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Les confessions de Camille Laurens, figure de l’autofiction : “Cette étiquette réductrice”

L'écrivaine Camille Laurens, le 25 octobre 2023 à Cracovie, en Pologne




Avec Philippe, où elle évoquait la mort de son fils, puis Dans ces bras-là (prix Femina 2000), où elle disséquait sa vie amoureuse, Camille Laurens s’était imposée comme un grand nom de l’autofiction. Depuis, le genre a pris du plomb dans l’aile et, si le récit autobiographique fait florès, Camille Laurens préfère désormais naviguer à contre-courant. Son nouveau livre, Ta promesse, rappelle davantage les brillantes constructions narratives de Philip Roth que les laborieuses complaintes des Narcisse blessés qui s’empilent dans les librairies. Elle y campe un alter ego, Claire Lancel, une romancière à succès accusée d’avoir tenté de tuer son compagnon, Gilles, qui s’avérera être un affreux jojo – en une suite de flash-back, elle reconstitue sa personnalité pour le moins toxique. Décevons d’emblée les curieux : Camille Laurens n’a fracassé le crâne de personne ces dernières années. On est bien dans la fiction.Au bar d’hôtel où elle nous a donné rendez-vous pour discuter, la romancière prend ses distances avec l’écriture de soi : “Une autofiction, telle qu’elle a été définie par Serge Doubrovsky en 1977, est un texte dont la matière est entièrement autobiographique et la manière entièrement fictionnelle. On m’a rangée dans l’autofiction parce qu’on avait repéré dans mes livres des éléments de ma vie, mais ce qui me passionne ce sont les formes romanesques. Je vais de plus vers des architectures élaborées, et je ne comprends pas que l’on s’obstine à me coller cette étiquette réductrice…” Ce réflexe des critiques cacherait-il une forme de misogynie ? “Cela se confirme souvent. Le terme d’autofiction est péjoratif, dévalorisé parce qu’attribué aux femmes. Les hommes s’en démarquent, se plaçant au-dessus de ça. Philippe Sollers écrivait de l’autofiction ; Emmanuel Carrère et Grégoire Bouillier en écrivent, mais ils prétendent que non… Ils sont comme le Monsieur Jourdain du Bourgeois gentilhomme avec sa prose : eux font de l’autofiction sans le savoir !”Là-dessus, elle lève un lièvre : “Les recherches formelles un peu ambitieuses intéressent moins aujourd’hui que des tranches de vie dans lesquelles on peut se reconnaître. Il y a tellement de fake news, de mensonges organisés et de dissimulation autour de nous qu’on attend des livres qu’ils soient sincères. C’est naïf de penser ainsi… Depuis au moins Les Confessions de Rousseau on sait qu’un récit présenté comme autobiographique peut cacher beaucoup de manipulations du lecteur. Je ne crois pas du tout à l’authenticité en littérature – Rousseau se vantait de ne pas mentir alors qu’il déguisait souvent la réalité. Ce qui m’intéressait dans l’autofiction n’a jamais été la vérité factuelle mais la vérité intime, la vérité émotionnelle. Ce qui est arrivé à quelqu’un m’importe moins que ce qu’il a ressenti. Je reprends souvent cette image de Proust selon laquelle nous devons déchiffrer notre livre intérieur.”On se souvient que, en 2018, Le Lambeau de Philippe Lançon avait été écarté par le prix Goncourt car n’étant pas une œuvre d’imagination – critère précisé sur le testament d’Edmond de Goncourt. Camille Laurens a intégré le jury en 2020 et, en 2023, on avait pu s’étonner de voir en finale Triste Tigre de Neige Sinno, un pur récit sans la moindre imagination. Les lignes seraient-elles en train de bouger ? “Elles bougent à chaque discussion, entre les tenants de la tradition et ceux qui disent qu’on a changé de paradigmes depuis la création du prix en 1903. Il y a plusieurs clauses qu’on ne respecte plus dans le testament. Par exemple, les jurés étaient autrefois rémunérés ! Jusqu’où va le respect des volontés dernières ? Personnellement je pense qu’il faut dépasser cette notion obsolète de genres littéraires figés et cesser de privilégier l’imagination. Je n’ai rien contre l’imagination, moi-même j’en ai beaucoup même si on ne m’en prête guère. Mais pourquoi serait-ce un talent plus grand que celui de raconter ce qu’on a vécu ? Il est étonnant qu’au pays de Montaigne l’imagination demeure la qualité maîtresse.” Il est vrai que l’auteur des Essais ne s’est pas particulièrement illustré dans le registre de la science-fiction…La mère de “l’autruifiction”Revenons à un certain réalisme avec Ta promesse et le personnage tordu de Gilles. Faut-il y voir un pervers narcissique ? “Mes références étaient Valmont dans Les Liaisons dangereuses et des films comme Hantise de Cukor ou Soupçons de Hitchcock – il me semble d’ailleurs que ce dernier n’était pas mal dans le domaine, sinon narcissique, du moins pervers. Il y a en ce moment beaucoup d’études sur les pervers narcissiques. Je pense en premier lieu au sociologue Marc Joly, qui a d’abord publié un livre sur la perversion narcissique dans le couple, où il évoque le travail du psychiatre Paul-Claude Racamier, avant d’élargir le sujet. Selon lui la perversion narcissique est la nouvelle forme que prend la domination masculine. Je ne suis pas totalement d’accord, car je pense qu’il y a aussi des perverses narcissiques au féminin. Mais me semble symptomatique de notre époque ce déni de l’altérité propre aux pervers narcissiques. Plus on se centre sur soi-même, moins il y a de considération de l’autre. C’est une évolution contemporaine que tout le monde peut observer, y compris en politique.”Dans un très bon passage de Ta promesse, Gilles pousse sa compagne à profiter du podcast qu’elle anime pour descendre une femme à la mode – mais cette entorse à la sororité se retourne violemment contre Claire Lancel. Comment ne pas penser à l’hilarant éreintement que Camille Laurens avait publié contre La Carte postale d’Anne Berest dans Le Monde des livres en 2021 ? Camille Laurens nous assure s’être inspirée de cette expérience sans volonté de revenir dessus. Mais elle nous fait cette remarque, à méditer : “En trois ans de collaboration au Monde des livres, je n’ai écrit que trois critiques négatives, toujours argumentées. Il est intéressant de relire les commentaires des abonnés. Quand Eric Chevillard avait descendu Modiano une semaine avant son Nobel, personne n’avait bronché. J’ai eu droit de mon côté à des attaques très violentes, des comparaisons animales – j’étais une ‘guêpe’ cherchant à piquer. Virginia Woolf, qui a écrit des critiques littéraires parfois virulentes, avait déjà fait ce constat, qui reste vrai : une femme n’a pas le droit de critiquer trop vivement publiquement.”Page 239 de Ta promesse, Gilles parle des “empaillés” qui siègent à l’Académie française. Camille Laurens partage-t-elle l’avis du pervers narcissique ou est-il envisageable qu’elle brigue un jour un fauteuil sous la Coupole ? “C’est une expression de mon personnage ! Pour ma part, je pourrais être tentée par une chose : participer au dictionnaire. Etre au charbon sur ce chantier me plairait.” En attendant, elle a créé un nouveau mot, “autruifiction”, que personne ne lui a encore repris et qu’elle définit ainsi : “On reproche à l’autofiction d’être nombriliste. J’écris de l’autruifiction car ce qui m’intéresse ce n’est pas moi, mais la relation aux autres. Tout est imaginaire, d’une certaine façon : dans notre rapport à l’autre on ne sait jamais qui il est, on projette toujours quelque chose, on est dans la fiction… C’est notamment le problème de l’illusion amoureuse, et cette idée proustienne qu’il faut savoir décrypter les signes pour arriver à la vérité – peu à peu, on dépasse les apparences et on voit ce que l’on n’avait pas perçu au début. En 1977, Doubrovsky avait inventé l’autofiction ; en 2025, je lance l’autruifiction. Et sans faire l’autruche !”Ta promesse, par Camille Laurens. Gallimard, 358 p., 22,50 €.



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Author : Louis-Henri de La Rochefoucauld

Publish date : 2025-01-18 11:00:00

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Tags : L’Express

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