Le président est intranquille. La veille de la déclaration de politique générale (DPG), François Bayrou lui rend visite, à l’heure du dîner. Voici Emmanuel Macron qui dict… distille ses “conseils”, c’est le mot choisi par l’Elysée. L’enjeu n’a rien de mince, il s’agit de ne pas défaire pour les beaux yeux de la gauche ce qu’il reste du macronisme. “Tu te rends compte, il n’a même pas pris de note !” rapporte, encore déconcerté, le chef de l’Etat à un ami au cœur de la nuit. Se peut-il qu’il se soit trompé à ce point ? Percer à jour les hommes n’est certes pas le plus grand talent du président. Mais faut-il relire toute l’œuvre de Lacan pour déceler chez François Bayrou un féroce désir d’indépendance ?Ce Premier ministre est indocile. Seuls les collaborateurs prennent des notes, il n’en est pas un. Le jour de la DPG, Emmanuel Macron attend. Et ne voit rien venir. Le soleil poudroie, il appelle un complice : pas de discours à l’horizon. L’herbe verdoie, le président s’inquiète. En décembre, Emmanuel Macron ne peut plus souffrir le trop autonome Michel Barnier. En janvier, Emmanuel Macron ne peut pas lire le déjà trop affranchi François Bayrou. Est-ce donc cela le résultat de cette “clarification” que devait apporter la dissolution ? A l’Elysée, lundi 13 janvier, on ironise : “Il enverra son texte à 14 h 45.” Derrière l’humour, la peur. “Avec moi, la cohabitation serait plus dure !” prévenait, bravache, le Béarnais avant que ce fût son tour.Enfin, le texte surgit. Quelle heure est-il, ce mardi ? C’est le “petit matin”, dit un conseiller du président. “Il l’a reçu à midi”, assure l’un de ses proches. A chacun sa définition de l’aurore. Et du crépuscule… Après tout, le chef de l’Etat n’est pas si mal loti : l’ancienne Première ministre Elisabeth Borne, qui doit lire simultanément la déclaration de politique générale au Sénat, la découvrira… en même temps que ceux auxquels elle s’adresse. Quant aux ministres d’Etat ou de premier plan, ils peinent encore à croire qu’on ne leur a rien réclamé. Ni contribution, ni avis, ni regard, rien. Durant les semaines précédentes, Catherine Vautrin n’a pas attendu qu’on l’interroge, elle a posé elle-même les questions. La ministre du Travail et de la Santé a demandé au Premier ministre quelle était sa position sur la fin de vie. Elle attend toujours la réponse.”François est en autoproduction”N’en faire qu’à sa tête, le plus tard possible, en slalomant autant que nécessaire : ceci ne facilite pas chez François Bayrou la collégialité. “François est en autoproduction”, résume un membre du gouvernement. Son trait de caractère est devenu une stratégie. “Il a beaucoup regardé l’archéologie du crash de décembre, résume l’un de ses ministres au cœur des négociations. Michel Barnier était hyper précis, lui se ménage un cadrage clair mais avec beaucoup de deals possibles à l’intérieur, pour se redonner de la souplesse. Marine Le Pen a fait tomber le gouvernement pour seulement 600 millions !”Si l’Elysée ne saurait être considéré comme le palais de la vertu, les zigzags de Matignon intriguent, voire inquiètent. Il y a belle lurette qu’Emmanuel Macron ne peut plus jouer les Dom Juan, le voici qui tente au moins d’être la statue du Commandeur. Le 10 janvier au matin, il a convoqué son chef du gouvernement et les principaux ministres concernés par la situation économique. La réunion aurait dû avoir lieu la veille, François Bayrou a obtenu un délai de grâce de vingt-quatre heures, le temps de réunir les mêmes à Matignon avant d’aller voir le grand chef. Attractivité, emploi, budget – “Il doit être sincère, c’est dans la Constitution et Macron en est le garant”, ose un participant –, conférence sociale : bien sûr, “le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation” (article 8), surtout le président n’est pas du genre à regarder passer les trains. “C’est un moyen pour lui de montrer qu’il est là, et comme acteur incontournable, pas comme spectateur”, relève un présent. Les retraites sont évoquées. “Il faut que les gens hors de nos frontières comprennent”, avance le président, à qui sont rapportés aussi les échanges avec la gauche. “Les décisions se prennent à Matignon”, souligne un proche de François Bayrou, qui rappelle que depuis le premier jour, le premier jour de cette présidence pour ainsi dire, le centriste répète au chef de l’Etat que tenir à l’écart les partenaires sociaux est “un poison mortel”.Au fond, Emmanuel Macron tire une leçon qui tient peu du mea culpa : il aurait dû… s’écouter davantage. A un intime qui le presse début décembre de nommer François Bayrou en égrenant ces arguments : “Il en a très envie et c’est un peu son heure ; de plus, si on recense toutes les paroles gracieuses que Bayrou a eues sur toi, on ne peut pas dire que c’est un affidé”, le président rétorque : “Je ne le nommerai pas, il ne fait rien !” Il se souvient peut-être d’avoir entendu des visiteurs politiques du Béarnais au ministère de la Justice qu’il occupa brièvement en 2017 sortir stupéfaits de leur contemplation de la table de travail de celui qui est alors garde des Sceaux. Impeccable, dépourvue de tout parapheur.”Il est dans la haine”Après la DPG, l’heure était à la rigolade chez cet ami du président. Le Premier ministre avait cité le député Marc Sangnier (1873-1950), lui appelait Jean Yanne à la rescousse : “Nous ne pouvons rien faire pour le moment, mais dès que nous le pourrons, nous ferons le double.” Deux têtes de l’exécutif, deux ambiances, deux méthodes. Prenons l’éducation. Un temps proclamé “domaine réservé du président” – c’était il y a deux ans et demi mais c’est tombé dans les oubliettes de l’Histoire – le sujet tient à cœur à François Bayrou. Entre les deux hommes, une ancienne Première ministre, Elisabeth Borne. A défaut d’en perdre son latin, il y a de quoi être troublé tant on est à fronts renversés : François Bayrou préfère discourir sur les principes et se garder des marges de négociation – au soir de sa déclaration de politique générale, il n’avait toujours pas rendu un arbitrage clair sur les fameux 4 000 postes – quand Emmanuel Macron aime se pencher sur le micro-détail. Dit autrement : le Premier ministre a une approche de président et le président une approche de Premier ministre…C’est d’ailleurs comme cela que débute leur histoire de couple au sommet de l’Etat. Vendredi 13 décembre 2024, François Bayrou se prend pour le président. Il se nomme à Matignon et Emmanuel Macron, un mois plus tard, n’en revient toujours pas. Un président, c’est d’abord fait pour appuyer sur le bouton nucléaire (en théorie plutôt qu’en pratique, si possible), pour dissoudre l’Assemblée nationale (sans le regretter ensuite, si possible) et pour nommer le Premier ministre, sans avoir de compte à rendre à personne. Pas cette fois. A écouter ceux qui recueillent ses rares états d’âme, sa rancune ne faiblit pas. “Il est dans la haine, assure un confident. Sidéré par la violence dont Bayrou a fait preuve.” Désormais, il lui faut enfiler le masque du président aidant, soutenant, conciliant car “il se fait piquer son pouvoir beaucoup plus qu’avec Barnier, mais sans la protection qu’il avait avec Barnier : si c’est Bayrou qui rate, c’est Macron qui rate”. Cette théorie énoncée par l’un de ses stratèges, Emmanuel Macron l’a intégrée. Le soir de la déclaration de politique générale, c’est fête à l’Elysée. On ne célèbre pas le succès du Premier ministre mais Jean-François Rial, patron de Voyageurs du monde, qui reçoit les insignes de chevalier de la Légion d’honneur. Le chef de l’Etat sautille d’un groupe à l’autre et croise un comparse, ancien conseiller à l’Elysée, qui lui lance : “Il faut aider Bayrou !”. “Tu as totalement raison”, réplique le président. Dire tout haut ce qu’on ne pense pas tout bas. Tempête sous un masque.Mais le ciel doit rester bleu sous le soleil de la Ve République. Le bulletin météorologique a été passé dans les deux maisons, Elysée et Matignon : que personne ne s’inquiète, ça va bien se passer ! Respect des formes institutionnelles : François Bayrou a toujours théorisé qu’un Premier ministre ne piétine pas un président. Il le cite plusieurs fois lors de la DPG, le compte rendu du conseil des ministres se déroule de nouveau au Château – “un symbole visible de tous”, note un fidèle du chef de gouvernement – alors que Michel Barnier l’avait délocalisé Rue de Varenne. Une expression, le 14 janvier, a néanmoins fait sursauter un autre expert de la Ve, un certain Edouard Philippe, lorsqu’il a entendu François Bayrou évoquer “la précarité au sommet de l’Etat”. De tels mots dans sa bouche et la guerre aurait été déclarée par l’Elysée. Mais les temps changent…”Tout cela m’attriste”Plus que l’avenir de François Bayrou, Emmanuel Macron a un sérieux motif de préoccupation. La lumière le fuit. Il l’a remarqué dès l’automne, quand il s’est mis à multiplier les déplacements à l’étranger et qu’il a constaté, effaré, que la presse ne semblait que mollement s’y intéresser. Voici venu le temps des ombres qui prennent un jour la forme d’un sondage, un autre la forme d’un reproche. 58 % des Français souhaitent sa démission (sondage CSA pour Europe 1 et CNews) ? Foutaises ! Il suffit de regarder le top 50 des personnalités préférées des Français publié par l’Ifop en début d’année pour trouver la preuve que ces études d’opinion manquent de fiabilité, veut croire le mal-aimé. Jordan Bardella, Marine Le Pen, Philippe de Villiers et Bruno Retailleau sont les quatre figures politiques à émerger dans ce classement annuel… tout cela paraît peu crédible. Alors songer qu’une majorité de Français voudrait son départ…Le reproche, lui, ne peut être ignoré. Il émane de la bouche de Stéphane Bern qui après Noël éructe dans les médias contre “le fait du prince” consistant à vouloir remplacer les vitraux anciens de Notre-Dame par des vitraux contemporains. Le spécialiste des têtes couronnées est un proche du couple Macron et sa colère entache un peu la belle réussite de la cérémonie de réouverture de la cathédrale. Au téléphone, un proche entend le président soupirer : “Tout cela m’attriste.”Sur qui compter ? L’Elysée fuit de toute part, même les différends entre le président et son conseiller diplomatique Emmanuel Bonne se répandent dans la presse. Menaces de démission, puis rétractation ? Ceux qui entourent le chef savent que la moindre faille dans leur fidélité sera perçue comme un signe du déclin de son autorité. Alexis Kohler, lui-même, ne s’est-il pas évertué, durant l’automne, à nier tout départ imminent ou lointain, y compris quand ses collègues élyséens osaient le questionner ? Pourtant, au même moment, des visiteurs d’Emmanuel Macron, parmi les plus familiers, sont convaincus d’avoir entendu ce dernier leur annoncer : “Alexis part fin janvier.”Alexis Kohler et la HATVPSelon nos informations – confirmées par la présidence de la République –, le secrétaire général a bel et bien consulté la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) pour connaître le champ des possibles qui s’ouvrirait à lui en cas de départ. Dès la fin novembre, le directeur de cabinet du président, lui, n’a plus de raison de douter des envies d’ailleurs d’Alexis Kohler. Il reçoit un étrange coup de fil de la HATVP avec laquelle il échange régulièrement quand il s’agit de demander des avis pour des nominations, notamment. Ce jour-là, son interlocuteur l’informe des derniers échanges autour du cas Kohler. Avant de s’apercevoir qu’il rend compte à la mauvaise personne. Erreur de destinataire. C’est Alexis Kohler que cette information concerne, et Patrice Faure n’aurait pas dû en avoir connaissance.Le secrétaire général a effleuré la grille de l’Elysée, puis paraît avoir reculé. On ne quitte pas son capitaine quand la mer se révèle aussi agitée. Peu de temps après la nomination de Michel Barnier, il confie à un compagnon de route “s’inquiéter” pour le chef de l’Etat. Désormais, c’est aussi – un peu – pour lui qu’il se tracasse, projeté dans une situation inédite : à Matignon, pour la première fois depuis 2017, son homologue, le directeur de cabinet Nicolas Pernot, est à ses yeux un inconnu.Eux ont appris à se connaître. Deux débats de second tour, ça crée des liens. Quand Jean-Marie Le Pen est décédé, Emmanuel Macron n’a pas voulu d’un froid message écrit à sa fille Marine. Il lui a téléphoné pour lui présenter ses condoléances. Quand votre monde s’écroule, quoi de plus pérenne que vos adversaires…
Source link : https://www.lexpress.fr/politique/emmanuel-macron-francois-bayrou-les-tourments-caches-rancune-solitude-et-vrai-faux-depart-dalexis-7L45K547JZF75IBVY4NVFINWHI/
Author : Laureline Dupont, Eric Mandonnet
Publish date : 2025-01-19 17:03:21
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.