Ce 22 mars 2023, Xavier Driencourt, ex-ambassadeur de France en Algérie (de 2008 à 2012 et de 2017 à 2020), a rendez-vous au restaurant Les Princes, porte de Saint-Cloud, à Paris. Mehdi Ghezzar, chroniqueur aux Grandes Gueules de RMC, a demandé à le voir, raconte le diplomate. Selon son récit, il lui assure être un “un antisystème, un anti-Tebboune”, le président algérien, et vouloir se présenter à l’élection présidentielle de 2024. Pour cela, il sollicite les conseils de Driencourt, lui demande s’il pourrait lui faire rencontrer des opposants en France. Le 9 mai 2023, nouvelle entrevue en France, cette fois en présence du journaliste Abdou Semmar, figure de l’opposition, condamné à mort en Algérie. Malgré les témoignages de ces deux convives auprès de L’Express, et des traces écrites de ces rendez-vous, Mehdi Ghezzar nie aujourd’hui avoir jamais rencontré Driencourt et Semmar.Faut-il s’en étonner ? Cet entrepreneur de 39 ans est devenu entre-temps un des principaux relais d’influence du pouvoir algérien en France. L’Express peut confirmer que Mehdi Ghezzar a rencontré, le 17 janvier, et à sa demande, Louis-Xavier Thirode, le directeur de cabinet adjoint du ministre de l’Intérieur, après avoir sollicité une entrevue avec Bruno Retailleau. Il assurait avoir notamment des éléments à transmettre sur Boualem Sansal, tel ces missi dominici qui rétablissent le contact en cas de crise diplomatique. “C’est aujourd’hui un proche du président Tebboune”, affirme un conseiller de l’exécutif au cœur de ces dossiers. Selon nos informations, il est suivi par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) en raison de ses connexions algériennes au plus haut niveau.”Lobby DZ”Mehdi Ghezzar n’a pourtant rien de ces messieurs bons offices habitués à agir discrètement en marge des canaux diplomatiques. Hâbleur, conflictuel, virulent, ce propriétaire d’une dizaine de sociétés en France fait du bruit où il passe, avec ce verbe haut dont il a fait sa marque. Le 28 novembre dernier, dans le contexte d’une escalade de la tension entre Paris et Alger, il dînait aux côtés d’une vingtaine d’influenceurs liés à l’Algérie au restaurant Majouja, dans le IXe arrondissement de Paris. “On fait face à une guerre médiatique, politique, ça va aller de pire en pire au fil des mois. Il faut qu’on soit unis, indivisibles, comme la grande et belle Algérie”, discourait-il, un pot de pâte à tartiner algérienne El Mordjene, interdite dans l’Union européenne, posé devant lui. Au moins trois vidéos prises en direct par les influenceurs le montrent juché en président de table, escorté à sa droite par deux hommes debout, en noir. Ceux-ci ne se sont pas présentés et aucun des convives ne les connaissait, nous a assuré un invité de cette soirée. Les vidéos de ce moment ont, depuis, toutes été supprimées des réseaux sociaux par leurs auteurs.Le 1er septembre, déjà, sur TikTok, il exhortait les influenceurs franco-algériens à se comporter en “moudjahidine 2.0”. “Abdelmadjid Tebboune est un moudjahid à sa façon, parce qu’il a combattu ce qu’il fallait combattre”, ajoutait-il. A cette période, il avait obtenu d’être nommé directeur de campagne à Paris du président algérien, alors candidat à sa réélection. On l’a vu alors dans les meilleurs termes avec les dirigeants de l’ambassade en France ; il intervient désormais régulièrement sur la chaîne publique algérienne Al24 News. Le 1er octobre 2024, trois semaines après la réélection de Tebboune, il annonce encore au média Arab News vouloir créer un “lobby DZ”, comprendre algérien, en France. Depuis l’époque où il a lancé sa première entreprise française dans l’immobilier, en 2014, bientôt suivie d’investissements dans la restauration ou un garage automobile, l’homme a percé. “Mehdi Ghezzar, c’est quelqu’un dont personne n’avait jamais entendu parler il y a encore quatre ans en Algérie. Il est sorti de nulle part. Ça pose beaucoup de questions”, avance l’activiste Chawki Benzehra, réfugié politique en France.After footTout a commencé pour lui par une interaction fortuite, une sorte de rencontre à Nothing Hill version médias français. Un soir d’août 2021, Alain Marschall, le coprésentateur des Grandes Gueules sur RMC, dîne avec un ami aux Princes. Mehdi Ghezzar également, à la table voisine. Il aborde l’animateur, évoque son épouse, elle aussi journaliste. Le courant passe. A la fin de la soirée, Ghezzar offre son repas à Alain Marschall. “J’étais gêné mais il n’a rien voulu entendre, s’amuse aujourd’hui le pilier des “GG”. Il n’arrêtait pas de tchatcher, de me parler de son quotidien de chef d’entreprise, des patrons qui investissent, qui bossent toute l’année… Je me suis dit qu’on avait une grande gueule potentielle.”Quelques jours plus tard, Mehdi Ghezzar fait un essai aux “GG”, il impose immédiatement son personnage de patron gouailleur, qui aime travailler et se plaint des charges. Hors caméra, l’homme se fait également apprécier. “J’ai le souvenir d’une personne chaleureuse, qui s’est vite intégrée”, se rappelle Joëlle Dago-Serry, chroniqueuse aux GG. Serviable, Ghezzar propose ses services aux équipes, apporte les croissants. Le repas de fin d’année de l’émission a lieu dans l’un de ses restaurants.Il sait se rendre indispensable, comme en septembre 2023, lors d’un voyage en Algérie de L’After Foot, l’émission emblématique de RMC. “Nous organisions notre arrivée à Alger, mais tout était très compliqué, y compris l’obtention des visas”, se remémore Daniel Riolo, chroniqueur de l’émission. Le journaliste demande des conseils à Ghezzar. “Tout s’est vite débloqué quand il s’en est mêlé, raconte-t-il. On l’a retrouvé à l’aéroport et il est devenu l’organisateur du séjour. Il s’est occupé de tout de A à Z.” L’équipe s’émerveille des talents de ce G. O. improvisé, qui “ne parle jamais politique interne” et avec qui “tout est facile à Alger”, résume Riolo.”Consensus”Fin 2023, Mehdi Ghezzar obtient une nouvelle reconnaissance. Il est élu, le 12 décembre, “GG de l’année”, c’est-à-dire meilleur chroniqueur, par les auditeurs. “Je me rappelle qu’il était obsédé par ce prix du GG de l’année. Il n’arrêtait pas d’agiter les réseaux sociaux pour gagner”, rigole Barbara Lefebvre, chroniqueuse de l’émission, qui s’en souvient à l’époque comme “d’un grand enfant”, “chaleureux et attachant”. “A partir de là, j’ai l’impression que ça lui est monté à la tête. Il a peut-être pensé être intouchable”, s’interroge Lefebvre.Ghezzar entame bientôt une deuxième collaboration, de l’autre côté de la Méditerranée cette fois. A l’été 2024, il devient consultant pour la chaîne publique d’information algérienne AL24 News. Dans leur Hebdo Show, l’entrepreneur reprend les recettes des GG, mais désormais, ses diatribes vantent la grandeur de l’Algérie, les mérites du président Tebboune, quand ses critiques sont étrillés. Jusqu’à l’outrance de trop. Le 25 août, il assure que le royaume marocain est “téléguidé par un régime sioniste”. “C’est un pays qui se nourrit avec des mouches sionistes de la désinformation continue à travers les réseaux sociaux, Internet, les unités de presse”, assène-t-il. En France, ces propos lui valent d’être évincé de RMC. Ghezzar, penaud, ne s’excuse publiquement qu’auprès des animateurs. “On n’en revenait pas, se souvient Olivier Truchot, coprésentateur de l’émission. J’ai essayé de repenser à ses interventions chez nous, mais rien ne laissait présager qu’il ait eu un but politique. C’était un garçon très sympa.”Trois jours plus tard, Mehdi Ghezzar monte sur la scène d’un meeting pro-Tebboune à Paris, dans le XIVe arrondissement. L’ancien GG de l’année est présenté comme le directeur de campagne à Paris du président algérien. En novembre, il raconte au média LeLien avoir ressenti “un sentiment d’honneur” quand Tebboune lui a “donné le privilège d’organiser ce meeting en son nom”. Aujourd’hui, Ghezzar est beaucoup plus mystérieux sur les coulisses de sa nomination. “J’étais dans une liste de 50 personnes, mon nom a émergé parmi une quinzaine d’autres, j’ai fait consensus”, relate-t-il.Amadouer et intimiderConverser avec Mehdi Ghezzar peut vite donner le tournis. Durant l’entretien qu’il nous accorde au restaurant Les Princes – évidemment – l’entrepreneur-polémiste, long manteau noir et cigarette au bout des doigts, multiplie les assertions, parfois contradictoires. En oscillant entre un sous-texte amadoueur et une pointe d’intimidation. Précédemment, au téléphone, il nous a assuré connaître Alain Weill, le propriétaire de L’Express, mais cette fois, ce n’est plus le cas. Il nous explique aussi nous faire une fleur car il ne discutera à présent qu’avec nous – on se rendra compte qu’il a bien répondu à un autre journal dans l’intervalle.Sans jamais se départir de son aplomb, il dresse spontanément la liste de ses connaissances célèbres, nous répète trois fois qu’on le surnomme “le golden-boy algérien”, tout en précisant avec une subtilité relative que “c’est n’importe quoi”. Il insiste aussi pour nous montrer en direct ses relevés bancaires ; la preuve ultime selon lui de sa probité. Seule l’évocation de ses parents, dont il a pourtant parlé récemment à la télévision, lui inspire une gêne. “Mon père a été diplomate”, dit-il, refusant de donner son nom. “Il a eu plusieurs fonctions : consul, consul général, chargé d’affaires. En Suisse, aux Etats-Unis, en République tchèque, au Bénin”, déroule-t-il. A la télévision algérienne, Ghezzar a assuré que le paternel avait été “un proche” de Houari Boumediene, président et icône de la guerre d’indépendance. “C’était il y a plus de quarante-cinq ans”, évacue-t-il cette fois. Sa mère, femme au foyer, l’a élevé avec ses trois frères et sœurs. Tous ont vécu en France à partir de 1990. Mehdi est le seul des quatre à ne pas avoir acquis la nationalité française – “par phobie administrative”, glisse-t-il.Une “cabale”Il refuse désormais de s’exprimer sur le fond du dossier Sansal, qu’il affirme “avoir l’humilité de ne pas connaître”. A la mi-décembre, sur le plateau de l’Hebdo Show d’Al24 News, il accusait pourtant Boualem Sansal et Kamel Daoud d’être “des agents pour la déstabilisation de l’Algérie, qui sont payés par des gens nostalgiques de l’Algérie française”. Quel Ghezzar croire ? Et surtout, quelle crédibilité lui accorder ? L’exécutif français semble lui-même se poser actuellement la question. “On s’en méfie énormément”, assure une source gouvernementale, qui n’hésite pas, malgré sa proximité avec la présidence algérienne, à dresser un parallèle, “toutes proportions gardées, avec Ziad Takieddine”. Ce sulfureux intermédiaire est devenu maître, dans les années 1990 et 2000, dans cet art subtil de faire croire à son importance pour se rendre véritablement incontournable.En privé, Mehdi Ghezzar affirme avec force être victime d’une “cabale” médiatique. Ses responsables ? “Les anciens de l’OAS”, glisse-t-il très sérieusement auprès de ses amis, en référence à cette organisation terroriste d’extrême droite nostalgique de la colonisation, autodissoute à la fin des années 1960. Une résurgence qui ferait de fait de l’entrepreneur un véritable “moudjahid 2.0”.
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Author : Alexandra Saviana, Etienne Girard
Publish date : 2025-01-22 17:00:00
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