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MBS, l’ambitieux prince saoudien : enquête sur l’homme qui peut changer le Moyen-Orient

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Pendant des années, à la cour royale, ses ennemis le surnommaient “l’ours errant”. Ce jeune prince au tempérament volcanique négligeait sa barbe, n’avait pas étudié dans les prestigieuses universités américaines comme tous ses cousins et n’avait que faire des bonnes manières. Vingt ans plus tard, seule sa corpulence reste la même. Tous ceux qui l’ont croisé vous le diront : Mohammed ben Salmane “aspire l’atmosphère” lorsqu’il pénètre dans une pièce. Nombreux sont ceux à le décrire 20 centimètres plus grand qu’il ne l’est.Le visage encadré par son foulard à damiers rouges et blancs, le monarque saoudien déstabilise d’abord puis séduit, avec son sourire unique, si large qu’il fait presque disparaître ses yeux. “On le pensait réservé, ombrageux, mais il s’est montré incroyablement bavard et enjoué”, décrit un diplomate qui l’a rencontré à Bruxelles en octobre.Ce sont les deux visages de Mohammed ben Salmane, un prince saoudien à la trajectoire stratosphérique et aux mille légendes. Côté pile, son instinct visionnaire qui fait rêver les capitales occidentales, attirées par ses projets fous (la ville futuriste Neom, l’oasis culturelle Al-’Ula, la Coupe du monde de football 2034) et ses milliards de dollars. Côté face, un dictateur mégalomane et sans pitié, capable de lancer une guerre sur un coup de tête et de faire éliminer un journaliste hors de ses frontières.A ses confidents, il cite sa lecture de Machiavel, raconte vouloir vivre jusqu’à 300 ans ou blague sur la série The Walking Dead, dans laquelle les zombies lui font penser aux islamistes radicaux (le prince serait aussi fan de Game of Thrones, “même si trop de rois s’y font tuer”). Enfant, il avait pour modèle Alexandre le Grand, ce roi de Macédoine qui a su conquérir l’Egypte et la Perse.A l’aube de son règne, en 2017, MBS a fait une promesse folle, ne provoquant qu’un haussement d’épaules amusé dans les chancelleries : “Le Moyen-Orient sera l’Europe du XXIe siècle.” Aujourd’hui, ses ambitions ne font plus rire personne. “Il se rêve en leader du monde arabo-musulman, remarque Kristian Coates Ulrichsen, spécialiste du Golfe au Baker Institute, aux Etats-Unis. Ce n’est pas un hasard si, ces dernières années, les Saoudiens ont pris la tête de la Ligue arabe et de l’Organisation de la coopération islamique. MBS se voit comme la figure de proue du Moyen-Orient moderne.”La perspective d’une période de paix inédite qui s’ouvre dans la région, après les cessez-le-feu au Liban, à Gaza et la chute de Bachar el-Assad, offre une opportunité en or à Ben Salmane de mettre sa promesse à exécution. Normalisation des relations avec Israël, création d’un Etat palestinien, encadrement de l’Iran, reconstruction des pays dévastés… Le chantier s’annonce immense, mais le jeune prince a déjà révolutionné son pays en dix ans et il peut à présent compter sur le soutien d’un autre “ours errant”, dont il a su rester proche : Donald Trump.Chapitre I – Une révolution saoudienneSur le tarmac de l’aéroport du roi Khaled, le monde entier se croise désormais. Des groupes de touristes américaines, bras nus et lunettes de soleil, se font contrôler leur passeport par des femmes en abaya noire, dont seuls les yeux dépassent. Plus loin, des hommes d’affaires européens observent de jeunes hôtesses saoudiennes en uniforme marron impeccable, longs cheveux noirs au vent, qui marchent sous le soleil de plomb hivernal. Des scènes banales, mais qui ont un parfum sensationnel dans ce royaume resté hors du temps de si nombreuses années. “Il y a dix ans à peine, ce pays prononçait des fatwas contre les bonshommes de neige, souffle un entrepreneur français habitué des allers-retours Paris-Riyad. Aujourd’hui, ça paraît complètement fou.”En janvier 2015, l’Arabie saoudite subit une vague de froid inhabituelle. Un cheik influent interdit alors les bonshommes de neige, toute représentation humaine étant, selon lui, contraire à l’islam. Ce même mois de janvier, le roi Abdallah meurt d’une pneumonie et son frère, Salmane, monte sur le trône. Ce dernier nomme son fils préféré ministre de la Défense et le place au second rang dans la ligne de succession : à 29 ans, Mohammed ben Salmane devient l’un des hommes les plus puissants au monde, à la surprise générale. Le renseignement américain n’avait pas prévu son ascension et doit mettre à jour ses fiches en urgence.Malgré son jeune âge, MBS travaille depuis des années sur un programme de réformes pour son pays, baptisé Vision 2030, qui repose sur trois axes : “Une société dynamique, une économie florissante et une nation ambitieuse.” Il entend mettre fin à la dépendance saoudienne au dieu pétrole. “Nous avons un prince héritier qui veut changer tous les secteurs de la société en même temps : notre rapport à l’histoire, à la culture, à l’environnement et à la technologie, s’enthousiasme Samer Sahlah, professeur à l’université du Roi-Saoud, rencontré à Riyad. Sa Vision 2030 fait aujourd’hui partie de chaque Saoudien, chacun peut la sentir en lui.”Dès avril 2015, MBS prend aussi la tête de Saudi Aramco, la société pétrolière nationale et machine à cash du royaume, avec plus de 100 milliards de dollars de bénéfices annuels. Il engage des instituts de sondages internationaux pour évaluer l’image de l’Arabie saoudite à l’étranger : le royaume est vu comme une société fermée où sévissent des terroristes, où l’on ne trouve ni cinéma ni divertissement et où les femmes n’ont aucun droit. Un à un, Ben Salmane va révolutionner chacun de ces domaines.”Ce n’est plus le même pays”, aime raconter le spécialiste du Golfe François-Aïssa Touazi, qui connaît Riyad depuis plus de vingt ans. La police des mœurs a disparu, le voile n’est plus obligatoire et les Saoudiennes peuvent à présent travailler, voyager sans un homme et conduire. Le désert accueille des concerts géants, où se mêlent hommes et femmes, et le film féministe Barbie a fait un carton au box-office l’année dernière. Dernier tabou en passe de tomber : l’alcool a fait son apparition officielle dans la capitale saoudienne, où un magasin réservé aux diplomates non musulmans peut vendre des spiritueux.”Pour mettre en valeur ses changements, le royaume communique principalement via de courtes vidéos étincelantes sur les réseaux sociaux, alors les gens pensent que tout n’est que paillettes en Arabie saoudite et n’appréhendent pas le fond des réformes en cours, estime l’auteur saoudien Ali Shihabi, proche du pouvoir. La place des femmes est particulièrement importante : ceux qui découvrent le royaume aujourd’hui voient des femmes conduire et se promener normalement, mais ils ne peuvent pas comprendre où nous en étions il y a dix ans à peine, les efforts qui ont été entrepris et la vitesse à laquelle les choses ont changé. Aucun pays au monde n’a connu un tel bouleversement social en si peu de temps.”A AlUla, dans l’ouest saoudien, des compétitions de polo sont organisées dans le désert pour attirer sportifs et voyageurs. Ici, le 11 février 2022.Chapitre II – La traversée et la sortie du désertEn son royaume, les mauvaises langues attribuent ses coups de sang aux origines bédouines de sa mère, Fahda, considérée comme la favorite des quatre épouses du roi. Le désert forgerait le (mauvais) caractère. Pour arrimer l’Arabie saoudite au XXIe siècle, Mohammed ben Salmane a brisé tous les codes. Parfois par la ruse, souvent par la force.Dès ses premiers jours à la tête de l’armée, en 2015, il stupéfie ses généraux en envoyant les avions de chasse contre les rebelles houthis au Yémen voisin, sans même avertir les alliés américains. La guerre fait plus de 500 000 morts et provoque l’une des pires famines de l’Histoire. Un désastre, symbole de ses débuts d’une violence inouïe : en à peine deux ans, MBS lance un blocus du Qatar, prend en otage le Premier ministre libanais pour le contraindre à la démission, séquestre 200 hommes d’affaires et princes saoudiens dans un hôtel pour leur soutirer des milliards de dollars… “Parfois, il devient nécessaire de montrer l’étendue de son autorité, de son pouvoir, pour forcer le changement”, philosophe Samer Sahlah, de l’université du Roi-Saoud.Dans un premier temps, ses méthodes brutales ne rebutent pas les Occidentaux, curieux de voir ce royaume si prospère s’ouvrir au monde. Mais en octobre 2018, l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien à Istanbul provoque une déflagration que MBS n’avait pas anticipée. D’après la CIA, le prince héritier a commandité l’attaque contre cet ancien membre de la cour saoudienne, devenu chroniqueur critique au Washington Post. Les services turcs avaient mis le consulat sur écoute et diffusent la bande-son de son exécution, puis de son démembrement. L’horreur absolue.Immédiatement, le Saoudien devient radioactif pour les autres chefs d’Etat. Seul Vladimir Poutine viendra l’enlacer au G20 de Buenos Aires quelques jours après la révélation du meurtre. “MBS a très mal vécu l’isolement lié à l’affaire Khashoggi, il ne comprenait pas les critiques violentes des Occidentaux”, rapporte un homme d’affaires français, visiteur régulier du prince lorsque ce dernier séjourne dans son château de Louveciennes.Coupé du monde, le jeune prince se concentre sur les investissements dans son royaume. Il traverse le désert, sachant que son heure viendra. “En accélérant ses réformes à cette période, son objectif était que, lorsqu’ils entendent parler d’Arabie saoudite, les étrangers pensent au footballeur Cristiano Ronaldo et non à Jamal Khashoggi”, confie le même entrepreneur français. Emmanuel Macron sera le premier dirigeant occidental à briser l’embargo autour de MBS, en se rendant en Arabie saoudite en décembre 2021.Trois ans plus tard, la question ne se pose même plus, tant le prince héritier est courtisé. La guerre en Ukraine a ravivé les besoins en hydrocarbures de l’Europe et aucune chancellerie occidentale ne ferait l’impasse sur les investissements saoudiens, même si ces derniers sont en berne ces derniers temps en raison d’une croissance à la peine dans le royaume. A Bruxelles, on se félicite de l’avoir reçu au Conseil européen en octobre dernier, avec tapis rouge et déclaration commune. “C’est le règne du pragmatisme, juge un diplomate européen. Le monde a énormément changé et nous, Européens, devons nous engager avec certains acteurs, sinon nous laissons les Russes et les Chinois le faire.”Dans un Moyen-Orient tourmenté, le prince saoudien saisit l’opportunité d’incarner la stabilité aux yeux du monde. “MBS a changé son image et veut désormais être vu comme un diplomate plutôt que comme le meurtrier présumé de Jamal Khashoggi ou comme le jeune faucon capable de précipiter son pays dans la guerre au Yémen, explique Christopher Davidson, spécialiste du Golfe à la Durham University au Royaume-Uni. Il se positionne pour l’avenir et sait que, s’il aide à résoudre la guerre dans la bande de Gaza et à reconstruire le Liban, il aura gagné ses galons d’homme de paix.”



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Author : Corentin Pennarguear

Publish date : 2025-01-28 16:55:55

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