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“Au fond, je suis comme un footballeur” : Miguel Bonnefoy, le champion de la rentrée littéraire

L'écrivain français Miguel Bonnefoy cartonne avec son livre "Le rêve du jaguar"




Avec Miguel Bonnefoy, il faut souvent savoir faire la distinction entre le rêve et la réalité. En septembre, on était allé le voir à Toulon, où il vit avec sa femme et leurs deux filles. Au cours de notre déjeuner au Petit Sud, restaurant installé au bord de la plage du Mourillon, le romancier nous avait brossé ce portrait de sa mère : “Elle est hors du commun, elle séduit tout le monde. Elle est magique, exubérante, extravagante… Elle ne s’habille qu’avec des couleurs vives, dans de larges foulards. A l’oral, elle mélange l’italien, l’espagnol et le français – on a l’impression qu’elle parle esperanto. Elle ne s’exprime qu’en vers, car c’est une grande lectrice de poésie. C’est un personnage étonnant, un être irrésistible !” Quelques semaines plus tard, juste après avoir reçu le Grand prix du roman de l’Académie française pour Le Rêve du jaguar, notre homme décroche aussi le Femina (doublé inédit). On se rend au cocktail donné chez son éditeur, Rivages. Là, on tombe sur une toute petite dame vêtue de noir, qui nous tend la main et se présente ainsi, avec une sobriété quasi-janséniste : “Bonsoir monsieur, je suis la mère de Miguel.” Difficile de ne pas sourire quand on se souvient des envolées lyriques de son fils à son sujet…Héritier du réalisme magique, Bonnefoy aurait-il tendance à enjoliver ? On lui pardonne, tant il le fait bien. Quiconque a déjà passé une soirée avec lui est tombé sous le charme de ce garçon volubile, à côté duquel Fabrice Luchini paraît éteint, voire carrément frappé d’aphasie. Heureusement pour nos (mauvais) comiques que Bonnefoy ne se lance pas dans le one-man-show : il siphonnerait leurs salles. Plutôt que d’envisager cette reconversion, il cartonne en librairie. Le Rêve du jaguar a atteint les 170 000 exemplaires vendus, et ce n’est pas fini. Comme dans Héritage (lauréat du prix des Libraires en 2021), où il faisait l’éloge de son père réfugié politique chilien, Bonnefoy continue de réenchanter le passé de sa famille sud-américaine en racontant cette fois l’incroyable destin de son grand-père maternel, un orphelin trouvé dans les quartiers pauvres de Maracaibo qui va devenir un des plus grands médecins du Venezuela. Recopions juste le superbe incipit du roman, qui donne une idée du conteur qu’est Bonnefoy : “Au troisième jour de sa vie, Antonio Borjas Romero fut abandonné sur les marches d’une église dans une rue qui aujourd’hui porte son nom.””Efforce-toi de ne pas être de ton temps”Pour les besoins de cet article, on espérait coincer l’écrivain lors de l’un de ses passages à Paris. Hélas, il a un agenda de ministre (si on le nommait porte-parole, aucun doute que le gouvernement serait plus populaire). On le joint donc par téléphone. Il est dans un taxi, en train de baratiner le chauffeur. Entre deux phrases adressées à ce dernier, il répond à nos questions, tel Napoléon qui était capable de dicter plusieurs lettres en même temps à des secrétaires différents. De notre côté, on ne s’intéresse pas à son chemin (“Prenez donc plutôt par ici !”) ou au paiement de la course (“Ah, contre toute attente, ma carte bleue passe !”) mais à cette anomalie : dans notre époque où ne semblent plus marcher que les romans de société à gros sujets (et gros sabots) et les récits autobiographiques plaintifs, comment fait-il pour connaître un tel succès avec ses livres chatoyants qui tiennent souvent de la fable ? A l’autre bout du fil, Bonnefoy se concentre une seconde : “Je reste fidèle à une phrase du peintre Roy Lichtenstein : ‘Efforce-toi de ne pas être de ton temps.’ Je crois très honnêtement, et ce n’est pas de la démagogie, un discours de Miss Monde, que, quand un livre est sincère, il peut toucher des lecteurs. On voit quand un roman est cousu de fil blanc et quand il sort des tripes. J’aime les livres pulpeux, ceux qui ont de la chair. J’aime les livres où, quand on décrit un immeuble, il y a les mots ‘scorpions’ et ‘salamandres’ dans la même phrase – ça, ça me plaît. Tant mieux si le public suit !” Quand on vous disait que nous avons affaire à un original…Né à Paris en 1986, Bonnefoy a grandi à Caracas, Lisbonne et Buenos Aires, déménageant au gré des postes où était nommée sa mère, diplomate. Au début de sa carrière d’écrivain, il a vécu à Rome (pensionnaire à la Villa Médicis en 2018-2019) puis à Berlin avant de s’installer à Toulon. A travers tous ses déplacements, il a gardé son attachement à notre langue, apprise et cultivée dans les lycées français de l’étranger au cours de son enfance et de son adolescence. S’il n’a pas cette horrible écriture blanche (autrement dit ce style plat) typique de nos contemporains, est-ce grâce à cela ? “Mes livres ne sont pas meilleurs que ceux de mes amis François-Henri Désérable ou Nina Léger, je fais juste mon affaire à partir de cette différence. Dans les établissements où j’étais, à Buenos Aires ou à Lisbonne, l’espagnol et le portugais étaient les langues de la rue. Le français, parlé uniquement dans l’enceinte des lycées, m’apparaissait comme une langue d’art, qui n’aurait pas été touchée, salie, souillée par le quotidien, les petites aspérités de tous les jours. La langue locale est embrumée par l’argot, alors que la langue française se purifie à l’étranger. Les professeurs y sont ses gardiens. Récemment j’étais en Bulgarie, invité par l’ambassade de France, et c’était pareil : les gens s’exprimaient bien, dans la conversation la France était embellie. La distance rend les choses plus lumineuses… C’est un peu comme les morts. Quand on parle de ses morts, on finit toujours par les grandir un peu. Ton grand-père, qui mesurait un petit 1,70 mètre, en vient à mesurer 2,40 mètres ! Et puis il était très beau – vraiment, quel bel homme ! Alors que pas forcément. Mais il avait un charme fou… Vous l’auriez vu, c’était incroyable : dans la rue, les gens l’applaudissaient ! Les morts ont ça, une aura, et j’ai eu ce même rapport à la culture et à la tradition françaises, faites d’un marbre intouchable.” “Au fond, je suis comme un footballeur”Olé ! Quand Bonnefoy est lancé, on ne peut plus l’arrêter : “Ce qui est drôle, c’est que maintenant c’est l’espagnol qui prend cette place dans mon cœur. Je ne le retrouve que dans les livres, alors que le français s’est un peu banalisé. J’ai la tentation folle d’écrire en espagnol, je n’arrête plus d’y penser : prendre un pseudonyme et recommencer à zéro, en publiant en Espagne. Etre ensuite traduit en français, ce serait amusant !”En attendant, il songe à un projet autour duquel il tourne depuis longtemps : un livre sur la république utopique de Libertalia. Pour s’y atteler, encore faudrait-il en avoir le temps. Le bondissant Bonnefoy enchaîne les salons et les rencontres dans les librairies (son éditeur a refusé plus de 200 demandes). Le jour où nous l’avons au téléphone, Bonnefoy doit aller parler à la médiathèque de Rueil-Malmaison. Comme on lui raconte avoir fait à Rueil hypokhâgne et khâgne, il nous demande à quoi ressemble ladite médiathèque. On lui répond n’y avoir jamais mis les pieds. Stupeur faussement outrée de notre interlocuteur : “Ah, monsieur connaît la maison close du coin, mais pas la médiathèque !” Là-dessus, il conclut : “Au fond, je suis comme un footballeur : je prends match après match. Ce n’est pas tous les soirs la Ligue des champions. Il faut jouer à Tours, il faut affronter Strasbourg.” Quelle erreur du Real Madrid que d’avoir engagé le poussif Kylian Mbappé. Le club aurait dû signer Bonnefoy, le flamboyant goleador de notre scène littéraire.Le Rêve du jaguar. Par Miguel Bonnefoy. Rivages, 295 p., 20,90 €.



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Author : Louis-Henri de La Rochefoucauld

Publish date : 2025-01-25 11:30:00

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