Mardi 14 janvier, le numéro de Fabien Roussel s’affiche sur le smartphone de Marine Tondelier. Le patron du Parti communiste français et la secrétaire nationale des Ecologistes ont en commun d’avoir, avec le Parti socialiste, accepté de négocier avec le gouvernement. Le premier n’est plus député, la seconde ne l’a jamais été. Alors, c’est depuis les rues d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), son fief, et au gré d’une session de tractage, que la patronne des Verts a écouté le discours de politique générale de François Bayrou.Quelques minutes plus tard, Fabien Roussel est vert, lui aussi, mais de rage. Il se sent floué par les annonces du Premier ministre et le dit au téléphone à Marine Tondelier. Elle le renvoie dans les cordes : “C’est toi qui étais optimiste.” Deux jours plus tôt, Eric Lombard, le locataire de Bercy, qu’elle trouve “objectivement sympa et sincère” – il lui renvoie le compliment – l’avait sortie du jeu. “Vous êtes trop loin de l’accord, c’est pour ça que je ne vous ai pas conviée à la réunion de lundi avec les socialistes”, lui a-t-il glissé. Et la patronne des Verts de lui rétorquer que c’est égal, de toute façon, elle n’est pas disponible car elle sera dans la Marne pour son “Tour de France des vœux inversés” – une rencontre durant laquelle elle “écoute les vœux des Français plutôt que de faire les siens”. De toute façon, elle et ses troupes sont convaincues que les socialistes se sont fait berner. Les écologistes, eux, qui finiront par signer la motion de censure de la gauche après la déclaration de politique générale, n’auront pas la main qui tremble.”J’ai toujours dit que l’équation était insoluble”Les dés étaient-ils pipés par le gouvernement ? La secrétaire nationale, elle, avait truqué les siens. La preuve, non pas par la contorsion, mais par la double négation : “J’ai donné les conditions nécessaires mais pas suffisantes pour que nous ne votions pas la censure”, explique-t-elle sur un plateau télé, tandis qu’on l’interroge sur sa présence aux négociations. Avis aux esprits lents : “Elle voulait dire que sans l’abrogation de la réforme des retraites, le compte n’y serait pas. Et qu’avec l’abrogation de la réforme des retraites, le compte n’y serait pas non plus”, tente de clarifier son entourage. Marine Tondelier, de toute façon, n’a jamais vraiment cru à l’aboutissement de ces discussions. Aux siens, elle confie : “J’ai toujours dit que l’équation était insoluble. J’y vais parce que je ne veux pas leur donner l’excuse de négocier avec l’extrême droite, parce qu’on ne serait pas allés les voir.”Bercy n’y comprend plus rien, les conseillers pensent finalement que les écolos surveillent les socialistes ; la maison verte n’a pas cette prétention, pas davantage que les Roses n’ont cette inquiétude – “c’est l’histoire de la grenouille et du bœuf”, dixit un négociateur PS. Non, les écologistes jouent simplement le rôle de la bonne conscience de gauche. “Nous ne sommes pas l’agence de notation de nos partenaires. Mais on a ce rôle d’influencer, de réorienter l’ensemble de la gauche”, dit Guillaume Gontard, sénateur et négociateur écolo. Car leur combat ne se limite pas à la couleur de la veste de Marine Tondelier, malgré les dires de certains pontes EELV, qui déplorent toujours l’absence d’ambitions écolos dans le programme du Nouveau Front populaire. Les 7 milliards exigés pour relancer la transition écologique ? Balayés d’un revers de main par l’exécutif qui ne propose que quelques millions. Un casus belli pour Tondelier qui se sent, sur ce sujet, bien seule au NFP.A deux doigts de tourner casaque ? Jeudi 16 janvier, sur les coups de 13 heures, le n° 2 des écologistes, David Cormand, prend connaissance d’une missive envoyée par François Bayrou au Parti socialiste. Il tourne de l’œil. Et si les socialistes avaient réussi leur coup ? Un autre proche de Marine Tondelier se prend, lui, à citer Philippe Rickwaert, le personnage principal de la série Baron noir : “De là d’où je viens, c’est-à-dire du peuple, quand on peut prendre, on prend. Parce qu’on en a besoin. On ne rejette pas des avantages parce que peut-être plus tard dans un monde idéal on peut en obtenir de meilleurs.” Car les vérités du mardi ne sont pas celles du jeudi à l’Assemblée, les socialistes – qui s’écharpent encore sur le bien-fondé de la non-censure – constatent que le Premier ministre cède aux demandes d’Olivier Faure et de Boris Vallaud.Voici les écologistes, d’un coup, un peu plus hésitants. Censurer ou renoncer ? Marine Tondelier s’emmêle les pinceaux. “Les concessions listées par François Bayrou sont en grande partie le résultat du travail parlementaire mené cet automne par le Nouveau Front populaire. Nos discussions des dernières semaines avec l’exécutif ont permis de les sanctuariser […]. Nous pouvons être fiers d’avoir protégé les Français de grands reculs sociaux en perspective”, affirme-t-elle dans la première version d’un communiqué, tout en déplorant “l’inaction” du gouvernement sur le front de l’écologie que ses partenaires ne voient pas. “Nous y reviendrons”, conclut-elle, sans préciser si les députés EELV vont censurer. Elle le fera quelques minutes plus tard, dans une seconde version du communiqué de presse : “D’abord on a une motion de censure à voter…” L’équidistance suppose un peu de gymnastique.”Aucune raison” que la candidature commune de 2027 ne soit pas écologisteC’est ainsi : Marine Tondelier est coincée dans un étau qu’elle s’évertue, difficilement, à desserrer. “L’enjeu des Verts n’est pas de se déterminer en fonction du Parti socialiste ou de LFI”, précise-t-elle quand même à L’Express. Il est surtout de ne laisser aucune prise à leurs alliés. Les écolos deviendraient-ils un trophée de chasse dans ces luttes intestines opposant les deux forces hégémoniques du Nouveau Front populaire ? La secrétaire nationale, elle, se veut colombe de la paix. Arbitre des élégances aussi, disons-le… Parfois, elle souffle dans les bronches de ses partenaires – et le fait savoir. “Je ne comprends pas son enthousiasme”, glisse-t-elle au sujet d’Olivier Faure qui, quelques heures avant le discours de politique générale de François Bayrou, avait fait preuve d’un entrain démesuré. Quant à la pression exercée par les mélenchonistes sur les socialistes, les premiers enjoignant les seconds de quitter la table des négociations avec l’exécutif, elle en déplore l’âpreté : “Quand Jean-Luc dit aux socialistes’rentrez à la niche’, qu’est-ce qu’il espère ?” Il arrive aussi qu’elle s’interroge, un brin inquiète : “Est-ce que le PS et les insoumis vont continuer de jouer avec le feu jusqu’à l’explosion du NFP ?” Un ponte socialiste la met en garde : “Attention Marine, le grand écart permanent ça fait mal aux adducteurs !” Voilà, en revanche, quelques semaines qu’elle ne parle plus à Jean-Luc Mélenchon, trop insultant à son goût.Marine Tondelier se drape donc dans les oripeaux du Nouveau Front populaire, dans sa version la plus pacifiste. L’image agace à l’extérieur de son parti, où nombre de ses partenaires fustigent, anonymement, tantôt l’absence de clarté de la patronne des écolos, tantôt ses revirements successifs. Mais au sein de la maison verte, où les militants demeurent particulièrement sensibles à la question de l’unité de la gauche, la marque attire. Elle désarme les opposants internes, dont certains plaident pour ne présenter aucun candidat face à elle, histoire de démonétiser sa probable victoire… D’autres envisagent une candidature de témoignage pour muscler leur profil, à l’instar de l’ex-eurodéputée Karima Delli qui, dit-on, lorgne sur la mairie de Lille. Aux siens, Tondelier laisse souvent entendre que ce congrès n’est qu’une formalité. Pour continuer d’être l’imposante troisième voix médiatique du NFP.Ou une discrète troisième voie présidentielle à bâbord ? En novembre dernier, elle et l’éphémère candidate estivale à Matignon, Lucie Castets, ont ensemble appelé à une “candidature commune” de la gauche à la prochaine présidentielle. Le lendemain, Jean-Luc Mélenchon a fait de même, à la nuance près que cette dernière devait être insoumise. Face au western d’initiatives, Cyrielle Chatelain, cheffe des députés écolos, fixe le cadre : “Pour gagner, la question de l’expérience est un critère. On parle d’être au second tour face à quelqu’un qui a trois présidentielles dans les pattes.” Mais mais mais… Il y a toujours un avenir pour ceux qui pensent à l’avenir, disait Mitterrand. Marine Tondelier ne dirait pas mieux. Elle aussi pense au sien, croit-on savoir dans la maison verte, où certains l’accusent de préparer sa propre candidature. Elle répond volontiers : “Si la question est’les écolos doivent-ils jouer un rôle, pas juste en étant les maîtres de cérémonie ?’, c’est certain ! Il n’y a aucune raison que l’on parte du principe que la candidature commune ne doit d’aucune manière être écologiste.” Elle renchérit : “Nous n’en faisons pas un préalable au rassemblement. Et tout le monde devrait faire de même !” Comme pour se crédibiliser, celle qui n’est jamais avare de petites phrases, demande désormais de pouvoir parler de fond plutôt que de politique politicienne. Les journalistes de L’Humanité l’ont entendue. Mal leur en a pris ! Lorsqu’ils lui ont demandé d’expliquer le rapport entre l’écologie politique et la lutte des classes, elle a balayé” : “Je veux qu’on arrête de se branler la nouille (sic).”Marine Tondelier prisonnière de son image ? Retour en arrière. Mardi 8 octobre, la voici qui s’infiltre dans le tribunal d’Avignon. A son 24e jour, le procès Mazan continue de remuer le pays, et plus encore. Des journalistes du monde entier ont fait le déplacement pour suivre et raconter la défense de Gisèle Pelicot, droguée et violée par son ex-mari et des dizaines d’autres hommes pendant dix ans. Chaque jour, une petite foule vient applaudir le courage de cette femme. On n’y croise aucun politique de premier plan. Fallait-il venir ? Les députés écolos y ont pensé, se sont organisés même pour rejoindre Avignon et apporter un soutien à la victime, venir en cohorte, l’écharpe bleu-blanc-rouge épinglée sur le torse. Des cadres du parti leur ont fait entendre raison. Une folie. Sandrine Rousseau, visage féministe du parti, trouvait l’idée déplacée. Marine Tondelier ne s’embarrasse pas cette pudeur. Les avertissements de ses proches qui craignent les accusations d’instrumentalisation et de récupération politique n’ont aucun effet. Elle promet de se faire discrète. Ce jour d’octobre, la secrétaire générale des Ecologistes traverse, anonyme, la foule de journalistes qui ne la reconnaît d’abord pas. Avant de rejoindre la queue devant la salle de retransmission du procès, elle extirpe de son sac cette veste verte qu’elle porte immuablement, son étendard politique, et l’enfile. Enfin, elle attire le regard.
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Author : Mattias Corrasco, Olivier Pérou
Publish date : 2025-01-19 07:45:00
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