Pour soigner l’Allemagne, “l’homme malade” de l’Europe, l’Union des chrétiens-démocrates (CDU) a concocté un sirop de son cru. Son médecin chef, Friedrich Merz, ne compte pas rester les bras croisés face au décrochage du pays. A l’approche des élections législatives anticipées du 23 février, le parti conservateur – que l’on dit favori dans la course à la chancellerie – a adopté un manifeste, “Agenda 2030”. Sa boussole : au moins 2 % de croissance du PIB “à moyen terme”. Son mot d’ordre : des allègements tous azimuts.Ce plan ne prévoit rien de moins que “la réforme fiscale la plus complète depuis des décennies”. Avec, au programme, une réduction de l’impôt sur les sociétés, la défiscalisation des heures supplémentaires ou encore une modification du barème de l’impôt sur le revenu. “S’il est mis en place progressivement, ce nouveau régime fiscal pourra fournir un cadre propice à une plus grande compétitivité, en stimulant l’investissement et donc l’innovation”, espère Martin Werding, membre du Conseil allemand des experts économiques.Une fiscalité plus attrayanteDepuis la fin du dernier mandat de la CDU, en 2021, marqué par le retrait de la vie politique d’Angela Merkel, l’économie allemande, confrontée à des pressions extérieures, a changé de visage. La surcapacité de production de la Chine s’est amplifiée, le gigantesque plan américain de l’Inflation Reduction Act et la crise de l’énergie ont érodé la compétitivité outre-Rhin. Autrefois moteurs de la croissance, des fleurons nationaux comme BASF ou Volkswagen envisagent désormais de licencier et de fermer des usines. Malgré tout, pas question pour le parti conservateur de se lancer dans une course aux subventions. Son pari est de doper l’attractivité en activant le levier fiscal. Les industriels joueront-ils le jeu ? Pas sûr, estime Céline Antonin, économiste à l’OFCE : “Beaucoup d’entreprises choisissent de s’installer aux Etats-Unis car les coûts énergétiques y sont plus avantageux. Ce programme pourra ralentir les délocalisations, mais pas les arrêter”.Les propositions de la CDU pour relancer l’économie allemandePour répondre aux difficultés des secteurs électro-intensifs, l’Agenda 2030 promet de gagner au moins cinq centimes sur le prix du kilowattheure. Or, dans un pays éprouvé par la sortie du nucléaire et piégé par sa dépendance au gaz russe, cette mesure conjoncturelle ne sera pas suffisante. “A l’heure actuelle, cette réduction est le maximum sur lequel la CDU puisse tabler, explique Martin Werding. Mais il faudra aussi élaborer une stratégie énergétique de long terme, pour résoudre la situation compliquée dans laquelle nous nous sommes mis.”Sur le volet environnemental, enfin, Friedrich Merz ne s’embarrasse pas. Circonspect vis-à-vis de l’hydrogène et de l’acier verts, il a fait comprendre qu’il reviendrait sur la priorité accordée au climat dans l’élaboration des politiques économiques ces dernières années. Dans cette optique, l’Agenda 2030 réaffirme l’intention de lever l’interdiction des moteurs à combustion d’ici à 2035 – un cheval de bataille des conservateurs depuis des mois.Chômage et bureaucratieTransformer le marché du travail est la deuxième priorité. Sur ce point, le programme de la CDU rappelle l’Agenda 2010 de Gerhard Schröder, une série de réformes décriées, y compris au sein de son propre camp, mais qui ont porté leurs fruits quelques années plus tard, freinant le chômage et ravivant la croissance. “L’objectif est de rendre le travail financièrement plus attrayant. Aujourd’hui, le revenu supplémentaire que vous obtenez en travaillant davantage est trop faible”, constate Bjoern Griesbach, économiste pour la zone euro chez Allianz.L’affaissement démographique est une autre contrainte qui pèse sur le marché du travail : la population allemande en âge de travailler devrait passer de 52 à 43 millions d’ici à 2050, d’après les estimations d’Allianz. Pour contrecarrer cette tendance, la CDU mise sur l’immigration. Mais pas n’importe laquelle. Une Agence fédérale numérique pour l’immigration qualifiée sera créée dans le but d’accélérer les procédures de recrutement. “C’est une idée intéressante puisque, aujourd’hui, les décisions sur les visas de travail sont prises au niveau local, ce qui rend le processus complexe et inefficace”, considère Bjoern Griesbach. A l’inverse, les règles sur l’immigration illégale seront durcies, promet la CDU et son alliée bavaroise, la CSU.Des coupes dans les effectifs de fonctionnaires et des simplifications de procédures administratives sont, enfin, au menu. Un sujet majeur, puisque cette bureaucratie excessive coûterait 146 milliards d’euros par an à l’économie allemande, d’après l’Ifo Institut. Fustigeant la politique de la coalition précédente, la CDU souhaite un “Etat moins donneur de leçons que prestataire de services”. Les conservateurs n’ont pas le monopole de la chasse au gaspi administratif : le gouvernement d’Olaf Scholz s’était aussi emparé de la question, avec une loi d’allègement adoptée l’automne dernier. “Les propositions de la CDU ne sont pas révolutionnaires. Mais si elles permettaient de rester sur la voie tracée par l’équipe précédente, ce serait une bonne nouvelle pour la compétitivité”, estime Martin Werding.Un trou dans le budgetRéduire le fardeau fiscal, libérer les entreprises de la paperasse, travailler plus pour gagner plus… L’ordonnance est classique. Remettra-t-elle sur pied le patient allemand ? “L’objectif des 2 % n’est pas inatteignable, admet Céline Antonin. Mais réconcilier la règle d’or budgétaire [NDLR : le “frein à l’endettement” qui limite le déficit à 0,35 % du PIB], à laquelle les Allemands sont tellement attachés, et cet expansionnisme fiscal, c’est un peu la quadrature du cercle.” Car la réduction des impôts a un prix. D’après les calculs de l’Institut économique allemand (IW), il avoisinerait les 90 milliards d’euros par an. “Il s’agira d’un trou important dans le budget fédéral, renchérit Martin Werding. Le programme de la CDU ne mentionne pas vraiment les leviers de financement et elle restera probablement silencieuse sur ce point durant la campagne électorale.”Pour sa part, Franziska Palmas, économiste à Capital Economics, juge l’objectif des 2 % “extrêmement ambitieux”, à l’heure où les estimations de croissance potentielle sont inférieures à 1 %. “Certaines mesures proposées vont dans le bon sens mais elles manquent d’ampleur : par exemple, pour faire face à la diminution de la population en âge de travailler, le parti aurait pu proposer de reculer l’âge de départ à la retraite”, avance-t-elle. De façon plus structurelle, le programme de la CDU ne questionne pas les fondamentaux du “modèle allemand”, longtemps tiré par les exportations et qui se retrouve aujourd’hui fragilisé. “La CDU souhaite sauver ce modèle plutôt que de se concentrer sur la relance de la demande intérieure”, analyse Céline Antonin.Friedrich Merz a l’intention de passer rapidement des paroles aux actes : la transformation fiscale devra débuter dès janvier 2026. Reste à savoir à quoi ressemblera la coalition. En cas de rapprochement avec les sociaux-démocrates ou les Verts, la CDU devra choisir ses combats. “Dans ce scénario, ils se concentreront probablement sur la baisse de l’impôt sur le revenu. Or, cette dernière ne devrait pas avoir un effet majeur sur la croissance”, estime Franziska Palmas. Et d’ajouter, avec un brin de pessimisme : “Quel que soit le vainqueur des élections, il ne faut pas s’attendre à ce que le prochain gouvernement inverse subitement la tendance. Face à la concurrence accrue de la Chine dans l’industrie automobile et le vieillissement de la population, les marges de manœuvre sont limitées.” La convalescence risque de durer longtemps.
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Author : Tatiana Serova
Publish date : 2025-01-22 06:00:00
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