Le prochain ambassadeur des Etats-Unis après du Vatican a une particularité inédite : c’est un antipape virulent. Père de 9 enfants, responsable de CatholicVote.org, un groupe pro-Trump, Brian Burch n’a cessé de critiquer ouvertement le souverain pontife François qu’il considère comme un dangereux gauchiste. Il l’attaque sur sa décision de bénir les unions homosexuelles et lui reproche ses “tendances à la vengeance et à la punition”, du fait qu’il a démis de ses fonctions l’évêque du Texas Joseph Strickland, lequel remettait en cause l’autorité de Rome. Donald Trump justifie ainsi son choix : Brian Burch “m’a bien représenté durant la dernière élection”, explique-t-il en ajoutant qu’il l’a aidé à gagner “plus de voix catholiques que n’importe quel président de l’Histoire”.”C’est un profil inhabituel pour un ambassadeur, estime Massimo Faggioli, spécialiste de l’histoire de l’Eglise à l’université Villanova (Pennsylvanie). Brian Burch est un activiste, un agitateur, qui a pris ouvertement des positions très critiques et irrévérencieuses vis-à-vis du pape François. Sa nomination est un affront au Vatican.” Elle reflète la montée en puissance et l’influence grandissante des catholiques conservateurs dans la vie politique américaine. Certes, la droite religieuse aux Etats-Unis reste dominée par les évangéliques, un courant du protestantisme. Mais depuis la victoire de John Fitzgerald Kennedy à l’élection présidentielle de 1960, les catholiques, qui ne représentent que 20 % de la population, conservent une certaine influence.Le siège de la Conférence épiscopale américaineA Washington, ils ont pignon sur rue. Outre la basilique de l’Immaculée-Conception, la plus grande église du pays, on y trouve le siège de la Conférence épiscopale américaine, qui rassemble les prélats des Etats-Unis, plusieurs universités dont Georgetown University, prestigieux campus jésuite, et Heritage Foundation, le très conservateur cercle de réflexion républicain fondé en 1973 par deux catholiques. On doit à ce think tank le Projet 2025, un programme de réformes sur mesure pour l’administration Trump. Enfin, la capitale américaine abrite le très puissant Catholic Information Center, sur K Street, tenu par l’Opus Dei, organisation ultra-conservatrice très bien introduite dans la capitale.Les catholiques sont également nombreux dans les allées du pouvoir. Ils représentent un quart du congrès et cinq des neuf juges de la Cour suprême. Un sixième, Neil Gorsuch, s’est converti au protestantisme. Grâce à eux, la plus haute instance judiciaire a éliminé le droit constitutionnel à l’avortement en 2022. Une énorme victoire pour les catholiques qui ont mené une croisade contre l’IVG bien avant que les protestants n’en fassent leur cheval de bataille dans les années 1970.Ces dernières années, le courant fondamentaliste, dont le seul objectif est de revenir à avant Vatican II, a pris une influence croissante au sein du Parti républicain. Il est également bien représenté dans l’entourage de Donald Trump, issu pour sa part d’une famille presbytérienne, notamment par Steve Bannon et Kellyanne Conway, deux proches. Les “cathos” sont bien représentés aussi dans son administration : on en compte une dizaine à la tête des Affaires étrangères, de la Santé, de l’Education, des Transports, du Travail… Le directeur de la CIA et l’ambassadrice à l’ONU le sont également et bien sûr J.D. Vance, le vice-président, un converti récent. Quant à Pete Hegseth, chargé du Pentagone, il s’est fait tatouer, même s’il est évangélique, “Dieu le veut”, la devise des croisés, cri de ralliement des nationalistes blancs.”Les catholiques conservateurs sont organisés, très bien financés, et diffusent leurs vues par toutes sortes de publications, d’applis de prières ainsi qu’un réseau d’universités, d’écoles…”, poursuit le Pr Faggioli. Et ils emploient des techniques sophistiquées. CatholicVote, le groupe de Brian Burch, a par exemple utilisé en 2020 des données de géolocalisation par le biais des téléphones portables pour identifier les électeurs qui se rendaient à la messe et les cibler pour les faire voter républicain. Il exploite aussi activement les réseaux sociaux et diffuse une lettre d’information quotidienne à destination de plus de 300 000 personnes. Avec succès. Donald Trump a remporté 59 % des voix catholiques, selon les sondages à la sortie des urnes, soit 20 points de plus que Kamala Harris. En 2020, ils avaient voté à 52 % pour Joe Biden.Mais le pouvoir des milieux traditionalistes repose surtout sur une constellation de groupes financés par de gros bailleurs de fonds dans la plus totale opacité. Il y a Legatus (lancé par le fondateur multimillionnaire de Domino’s Pizza) et l’Acton Institute, tous deux partisans d’un libéralisme économique pur et dur ; The Knights of Columbus, une association caritative qui subventionne aussi des séminaires contre le mariage gay et des médias. “C’est un phénomène assez spécifique aux Etats-Unis, dû au fait qu’en politique, il y a beaucoup d’organisations basées sur le bénévolat et de vastes quantités d’argent”, explique Richard Wood, président de l’Institut des études catholiques à University of Southern California. “Ce qui est nouveau, ajoute-t-il, c’est une stratégie délibérée depuis quarante ans de refaçonner l’Eglise et le gouvernement autour de priorités libertariennes en poussant par exemple à des baisses d’impôts pour les riches.” Selon lui, ces groupes ont profité de “la perte d’autorité de la Conférence des évêques américains”, engluée notamment dans les multiples scandales sexuels, pour prendre de l’influence.La fine fleur des catholiques conservateursL’un des plus actifs est le Napa Institute, fondé par Timothy Busch, un avocat, patron d’un vignoble et d’un groupe hôtelier. Tous les étés, dans la Napa Valley, il organise dans l’un de ses palaces une conférence qui rassemble, entre dégustations de vins et repas gastronomiques, la fine fleur des catholiques conservateurs – tous très fortunés à en juger par le prix du ticket d’entrée. Il a accueilli plusieurs ecclésiastiques peu en odeur de sainteté à Rome, dont l’évêque Joseph Strickland, qui a clamé que le pape François “sapait” la foi et a participé à une manif de trumpistes en 2020 pour faire invalider le résultat du scrutin. Il a fini par être révoqué. En mars 2017, le Napa Institute a parrainé un séminaire dans l’hôtel Trump à Washington, où se sont retrouvés des membres du clergé, des élus, un juge à la Cour suprême… Et si, dans son allocution, Timothy Busch a reconnu que les politiques du président à l’égard des migrants n’étaient pas exactement en phase avec les principes de l’Eglise, il s’est empressé d’ajouter que “cette administration représente la liberté. La personnalité du président n’est peut-être pas à notre goût, mais il se peut que ce soit le seul capable de changer le gouvernement et le statu quo.”Et de faire avancer leur cause. Un gros succès de ces réseaux traditionalistes est dû à Leonard Leo, l’une de ses figures les plus puissantes. Ce petit-fils d’immigré italien aux manières feutrées est très lié, comme Timothy Busch, à l’Opus Dei. Il a longtemps été l’un des dirigeants de la Federalist Society, une organisation de juristes de droite. C’est en grande partie à lui que l’on doit les nominations de trois juges ultra-conservateurs à la Cour suprême (dont deux catholiques) et des dizaines d’autres dans les cours fédérales. Aujourd’hui, il est au cœur d’une nébuleuse d’organisations qui financent en coulisses toutes sortes de causes politiques, avec l’appui plus ou moins officieux de certains prélats. A tel point que l’an dernier, le pape a critiqué “l’attitude réactionnaire très forte” aux Etats-Unis. “Au lieu de vivre par la doctrine […], ils vivent par l’idéologie.”Ces dernières années a émergé au sein du Parti républicain un nouveau courant dont est proche J.D. Vance, qui prône un catholicisme plus “social”. Le vice-président dénonce l’économie de marché et le rejet de l’interventionnisme étatique – deux piliers de l’orthodoxie du Parti – qui ont aggravé les inégalités. Il milite pour une politique centrée sur la famille et les travailleurs par le biais de crédits d’impôts pour encourager par exemple les couples à avoir des enfants et des crèches abordables. Pendant la campagne, J.D. Vance est venu soutenir des ouvriers de l’automobile en grève dans l’Ohio. L’objectif avoué de ce courant est de prendre la tête des institutions, notamment des universités, pour remplacer les “élites” et mettre en place sa vision du “bien commun”. Le modèle, c’est Viktor Orban, le Premier ministre hongrois. Il a pris des “décisions intelligentes”, comme des subventions aux futurs parents et le contrôle des universités, a déclaré le vice-président. En 2021, il avait dit dans une interview : “Nous devons vraiment être prêts à tout quand il s’agit d’exercer le pouvoir.”Des vues qui coïncident avec le populisme trumpiste. Le président se dit favorable à une expansion “significative” des crédits d’impôts pour les familles et a évoqué l’idée de fécondations in vitro gratuites. “Son programme a plus à voir avec le conservatisme que la doctrine de l’Eglise, mais il séduit les catholiques”, observe John Gizzi, éditorialiste de la chaîne de droite Newsmax, très introduit dans les milieux traditionalistes. En attendant, la priorité de l’administration semble plutôt de réduire les impôts pour les hauts revenus et d’expulser des millions de sans-papiers. Ce qui risque de provoquer des tensions. Timothy Broglio, le président de la Conférence des évêques, pourtant peu suspect de sympathies à gauche, a qualifié de “profondément troublants”, les décrets de Donald Trump sur le traitement des migrants, des réfugiés, de l’aide internationale… Il n’est pas le seul. Le jour de l’investiture, Mariann Budde, l’évêque épiscopalienne de Washington a exhorté le président dans son sermon à avoir de la “compassion” et a rappelé que “la vaste majorité des migrants ne sont pas des hors-la-loi”. Ce que ce dernier n’a pas apprécié.Après l’annonce du choix de Brian Burch comme ambassadeur, le pape a aussitôt réagi en nommant l’évêque de San Diego, Robert McElroy, comme archevêque de Washington, l’un des postes les plus importants aux Etats-Unis. “C’est un intellectuel, un penseur qui parle en faveur des migrants, des droits des gays… Va-t-il émettre des critiques publiques ou œuvrer de manière discrète ?” s’interroge le Pr Faggioli. Pour John Gizzi, la réponse est claire : “Il va créer beaucoup de guerres au sein de l’Eglise.”
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Publish date : 2025-01-31 14:59:19
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