Les tirs se sont enfin calmés, ce mercredi 29 janvier au matin, dans la cité de Goma à l’extrême est de la République démocratique du Congo (RDC). Son sort est désormais scellé : les rebelles du M23 (“Mouvement du 23 mars”) et leurs alliés rwandais contrôlent les points clefs de la ville. L’aéroport est tombé, le siège du gouvernement provincial a été pris, et nombre de soldats congolais ont fui après seulement deux jours de siège de la cité, coincée entre le lac Kivu et la frontière du Rwanda. Avec la prise violente de Goma, la communauté internationale ouvre les yeux sur un conflit qui gangrène la région du Kivu depuis des années, et plonge les populations locales dans une crise humanitaire d’une ampleur catastrophique. Alors qu’en sortant de leurs logements barricadés, les habitants découvrent des cadavres par centaines dans leurs rues ce mercredi matin, et que des centaines de milliers de personnes fuient dans la panique la ville et ses alentours, l’ONU s’est de nouveau réunie en urgence. La RDC, elle, réclame des sanctions contre le Rwanda.Les hauts responsables du M23 ont prévenu qu’ils “continueront” d’avancer au-delà de Goma, selon un haut diplomate rwandais. À l’image de la médiation avortée mi-décembre par l’Angola, visant à établir un cessez-le-feu dans la région, la réunion convoquée ce mercredi par le Kenya entre les présidents congolais Félix Tshisekedi et rwandais Paul Kagame n’aura pas lieu. L’avenir du Kivu et de sa population, coincée entre le marteau et l’enclume, est incertain. Clémentine de Montjoye, chercheuse senior à Human Rights Watch, spécialiste de la région des Grands Lacs, détaille les dynamiques du conflit et ses conséquences concrètes sur les populations locales.L’Express : Que vivent les Congolais actuellement, à Goma et dans ses alentours ?Clémentine de Montjoye : Depuis lundi 27 janvier, les forces du M23 ont pris progressivement le contrôle de Goma et de son aéroport. Il y a eu de violents combats à l’intérieur même de la ville, avec des échanges de tirs, d’artillerie lourde, des pillages, les habitants vivent globalement dans une grande insécurité. Aujourd’hui, les forces du M23 continuent d’affluer par l’axe ouest et achèvent de prendre contrôle de la ville. L’électricité est coupée depuis plusieurs jours, il y a des pénuries d’eau. En réalité, l’arrivée du conflit au cœur de Goma aggrave une situation humanitaire qui était déjà très mauvaise dans et autour de cette cité.Cette crise vient s’ajouter à une année de pression extrême sur les populations locales. Il y a un an, le M23 avait déjà encerclé la ville de Saké, à 20 kilomètres à l’ouest de Goma, et gagné un terrain considérable dans le Nord-Kivu. Beaucoup de Congolais se sont réfugiés dans les neuf camps qui entourent la ville, et qui sont ouvertement exposés au conflit. Dans ces camps, les réfugiés sont victimes d’exactions de la part des groupes armés du conflit : des exécutions, des viols, parfois collectifs. Ce sont les pires conditions que j’ai vues dans des camps.Lorsque le M23 a encerclé Saké il y a un an, Médecins Sans Frontières répertoriait 1 500 cas de viols par mois, sur seulement trois des camps de réfugiés. Cette nouvelle offensive du M23 a fait se déplacer plus de 400 000 personnes depuis le début du mois de janvier, selon le chiffre le plus récent de l’ONU. Les camps sont désormais coupés d’assistance humanitaire. En dehors des alentours de Goma, on parle de 4 millions de déplacés dans l’est du Congo.Quels sont les acteurs de ce conflit ?D’un côté se trouve le M23, un groupe armé créé à partir d’une mutinerie au sein de l’armée congolaise. Il est composé principalement de Tutsis, et revendique de protéger les populations Tutsis locales. Eux sont soutenus par le Rwanda et renforcées par les forces armées rwandaises, au nombre de 3 000 ou 4 000 selon l’ONU. Ils étaient déjà soutenus par le Rwanda lors de la première prise de Goma, il y a douze ans. Désormais, ils bénéficient parfois aussi du soutien des forces ougandaises.De l’autre côté, on a les forces armées congolaises, les FARDC. Pour défendre le territoire congolais, elles se sont alliées avec un groupe armé, les Wazalendo, “les patriotes” en swahili. Eux aussi ont aussi un lourd passif de violation des droits humains et d’abus sur les populations qu’ils croisent. À l’origine, on retrouvait aussi au sein de cette coalition les “FDLR”, un groupe armé de Rwandais réfugié au Congo, et géré par des responsables génocidaires en fuite, après le génocide de 1994 contre les Tutsis au Rwanda. Aujourd’hui, l’armée congolaise s’en est éloignée. Cette coalition a aussi été soutenue au fil du temps par différentes armées régionales, venues d’Afrique de l’Est et d’Afrique Australe, pour se battre contre le M23.À tout cela s’ajoute la Monusco, la mission de l’organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo. Elle a pris part aux combats pour défendre les civils, et pour défendre la ville de Goma du M23. Plusieurs soldats uruguayens et sud-africains de la Monusco ont été tués dans ces combats.Quel est le but de ces groupes armés qui s’affrontent ?Après avoir conquis une grande partie des territoires du Nord-Kivu, le M23 entre désormais dans la province du Sud-Kivu. Selon nos signalements, ils mettent en place des pratiques de travail et de recrutement forcées dans les zones conquises. On a aussi documenté grâce à nos sources de nombreuses exactions de leur part sur les populations locales congolaises : des exécutions, des viols. Le procédé consiste la plupart du temps à accuser les hommes du village d’être dans le camp de l’armée congolaise, avant de les exécuter ou de violer leurs femmes.Tout cela traduit un combat pour le contrôle du territoire. Le M23 a un passif de démantèlement des camps de déplacés, une fois un territoire complètement contrôlé – ils demandent aux populations locales de retourner chez elles, pour stabiliser la zone. S’ils ne l’ont pas encore fait pour la zone de Goma, on sait qu’ils ont déjà lancé les démantèlements dans la zone de Masisi, dans le Nord-Kivu. Le dernier rapport de l’ONU détaille d’ailleurs très bien les ambitions expansionnistes du M23 soutenu par le Rwanda. L’argument principal avancé par le M23 est la protection des populations Tutsis congolaises [persécutées au Rwanda pendant le génocide de 1994, NDLR]. Le paradoxe, c’est que nous documentons une persécution plus importante des populations Tutsis depuis la résurgence du M23 dans la région fin 2021. Parce que ces populations sont accusées d’être partisanes du M23, et donc violentées par les FARDC.En attendant, la population civile souffre du fait des deux camps : le M23, et la coalition FARDC-Wazalendo. Chacun promet de protéger les populations. La réalité, c’est que de l’artillerie lourde et des armes explosives sont utilisées dans le conflit – par les FARDC-Wazalendo et par le M23 et l’armée rwandaise – sans discernement des civils, dans des zones urbaines ou densément peuplées. Les civils sont coincés entre le marteau et l’enclume.La communauté internationale fait appel à la médiation menée par l’Angola, qui a déjà échoué une fois, pour qu’elle reprenne, et essaie de faire en sorte que le cessez-le-feu établi par Luanda soit respecté. À Human Rights Watch, ce que nous demandons surtout, c’est que les populations civiles soient protégées, de même que les infrastructures médicales et essentielles, et que l’accès à l’aide humanitaire soit rétabli. Mais aussi que la réparation des crimes perpétrés contre les populations locales soit intégrée au processus de paix, et que les responsables militaires, rwandais comme congolais, soient jugés pour leurs crimes commis dans la région ces trois dernières décennies.
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Publish date : 2025-01-29 14:21:25
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