l’incrédulité que nécessite toute forme de spectacle. Peu importe, pour eux, les contradictions sur le fond car ils interprètent tous les messages de Trump comme un drapeau unique qui dit : “Je suis dans votre camp” et les venge de toutes les avanies qu’ils considèrent avoir endurées. De ce point de vue, le kayfabe devient une sorte de métalangage politique. Les partisans font semblant de croire mais, dans le fond, une partie d’entre eux n’est pas dupe et cela lui permet d’aimer les outrances du chef sans craindre leurs conséquences.L’effet kayfabe est le symétrique de ce que l’on appelle le dog whistling : une tactique dite aussi du “sous-discours” consistant à utiliser un langage suggestif qui sera décodé par des groupes sociaux particuliers sans susciter la désapprobation des autres. Ici, c’est l’inverse. Ce métalangage est décrypté au second degré par certains des partisans et, au premier, par les opposants : le tout permettant d’optimiser le capital attentionnel. La question que tout le monde se pose à présent, lorsque Trump déclare qu’il veut annexer le Canada ou le Groenland est : faut-il prendre cela au sérieux ? Le tour de force de Donald Trump est d’avoir diffracté la vérité dans le langage politique. Certains de ses soutiens croient littéralement quand les autres savent qu’il s’agit de kayfabe… et cela suffit à constituer une majorité solide. Il a réussi à croiser les flux entre fiction et réalité : de ce point de vue, c’est un personnage terriblement représentatif du monde qui vient.Gérald Bronner est sociologue et professeur à La Sorbonne Université.
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Author : Gérald Bronner
Publish date : 2025-01-18 10:45:00
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