Comment prendre en charge les personnes transgenres, et en particulier les enfants qui ne s’identifient pas au genre qui leur a été attribué à la naissance ? La question ne cesse d’agiter les sphères politiques et médicales depuis plusieurs années. Aux Etats-Unis, Donald Trump vient de remettre brutalement le sujet sur le devant de la scène. Il en a même fait l’un des tout premiers thèmes de son discours d’investiture – pour marteler que les Etats-Unis ne reconnaîtraient plus que “deux sexes, masculin et féminin” définis à la naissance.Même si le phénomène reste très minoritaire, voire marginal, le nombre de personnes traitées a augmenté ces dernières années un peu partout dans le monde. En France par exemple, les demandes d’opérations chirurgicales chez les adultes ont été multipliées par trois entre 2011 et 2020 (de 536 à 1 615) et sont passées de 6 à 48 chez les moins de 18 ans, selon un document de la Haute autorité de santé paru en 2022. Cette augmentation, dont la cause reste inexpliquée, alimente fantasmes et hypothèses hasardeuses, comme celle d’une “contamination sociale”, non prouvée. Mais dans l’Hexagone, comme dans la plupart des autres pays développés, les débats se concentrent sur les mineurs. Quoi qu’il en soit, cette nouvelle demande médicale s’accompagne d’une offre de soins croissante, avec davantage de consultations et de prises en charge en cliniques spécialisées.Dès lors, la question d’adapter le parcours de soins se pose. Comment faut-il accompagner les enfants qui se disent transgenres ? Faut-il faciliter la prescription de bloqueurs de puberté, des hormones dites “d’affirmation de genre” et de chirurgie de réassignation de genre, ou au contraire les limiter, voire les interdire ? La HAS a été chargée d’étudier les données scientifiques disponibles afin d’actualiser ses recommandations. Son rapport, très attendu, doit paraître dans les prochaines semaines.A ce jour, les bloqueurs d’hormones sont prescrits sans conditions d’âge, à condition d’avoir une autorisation parentale pour les mineurs. Ces médicaments, sur le marché depuis une quarantaine d’années, sont avant tout destinés aux enfants subissant une puberté précoce (avant sept ou huit ans). Ils peuvent toutefois aussi être proposés aux enfants qui se questionnent sur leur identité de genre dans le but de leur donner un temps de réflexion. Ils empêchent la sécrétion des hormones sexuelles (œstrogènes, testostérone) et ralentissent, voire empêchent la puberté et ses modifications corporelles (poitrine, pilosité, voix, etc.). Si le traitement est interrompu, la puberté reprend son cours. Les prescriptions d’hormones “d’affirmation de genre” (œstrogène ou testostérone) sont également autorisées sans conditions d’âge avec une autorisation parentale. Le plus souvent prescrites autour de 15 ans, elles permettent de développer les attributs d’un sexe ou de l’autre. Leur impact est en partie irréversible (pilosité, voix) et peut diminuer la fertilité. Les chirurgies de réassignation – visage, poitrine et organes génitaux afin de rendre le corps conforme au genre ressenti ne sont accessibles qu’à partir de 18 ans. Depuis un décret du 8 février 2010, les soins de transition sont globalement pris en charge par l’Assurance maladie, et même remboursés à 100 % si la personne a été diagnostiquée comme souffrant d’une “affection de longue durée”.A l’étranger, certains de nos voisins jusqu’ici plus libéraux que nous commencent à faire machine arrière, au profit d’une approche plus prudente. De nombreux médecins invoquent une insuffisance de preuves sur les bénéfices pour les jeunes et sur les effets potentiels à long terme des traitements, tout en constatant une augmentation du nombre de jeunes en questionnement sur leur identité de genre.Restrictions d’accèsLe Royaume-Uni, illustre particulièrement bien ce cas, puisqu’il a décidé d’interdire les bloqueurs de puberté pour les moins de 18 ans en décembre dernier, confirmant une interdiction temporaire émise plus tôt dans l’année. Les enfants et adolescents qui se posent des questions sur leur genre ne pourront donc plus bénéficier des inhibiteurs de puberté. Le Danemark a également décidé de restreindre l’accès à ces thérapies. Alors que le nombre de consultations auprès de la seule clinique spécialisée du pays pour les adolescents a triplé entre 2016 et 2022, passant de 97 à 352, les médecins proposent de moins en moins de traitements hormonaux (67 % des demandes étaient satisfaites en 2016 contre 10 % en 2022). La Finlande a également durci sa position et a choisi de privilégier l’accompagnement psychologique et de n’autoriser les traitements hormonaux que pour les adolescents dont l’identité de genre est jugée “permanente”. En Norvège, l’agence gouvernementale Ukom a publié en mars 2024 de nouvelles recommandations visant à limiter les bloqueurs de puberté et les opérations chirurgicales aux essais cliniques.La Suède, premier pays à légaliser la transition de genre en 1972, constate aussi une forte augmentation du nombre de personnes souffrant de dysphorie de genre, la détresse liée à une incongruence entre l’identité de genre d’un individu et le sexe attribué à la naissance. Entre 2007 et 2017, le nombre de jeunes filles de 13 à 17 ans suivies pour ce trouble est passé de 31 à 727. En 2021, l’hôpital universitaire Karolinska de Stockholm a décidé d’interdire l’usage des bloqueurs d’hormones. Un an plus tard, les autorités estimaient que les risques “l’emportaient probablement sur les bénéfices”, limitant désormais l’utilisation de bloqueurs aux cas “exceptionnels”. Mais en 2024, le parlement suédois a adopté une loi qui abaisse de 18 à 16 ans l’âge auquel une personne peut changer de sexe légal, et qui facilite la procédure. L’ablation des ovaires ou des testicules, elle, n’est autorisée qu’à partir de 23 ans.En Australie, le gouvernement de l’Etat du Queensland a annoncé, début janvier, son intention de restreindre l’accès aux bloqueurs de puberté pour les mineurs. Aux Etats-Unis, avant les déclarations de Donald Trump, vingt-six États avaient déjà adopté des lois interdisant les soins d’affirmation de genre pour les enfants et adolescents transgenres, ou interdisant l’utilisation de fonds publics pour les réaliser. La Cour suprême américaine, actuellement dominée par des juges républicains conservateurs, a été chargée de trancher un litige concernant l’une de ces lois dans le Tennessee, ce qui pourrait avoir un impact majeur pour les 25 autres Etats. Onze autres Etats américains ainsi que la ville de Washington D.C. ont, a contrario, renforcé les droits des personnes trans et facilité leur accès aux soins. Reste à voir si les décisions du nouveau président américain auront une incidence sur ces politiques.Quelques pays Européens continuent toutefois de promulguer des lois facilitant les procédures ou les soins des personnes trans. L’Espagne a par exemple légalisé le changement de sexe auprès de l’état civil à partir de 16 ans en 2023, bien que la loi suscite toujours des polémiques. Cette nouvelle loi permet également d’élargir l’autodétermination du genre aux 12-16 ans (les 12-14 ans doivent obtenir le feu vert de la justice, les 14-16 ans n’ont besoin que de l’accord de leurs tuteurs légaux). En octobre 2024, l’Allemagne a voté une loi similaire en permettant de changer de genre grâce à une simple déclaration à l’état civil. Pour les moins de 14 ans, seuls les parents ou tuteurs pourront engager une procédure. Les mineurs de plus de 14 ans pourront le faire eux-mêmes, mais seulement avec le consentement de leurs parents.Retour de valeurs plus conservatricesLa tendance générale reste néanmoins aux restrictions. Comment expliquer ce phénomène ? Une partie de la réponse se trouve dans le retour de valeurs plus conservatrices dans de nombreux pays, mais aussi dans l’inquiétude face à l’augmentation du nombre de cas chez les jeunes. Mais une autre partie de l’explication se trouve sur le terrain scientifique. Jusqu’à maintenant, de nombreuses cliniques et médecins se basaient sur le “protocole néerlandais”, considéré comme la référence en matière de soins pour les enfants transgenres. Ce dernier a été mis en place voilà plus de 20 ans pour traiter les jeunes présentant une dysphorie de genre. Il a été agrémenté d’études scientifiques, dont une publiée en 2011 et portant sur un groupe de 70 adolescents montrant que les bloqueurs de puberté, associés à une thérapie, améliorent le fonctionnement psychologique des enfants. La deuxième, publiée en 2014 et suivant 55 patients pendant sept ans, suggère que l’accès à ces traitements a amélioré la santé mentale des patients et diminué leur dysphorie de genre.Mais ces dernières années, des chercheurs ont remis en cause ces résultats, rappelant que le profil des jeunes trans a beaucoup évolué ou encore que les premières études n’ont pas suivi l’évolution des patients suffisamment longtemps à l’âge adulte. En 2015 des chercheurs finlandais ont ainsi publié une étude montrant que leurs patientes de sexe féminin étaient “nettement surreprésentées” dans deux cliniques spécialisées dans l’identité de genre, contrairement aux études néerlandaises, ce qui pourrait suggérer des besoins différents. Ces travaux montrent aussi que contrairement aux participants aux études néerlandaises, nombre de ces nouveaux patients n’ont pas ressenti de troubles liés à leur sexe avant la puberté et souffraient d’autres troubles mentaux, notamment de dépression et d’autisme.La prévalence des maladies mentales chez les enfants trans, bien documentés, est d’ailleurs mal comprise. Il reste par exemple difficile de déterminer à quel point ces troubles mentaux sont liés aux nombreuses discriminations dont ils sont victimes ou s’ils sont préexistants aux demandes de transition. En France, l’Académie de médecine, une des rares autorités à avoir pris la parole sur ce sujet, estime qu’une “grande prudence médicale doit être de mise chez l’enfant et l’adolescent, compte tenu de la vulnérabilité, en particulier psychologique, de cette population et des nombreux effets indésirables, voire des complications graves, que peuvent provoquer certaines des thérapeutiques disponibles”. Les effets secondaires, mal connus, concernent la croissance, la fertilité, et les conséquences psychologiques et émotionnelles.Mais la critique la plus élaborée a été produite par le Dr Hilary Cass, l’ancienne présidente du Collège royal de pédiatrie et de santé infantile au Royaume-Uni chargée d’évaluer les données probantes sur les soins médicaux pour les jeunes transgenres. Son rapport de 338 pages publié en avril 2024 conclut que les preuves de l’efficacité des bloqueurs de puberté pour réduire la dysphorie de genre et améliorer et la santé mentale des enfants transgenres sont faibles. L’analyse souligne un manque de connaissance sur l’effet à long terme du développement cognitif et psychosexuel. En revanche, le rapport ne trouve aucune explication claire à l’augmentation du nombre d’enfants et d’adolescents souffrant de dysphorie de genre.
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Author : Victor Garcia
Publish date : 2025-01-22 07:00:00
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