La hausse des maladies non transmissibles (MNT) touchant les enfants inquiète les chercheurs. Certains estiment que cette progression pourrait être causée par les nombreux produits chimiques manufacturés sur le marché. C’est ce qu’expliquent 25 spécialistes du Consortium pour la santé environnementale des enfants dans un article de synthèse publié le 8 janvier dans la prestigieuse revue médicale New England Journal of Medicine (NEJM). Les auteurs rappellent que quelque 350 000 produits chimiques manufacturés, mélanges chimiques et plastiques sont répertoriés dans le monde. Un chiffre 50 fois plus élevé qu’en 1950 et qui pourrait tripler d’ici 2050. Or leur fabrication, leur évaluation préalable à la mise sur le marché ainsi que la surveillance post-commercialisation des effets néfastes à long terme sur la santé seraient, selon les auteurs de la publication, soumises à trop peu de contraintes juridiques ou politiques : “Moins de 20 % d’entre eux ont été testés pour leur toxicité, et moins encore pour les effets toxiques chez les nourrissons et les enfants”.Un problème qu’ils mettent en parallèle avec l’augmentation d’alertes sanitaires ces 50 dernières années aux Etats-Unis. Ainsi, “l’incidence des cancers infantiles a augmenté de 35 %, les malformations congénitales liées à la reproduction masculine ont doublé, la prévalence de l’asthme infantile a triplé et celle de l’obésité pédiatrique a presque quadruplé”, poursuivent les chercheurs. Ils ajoutent que les troubles neurodéveloppementaux affectent désormais un enfant sur six et que les troubles du spectre autistique sont diagnostiqués chez un enfant sur 36. Dans le même temps, les décès dus aux maladies non transmissibles comme les accidents vasculaires cérébraux ou de nombreux cancers ont diminué chez les adultes.Les enfants plus fragiles que les adultesPour expliquer cette différence avec les adultes, les chercheurs rappellent que les enfants sont moins résistants face à certains produits chimiques. “Bien que la maxime : ‘la dose fait le poison’ soit toujours d’actualité, il est clair que le moment de l’exposition au cours du développement humain précoce est au moins aussi important”, alertent-ils, ajoutant que des études scientifiques réalisées ces dernières années montrent que même de brèves et faibles expositions à certains produits chimiques toxiques pendant les périodes de vulnérabilité précoce, comme lors de la grossesse ou les premières années de l’enfant, sont associées à un risque accru de maladie et d’invalidité qui peut persister tout au long de la vie. “Un fœtus ou un enfant est plus fragile aux mêmes doses d’exposition aux substances chimiques (médicaments, produits toxiques, etc.) car ces dernières vont interagir avec les mécanismes de développement et de maturation des voies métabolique, notamment au niveau cérébral, qui sont encore en cours, mais terminés chez l’adulte”, explique le Pr Stéphane Marret, chef du service de pédiatrie néonatale et neuropédiatrie au CHU de Rouen, qui n’a pas participé à l’étude.Les auteurs de l’article du NEJM citent par exemple les scandales sanitaires liés aux cas des 10 000 bébés nés avec une malformation congénitale des membres après l’ingestion par leur mère, en début de grossesse, de thalidomide (un anti-nauséeux et sédatif utilisé dans les années 1950-1960), ou celui des nourrissons nés avec de profondes déficiences neurologiques en raison de la consommation involontaire par leur mère de poissons pollués par le mercure. Ils rappellent, encore, les résultats d’une étude dans laquelle des IRM fonctionnelles ont été menées sur des enfants dont les mamans habitaient à côté d’une autoroute lorsqu’elles étaient enceintes et qui montrent des inflammations plus importantes du cerveau et une baisse des scores de QI.Medicine and Society by the Consortium for Children’s Environmental Health: Manufactured Chemicals and Children’s Health — The Need for New Law https://t.co/JKQ5NjOuI7 #Pediatrics pic.twitter.com/fKGpBIjLcZ— NEJM (@NEJM) January 11, 2025S’ils se montrent prudents en rappelant que les produits chimiques ne sont probablement pas la seule cause de cette hausse des maladies non transmissibles et qu’il est “probable qu’il existe d’autres liens encore inconnus”, les chercheurs affirment néanmoins que la protection des enfants contre les dangers des produits chimiques “nécessite une révision fondamentale de la législation actuelle et une restructuration de l’industrie chimique afin de prendre en compte la santé des enfants” et les expositions multiples.Des facteurs de risques encore mal identifiésL’étude en elle-même et sa reprise dans les médias ont suscité des réactions contrastées. Elle a parfois été critiquée pour un supposé caractère alarmiste ou un manque de données scientifiques à l’appui des risques réels ou supposés des produits chimiques manufacturés, mais aussi pour les liens effectués entre ces produits et les troubles neurodéveloppementaux (troubles du spectre de l’autisme, du développement intellectuel, du développement du langage et des apprentissages scolaires, du développement de l’attention avec hyperactivité ou encore les troubles du développement moteur). En réalité, si les auteurs citent bien ces troubles dans leur article, ils ne détaillent pas spécifiquement leurs liens avec les produits chimiques manufacturés. En revanche, leurs propos ont parfois été déformés et amplifiés dans la presse. “L’article du NEJM est factuel, très bien argumenté et mesuré”, note le Pr Marret.Que sait-on vraiment des liens entre l’augmentation des troubles neurodéveloppementaux et du spectre de l’autisme et les produits chimiques manufacturés ? L’explosion – incontestable – du nombre de diagnostics de ces troubles ces dernières années peut, au moins en partie, s’expliquer par l’élargissement des critères (des personnes qui n’étaient pas identifiées hier le sont aujourd’hui) et une meilleure détection par les professionnels. “La hausse des troubles neurodéveloppementaux chez l’enfant, que je constate dans mes recherches et sur le plan clinique, n’est pas seulement liée au fait qu’on les dépiste mieux, mais parce qu’il y a d’autres facteurs de risques, notamment environnementaux, qui entrent en jeu”, défend le Pr. Marret. Mais si certaines substances chimiques sont étudiées, comme les phtalates et d’autres perturbateurs endocriniens, il n’existe pas toujours de preuves solides démontrant leur rôle direct, notamment pour l’autisme.Les niveaux de preuves faibles ne doivent pas empêcher la prudenceLes troubles neurodéveloppementaux sont multifactoriels, explique ainsi ce spécialiste. Ils sont la conséquence de l’action de plusieurs facteurs : génétiques, environnementaux, épigénétiques, etc. “Il faut que plusieurs facteurs de risque s’additionnent pour que la trajectoire de développement de l’enfant soit impactée, jusqu’à créer des difficultés”, explique le Pr. Marret. De la même manière, il est admis que les troubles du spectre de l’autisme sont en partie génétiques, puisque près d’un millier de variants de gènes qui agissent sur le développement et la maturation des compétences ont été identifiés. Mais, à de rares exceptions près, une seule de ces mutations n’est pas suffisante pour déclencher un trouble du spectre de l’autisme. Chacun peut en revanche se conjuguer avec d’autres variants génétiques, ou d’autre facteurs environnementaux, dont certains ne sont d’ailleurs probablement pas encore connus.Afin d’illustrer la problématique, le Pr. Marret cite les cas de l’exposition à l’alcool des fœtus durant toute la grossesse. En cas d’exposition avérée, certaines femmes pourront mettre au monde un enfant avec une voire plusieurs malformations et/ou des troubles du neurodéveloppement, d’autres un enfant qui n’a aucune malformation, mais qui développera plus tard un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), voire un enfant sans complication. Pourquoi ? Parce que l’alcoolisation pendant la grossesse, néfaste en elle-même, peut, ou non, être le déclencheur d’autres facteurs de risque, génétique ou épigénétique. “Quand on sait cela, on comprend mieux toute la limite de certaines études épidémiologiques. Il faut avoir des études avec un grand nombre de sujets pour avoir une puissance statistique suffisante et mettre en évidence un facteur de risque”, poursuit le chercheur. Raison pour laquelle la recherche rencontre encore de grandes difficultés pour déterminer que tel ou tel facteur de risque est associé à telles maladies (asthme, diabète ou obésité) ou tels troubles neurodéveloppementaux.”Le lien entre les produits chimiques manufacturés et le développement du trouble du spectre de l’autisme est très difficile à étudier en épidémiologie, confirme Claire Philippat, chercheuse à l’Inserm et spécialiste des liens entre polluants chimiques et développement de l’enfant. Les cohortes existantes disposant d’échantillons biologiques pendant la grossesse et la petite enfance, qui sont indispensables pour bien mesurer l’exposition aux composés tels que les phtalates, sont en général de trop petite taille pour étudier ce trouble”.”Et non seulement détecter un seul facteur de risque nécessite des études avec un nombre de participants considérable, mais un facteur ne suffit généralement pas à lui seul pour expliquer une pathologie”, poursuit le Pr. Marret. Ainsi, obtenir des niveaux de preuves forts permettant de relier directement un polluant à une maladie ou un trouble peut relever du parcours du combattant et nécessite de conduire plusieurs études épidémiologiques avec des milliers de participants, puis de faire des études de toxicité dans des modèles expérimentaux. C’est pourquoi les travaux actuels se contentent le plus souvent de faire émerger un seul facteur de risque, avec des niveaux de preuves bas, tout en appelant à poursuivre les recherches afin de confirmer – ou non – un potentiel danger. C’est ce même problème qui explique les polémiques – parfois violentes – autour de nombreux produits chimiques, notamment les pesticides et herbicides comme le glyphosate.Ainsi, le Pr. Marret, comme de nombreux autres spécialistes, reste prudent mais s’inquiète des potentiels effets néfastes encore non identifiés et potentiellement sous-estimés et appelle, lui aussi, à poursuivre les recherches sur ces sujets. “Une partie de l’espoir pourrait reposer sur des initiatives nationales et internationales visant à mener des études de grande taille en population générale avec un recrutement très tôt – dès la grossesse -, afin de récolter des prélèvements biologiques et de doser les produits chimiques, pour estimer finement les expositions”, estime Claire Philippat. Un autre espoir pourrait reposer sur le développement des outils d’intelligence artificielle qui pourraient aider à mieux détecter et quantifier les différents facteurs de risques.
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Author : Victor Garcia
Publish date : 2025-01-18 07:00:00
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