Mayotte privée de drapeau français, avec l’aval de l’Etat. Le 25 août 2023, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux des îles de l’océan Indien, à Madagascar, les athlètes de La Réunion défilent sous le drapeau bleu-blanc-rouge… mais pas leurs compatriotes de Mamoudzou. L’île est pourtant un département français à part entière depuis 2011. Les Comores l’ont exigé, et la France a cédé, acceptant de remplacer le drapeau tricolore par l’emblème des Jeux de l’océan Indien, comme il est d’usage pour les athlètes apatrides. Jusqu’en 2003, les Comores refusaient d’ailleurs la participation de Mayotte, au motif que ce territoire français leur appartiendrait.Vivre à Mayotte, c’est avoir pris l’habitude de ne pas être toujours représenté, au titre de cette revendication des Comores, que Paris semble ne pas toujours savoir gérer. A la Commission de l’océan Indien, une organisation intergouvernementale régionale, la France siège seulement au titre de La Réunion. Les problèmes de Mayotte ne sont pas abordés. “Les Comores refusent toute représentation de Mayotte, alors même que la France finance 40 % du budget de cette structure”, pointe Micheline Jacques, sénatrice (LR) de Saint-Barthélemy et présidente de la délégation sénatoriale aux Outre-mer. Pour faciliter sa relation avec Moroni, Paris a également versé, en 2019, 150 millions d’euros d’aide au développement aux Comores, somme fixée par un document-cadre de partenariat entre la France et les Comores signé cette année-là. En échange, les autorités locales s’étaient engagées à aider Paris à mieux contrôler l’immigration clandestine vers Mayotte. Mais cela n’a pas, ou peu, été fait : on estime aujourd’hui à 123 000 le nombre d’étrangers installés dans le département français. D’après l’Insee, en 2017, 48 % de la population mahoraise était d’ailleurs de nationalité étrangère, et 77 % de ses habitants vivaient sous le seuil de pauvreté, avant même l’irruption du cyclone Chido qui a ravagé l’île, le 5 décembre dernier.En septembre 2017, le député (LR) Mansour Kamardine a rendez-vous à la préfecture de Mayotte pour évoquer l’immigration illégale. Il écoute, furieux, Luc Hallade, ambassadeur de la zone Océan Indien, exposer son projet d’une “communauté de l’archipel” entre Mayotte et les Comores, une série d’accords économiques pour rapprocher les deux entités.A l’issue de la réunion, le parlementaire active ses réseaux. En mai 2018, 2 000 personnes défilent à Mamoudzou, chef-lieu du département. A l’Assemblée nationale, Ramlati Ali, députée (LREM) de Mayotte, prend à témoin Jean-Yves Le Drian. “La rumeur sur la communauté d’archipel des Comores est sans fondement”, lui répond le ministre des Affaires étrangères. L’initiative passe à la trappe. “Nous avons fait trois référendums pour rester Français, ce n’est pas pour être intégrés aux Comores à notre insu !”, peste encore aujourd’hui Mansour Kamardine.”La France a tort”A Mayotte, les initiatives de rapprochement avec les Comores sont souvent perçues sur place comme une volonté de se débarrasser du 101e département français. “De la pure paranoïa, ou du calcul politique, s’agace Alain Christnacht, ancien conseiller pour l’Intérieur et à l’Outre-Mer de Lionel Jospin. Personne, au sein de l’Etat, n’envisage de se séparer de Mayotte.” Pour autant, au sein de l’Etat, l’assimilation de Mayotte à un boulet serait répandue. “Quand vous êtes en réunion interministérielle, il y a toujours quelqu’un qui s’agace en disant ‘Ecoutez, tout ce pognon versé, il y en a marre’, ou ‘Puisque c’est comme ça, qu’ils se débrouillent tout seuls'”, raconte Vincent Bouvier, ancien préfet de Mayotte. “Je me souviens de réunions où régulièrement, il m’arrivait d’entendre ‘mais qu’est-ce qu’on est allés faire dans cette galère'”, se rappelle Olivier Nicolas, ancien conseiller du ministre de l’Outre-mer Victorin Lurel. L’expression d’une frustration, particulièrement marquée au Quai d’Orsay. “Vous trouverez toujours des diplomates pour vous dire qu’au regard du droit international, la France a tort face aux Comores à Mayotte”, résume un ancien préfet de l’île.”Le Quai n’a jamais vraiment accepté les résultats”La controverse remonte à cinquante ans. En décembre 1974, Valéry Giscard d’Estaing annonce l’organisation d’un référendum d’autodétermination de l’archipel des Comores, colonisé par la France en 1841. Le résultat est massif en faveur de l’indépendance (96 %) à l’exception de Mayotte – où 63 % des votants veulent rester Français. Paris décide alors de tenir compte du résultat île par île. Les Comores prennent leur indépendance six mois plus tard, mais Mayotte reste française selon une loi adoptée en 1975. “C’est un non-sens du point de vue du droit international. Même si personne n’aurait l’idée de revenir sérieusement sur la francité de Mayotte, il y a quand même toujours le sentiment d’un malaise au Quai d’Orsay, où l’on est très légaliste”, analyse Fred Constant, ex-ambassadeur, auteur de Géopolitique des outre-mer. Entre déclassement et (re)valorisation (Ed. Le Cavalier Bleu).En avril 1976, un nouveau référendum est organisé. L’écrasante majorité des Mahorais (97,46 %) vote contre le statut de territoire d’outre-mer qui leur est proposé. Mayotte réclame son intégration accrue dans la République. La francité de l’île reste contestée à l’international, l’Assemblée générale de l’ONU condamnant plusieurs fois la France. L’arrivée de François Mitterrand à l’Elysée ne facilitera pas les avancées. Le nouveau président a déjà condamné la violation du droit international de la loi de 1975. Il faut attendre 2011, sous Sarkozy, pour que l’île devienne un département français. “Au fond, le Quai n’a jamais vraiment accepté les résultats du référendum de 1976”, estime Benoît Lombrière, ancien conseiller chargé de l’Outre-mer de Nicolas Sarkozy.Maux de têteEn 1979, la visite d’un navire de la marine américaine à Mayotte est déconseillée par sa diplomatie. Ce voyage “contrarierait inutilement tous les Comoriens et alarmerait la République démocratique de Madagascar”, apprend-on dans les câbles diplomatiques de l’époque révélés par WikiLeaks. Dans ces archives rédigées par une fonctionnaire américaine, on découvre également que cette dernière a “discuté du sujet avec les Français”. Elle en a déduit que la visite du navire serait aussi “inappropriée du fait que l’administration française voudrait se débarrasser de Mayotte, et qu’elle n’est contrainte de la conserver que sous la pression de l’Union européenne et de celle exercée par un groupe minoritaire de l’Assemblée nationale”.En 2009, les Américains continuent de s’interroger, selon ces câbles. “Avec le département de La Réunion dans l’océan Indien, quel est le besoin des coûts et des maux de tête provoqués par Mayotte ?”, questionne un diplomate américain. La perplexité serait partagée par une partie du Quai d’Orsay, accuse l’actuelle députée Estelle Youssouffa, adepte d’un discours très dur à l’égard des Comoriens. “L’attitude attentiste des diplomates participe à notre enclavement. Avant les réseaux sociaux, personne ne nous voyait, ne nous entendait. Le Quai met en avant la parole des Comoriens, au détriment de celle des Mahorais”, affirme-t-elle. “Il est normal que le Quai ait ce prisme en faveur des Comores puisque c’est le ministère des Affaires étrangères, analyse Fred Constant. Sa vocation est d’aller vers l’international.”Des différences que résume Benoît Lombrière : “Je me souviens avoir assisté à plusieurs réunions avec la Direction ‘Afrique’ du Quai, qui essayait de me revendre, de quatre ou cinq manières différentes, les bienfaits d’une ‘intégration politique renforcée’ ou d’une ‘grande zone de libre-échange’ avec les Comores. Tout cela aurait amené à la dilution de Mayotte dans les Comores, jusqu’à sa disparition. J’ai donc fermement refusé ces propositions.” Quinze ans plus tard, ces remords continuent d’empoisonner le climat politique à Mayotte.
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Author : Alexandra Saviana
Publish date : 2025-01-18 07:45:00
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