Le titre m’a plu, Toutes pour une, et l’idée de faire des trois mousquetaires des femmes offrait l’espoir de me laver la tête du poussiéreux Trois Mousquetaires sorti l’année dernière. J’ai même pris le risque d’y entraîner Dora qui a bien réagi au titre, elle aussi. C’est un film de Houda Benyamina qui avait fait sensation avec ses Divines, en 2016, une petite bande de jeunes des cités, désireuses de s’affranchir de la domination des mecs, et d’abord en gagnant du fric, par la plus simple, la plus dangereuse et la plus amorale des façons, le trafic de drogue. Avoir du clito, tel était leur credo. Résultat, un film sympathique, très violent, qui fit polémique (ça existait encore à l’époque), et un succès.Neuf ans plus tard, avec un budget multiplié par cinq, Houda Benyamina réalise avec le même talent, la même énergie, la palinodie du précédent. En effet, en expédiant au milieu du XVIIe siècle ses quatre héroïnes, parmi lesquelles deux des anciennes Divines, la belle Oulaya Amamra et la phénoménale Déborah Lukumuena, Daphné Patakia et Sabrina Ouazani complétant le quartet des mousquetaires affranchies de tout et d’Alexandre Dumas, Benyamina réalise la palinodie de son Divines.Ça n’est plus en ayant du clito qu’elles se libèrent, s’imposent, prennent le pouvoir, c’est en se collant des moustaches et en s’attachant des verges postiches entre les jambes. Autrement dit, elles renoncent à leur sexe, là où elles le revendiquaient. Tentative pareillement vouée à l’échec, ce qui était un drame devient une comédie. Le message qui étouffait le premier film est allégé, presque tourné en dérision dans le second, remplacé avantageusement par le simple plaisir de faire du cinéma. C’est sans doute ce qui s’appelle devenir adulte. Ou professionnel.En 1937, Christian-Jaque avait envoyé Fernandel à la cour de François 1er avec, en guise de viatique, un Petit Larousse qui allait lui servir de vade-mecum divinatoire pour tous les grands personnages de l’époque, à commencer par le roi de France. Il y a un peu de ça, dans le film de Houda Benyamina : en voulant sauver la reine (on se demande bien pourquoi), ses mousquetaires risquent de finir au bûcher après les ordalies d’usage, comme Fernandel soumis à la langue râpeuse d’une chèvre qui lui lèche la plante des pieds enduits de sel. Il fallait trouver une scène aussi mémorable. Toutes choses égales par ailleurs, elle a été tournée à l’intérieur de la voiture d’un couple d’aristocrates que nos mousquetaires ont pris en otages. On y apprend à faire pleurer les hommes. La revendication féministe s’accomplit dans l’hilarité de cette séance de torture, ça peut paraître peu de chose, et c’est justement parce que c’est peu de chose que ça touche juste et fort.Délicieux frisson de l’équivoquePlus tard, Georgina Amoros et Nemo Schiffman, en couple royal, offrent un acte sexuel des plus réjouissant. Il s’agit en fait d’un viol consenti (de la part du roi) par une reine avide de se faire engrosser. Le renversement des rôles au plus haut sommet de l’Etat, comme degré zéro de l’émancipation des femmes… pourquoi pas. Si ça donne lieu à un moment aussi cocasse que celui-là, je prends. Et j’en reprends si ça peut nous épargner les soi-disant scènes d’amour dépourvues de sens, d’humour et de créativité qu’on trouve rituellement au cinéma.En sortant de la projection, une dame a hurlé qu’à 70 ans, elle venait de voir le plus mauvais film de sa vie. “Ah bon, pourquoi ?” lui a demandé Dora. Et la dame de 70 ans de préciser : “La discrimination positive à ce degré-là, c’est ignoble !”Pour ma part, ça faisait bien vingt ans que je n’avais plus entendu parler de “discrimination positive”. Bah ! si ce film veut faire scandale, qu’il le fasse.Femmes à moustaches, homme à nichons, tout le film est parcouru du délicieux frisson de l’équivoque. Jusqu’à l’inattendu Kacey Mottet-Klein en cardinal Richelieu, qui transgresse beaucoup mieux que dans Un monde violent qui sort la semaine prochaine, un polar où tous les sexes sont tous à la bonne place.
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Author : Christophe Donner
Publish date : 2025-01-22 05:45:00
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