Porter un voile musulman sur un CV a un impact très négatif sur les chances d’être invité à un entretien d’embauche. Dans une étude publiée en décembre, nous avons mesuré l’ampleur de cette pénalité avec la méthode du testing dans le cas d’une recherche d’apprentissage par des étudiantes en BTS Comptabilité-gestion. Nous avons envoyé 4 000 candidatures spontanées de candidates voilées et non voilées auprès d’un échantillon de 2 000 PME parisiennes. L’expérience confirme un effet très négatif qui diminue d’environ 80 % les chances de recevoir une suite favorable à une candidature.L’étude passe en revue les travaux analogues qui ont été réalisés avec des méthodes proches aux Etats-Unis, en France et en Allemagne et qui parviennent à des conclusions comparables. Ses résultats corroborent l’expérience quotidienne de dizaines de milliers de femmes en France et celles des responsables d’associations qui ont participé à la discussion lors de la présentation publique, le 9 décembre à l’université Gustave-Eiffel. Ils sont en phase avec l’ensemble des travaux réalisés par des sociologues sur la situation des femmes musulmanes en France.Pourtant, le constat a surpris des collègues enseignants en gestion qui se sont associés à des défenseurs d’une certaine conception de la laïcité, parfois qualifiée d’antiracisme universaliste, pour signer une tribune virulente publiée par L’Express. Les signataires n’ont pas de compétences statistiques, n’ont jamais réalisé de recherche expérimentale et ne contribuent pas à la littérature scientifique sur les discriminations mais ils jugent l’étude biaisée, la taille des échantillons insuffisante et le testing inopérant. Ils n’ont pas davantage de compétences juridiques, ni d’expertise en matière de recrutement mais ils considèrent le voile comme une tenue incongrue et inadaptée à un cadre professionnel puisque la liberté vestimentaire y est limitée. Selon eux, la recherche est mal construite, les résultats inexistants et la médiatisation de l’étude, à laquelle leur tribune participe, irresponsable.La liberté religieuse reste la règleDans un tel contexte, il convient de rappeler clairement à nos détracteurs et aux lecteurs de L’Express que, dans le domaine professionnel, la liberté religieuse reste la règle. Les salariés sont autorisés à porter le voile, la kippa ou la croix dans l’exercice de leur profession. Refuser une candidate parce qu’elle porte un voile musulman relève juridiquement d’une discrimination. Il s’agit d’un délit qui expose à de lourdes sanctions. Le code pénal indique que l’employeur personne physique risque jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende tandis que la personne morale encourt jusqu’à 225 000 euros d’amende. S’il existe des exceptions dans le domaine de l’emploi public, le port du hijab n’est pas prohibé dans l’emploi privé, sauf lorsqu’un règlement intérieur le stipule explicitement. Mais ces rares exceptions ne concernent pas le champ de notre étude, qui est celui de petites entreprises. Surtout, les apprentis sont des stagiaires de la formation professionnelle qui ne sont pas soumis aux dispositions applicables aux salariés du secteur privé mais à des règles propres à leur statut. Comme l’a rappelé la représentante du Défenseur des droits lors de la discussion, toute restriction imposée aux libertés des stagiaires, dans le public comme dans le privé, doit être justifiée et proportionnée. Cela s’applique même aux organismes de formation relevant du secteur public.S’agissant de discriminations religieuses, comme pour tout autre motif de discrimination, la méthode expérimentale du testing, plus souvent appelée test par correspondances dans les publications internationales, est aujourd’hui l’une des méthodes de référence utilisée par les chercheurs. Notre expérience de terrain a été réalisée dans les règles de l’art, elle peut être reproduite et ses résultats peuvent être vérifiés. Nous avons une pleine confiance dans la robustesse de ces résultats. D’ailleurs, par bien des aspects, notre protocole de mesure est plutôt de nature à minorer l’ampleur effective des pénalités associées au hijab.Il est rare que des collègues chercheurs attaquent avec autant de violence des travaux de portée scientifique, a fortiori en dehors de leur domaine de compétence et par voie médiatique. Ces cinq dernières années, nous avons publié 25 études en lien avec la thématique des inégalités et des discriminations sur un grand nombre de sujets. Aucune d’elles n’a suscité de réaction aussi disproportionnée. De ce point de vue, les discriminations en raison du sentiment religieux ont bel et bien un caractère exceptionnel. Il nous semble que la violence de nos détracteurs illustre une forme de radicalisation du débat public, dès lors que sont abordés des sujets en lien avec la situation des musulmans en France. Force est de constater que le statut de chercheur ne préserve en rien de cette tendance générale.
Source link : https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/les-femmes-voilees-discriminees-a-lembauche-la-reponse-des-chercheurs-qui-ont-publie-letude-ALHHFBIX5JFWNEWJRYTPFBSCKQ/
Author :
Publish date : 2025-01-20 12:00:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.