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“Il y a un lien entre l’écriture et la voyance” : David Foenkinos s’attaque aux forces de l’esprit

David Foenkinos.




Automne 2007. David Foenkinos vient de publier son sixième roman, l’excellent Qui se souvient de David Foenkinos ?, où il s’amuse à mettre en scène le passage à vide auquel il est alors confronté. A cette occasion, il est invité à parler de son livre à la Fnac de la place d’Italie, à Paris. La foule ne se presse pas : une seule personne assiste à cette rencontre littéraire. Renseignements pris, cette femme ne sait même pas qui est l’écrivain – elle a oublié les clés de chez elle et traîne dans cette Fnac en attendant que son mari rentre… Un an après cette amusante déconvenue, Foenkinos sort Nos séparations, qui n’atteint pas les 3 000 exemplaires. L’échec est-il son avenir ? Miracle : douze mois passent encore, Foenkinos insiste et revient en août 2009 avec La Délicatesse. Cette fois, c’est la gloire – le roman en est aujourd’hui à 1,5 million d’exemplaires. Depuis cet énorme tube, tout a souri à l’auteur de Charlotte (prix Renaudot 2014). En alternant drames (Deux sœurs) et comédies (La Famille Martin), et en réussissant à rajeunir son lectorat (grâce à Vers la beauté), il a vendu en tout 4 millions de livres. Ce qui n’allait pas de soi pour cet enfant d’une tour HLM de Villejuif.Dans son appartement parisien, à la décoration plutôt dépouillée, où Foenkinos nous reçoit pour discuter de son nouveau roman, Tout le monde aime Clara, un détail nous frappe. Un portrait officiel de 1981 de François Mitterrand domine la salle à manger. Explication du maître de maison : “Au-delà du kitsch, je crois beaucoup aux forces de l’esprit. J’avais été marqué par les derniers vœux de Mitterrand en tant que président, en 1994. J’ai un côté cartésien mais je prends très au sérieux l’astrologie et la numérologie – j’adore ça. Je ne voulais pas aborder ce thème jusque-là, de peur que ça ne soit pas bien reçu. J’ai enquêté, j’ai interrogé des voyants, et mon livre est nourri de ces rencontres avec ces gens étonnants qui ne vont pas vous donner les chiffres du Loto mais ont des intuitions sur les autres.”Entremêlant les vies de plusieurs personnages, Tout le monde aime Clara raconte notamment l’accident dont est victime une adolescente de 16 ans, ladite Clara. Après huit mois de coma, elle se réveille avec un don de voyance. Ceux qui connaissent bien l’histoire de Foenkinos feront le lien avec son propre passé. En janvier 1991, lui aussi âgé de 16 ans, il avait atterri aux urgences du Kremlin-Bicêtre dans un état grave. Une infection de la plèvre, réservée d’ordinaire aux personnes âgées, lui avait fait frôler la mort. Il avait passé plusieurs semaines en soins intensifs. De cette longue hospitalisation date sa passion pour les livres et sa vocation d’écrivain : “Tout le monde aime Clara est une autobiographie déguisée : je suis un faux écrivain de fiction ! Sans mon opération du cœur, je serais peut-être devenu dentiste, mais jamais écrivain – je n’avais aucune sensibilité artistique. Cela a déverrouillé mon imagination. Il y a un lien entre l’écriture et la voyance. Je suis très mystique à ma manière, plongé en permanence dans la lecture des signes de la vie. Un seul exemple : je me suis installé ici un peu au hasard, et je suis en face de l’école de cuisine Drouant – comme le restaurant où est remis le prix Goncourt ! Même si je ne fais plus de rentrées littéraires, je trouve ça drôle…””Je suis dans une boulimie totale”Allongé sur son lit d’hôpital durant le second septennat du sphinx Mitterrand, le jeune Foenkinos a repris pied en dévorant Henry Miller, Nabokov, Kundera, Kafka, Camus, Dostoïevski ou Albert Cohen, puis le trop méconnu Bernard Frank, qui demeure l’un de ses maîtres : “Lui aussi est un rescapé. J’aime sa légèreté, son esprit et son érudition. La Panoplie littéraire, c’est phénoménal ! Et il y a ce passage très amusant quelque part où il dit qu’il doit faire attention car, s’il continue ainsi, il va finir par devenir un auteur Gallimard…” Dans les livres de Foenkinos, on trouve régulièrement une réflexion sur la littérature. Outre l’héroïne-voyante, l’autre personnage central de Tout le monde aime Clara est un homme malheureux et mystérieux nommé Eric Ruprez, qui a sorti un premier roman en 1982 aux éditions de Minuit et n’a plus rien publié depuis. Faut-il y voir une version alternative de Foenkinos ? “C’est une figure centrale du livre, en effet : un écrivain qui n’écrit plus. Je n’ai jamais autant écrit de ma vie, je publie un livre par an, je suis déjà en train d’écrire le prochain, je suis dans une boulimie totale et je mets dans mon roman un écrivain dont l’inspiration s’est totalement asséchée… J’aimais l’idée qu’il puisse ne pas écrire pendant quarante ans et qu’un jour il appelle son éditeur comme si de rien n’était en disant que c’est bon, il a fini le deuxième ! Un écrivain qui n’écrit pas suscite parfois plus d’intérêt qu’un écrivain qui écrit – il y a cette aura un peu mythique, avec en plus les éditions de Minuit… Quand Eric rencontre Clara, quelque chose jaillit en lui. Mes romans parlent souvent de renaissance, de seconde chance, de retour à la vie. C’est un thème que j’aime beaucoup et que je n’avais pas encore abordé sous l’angle de l’écriture. Ça me bouleverse l’idée de quelqu’un qui est bloqué renoue avec le roman grâce à des circonstances romanesques. Pour moi aussi, ça aurait pu ne pas marcher. D’ailleurs, je n’ai jamais considéré comme une possibilité de vendre des livres. Pendant près de dix ans j’ai été assez confidentiel, sans amertume – il me semblait que c’était le destin des écrivains. Je vivais avec peu d’argent, j’ai traîné une quantité innombrable de projets de films qui ne se sont pas faits. J’ai été surpris par le succès de La Délicatesse, qui a changé ma vie…””Le succès est souvent pondéré par des épreuves terribles…”Derrière sa fantaisie de façade, Foenkinos cache un homme plus anxieux qu’on ne l’imagine : “Quand j’ai fini Charlotte [NDLR : son livre sur l’artiste Charlotte Salomon], je me suis dit que c’était le livre de ma vie, que je n’en ferais pas d’autres après. C’est la seule fois où j’ai fait une pause pendant un an. J’ai alors relu un roman d’Enrique Vila-Matas, Bartleby et compagnie – une sorte de compilation d’écrivains qui ont arrêté d’écrire. Ça m’avait inspiré Le Mystère Henri Pick. L’incapacité de créer est un thème qui revient de temps en temps chez moi. Le livre qui m’a le plus passionné ces deux dernières années est la biographie de Philip Roth, signée Blake Bailey. On voit Roth comme le sommet qu’il est mais en vérité, pendant une trentaine d’années, de Portnoy et son complexe à La Tache, il vendait de moins en moins de livres. J’imaginais Roth comme une sorte de jouisseur un peu pervers alors que sa vie fut une suite de difficultés et de souffrances, avec un mariage tragique, beaucoup de problèmes de santé, un enfer. Le succès est souvent pondéré par des épreuves terribles…”David Foenkinos ressemble à son meilleur ami, Florian Zeller. Par politesse ou art de la prudence au sens où l’entendait Baltasar Gracian, ils ne se livrent pas totalement quand ils passent à la radio et à la télévision. Certains, souvent aigris, leur reprochent une image jugée lisse. Ceux qui les fréquentent en privé connaissent leur humour piquant et leur grande intelligence. Pour la première fois depuis leurs débuts simultanés en 2002 (Neiges artificielles pour Zeller, Inversion de l’idiotie pour Foenkinos), les deux camarades vont travailler ensemble : ils sont en train d’écrire une série à quatre mains. Bien que n’étant muni d’aucun don de voyance, on peut prédire que la réussite sera au rendez-vous.Tout le monde aime Clara. Par David Foenkinos. Gallimard, 193 p., 20 €.



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Author : Louis-Henri de La Rochefoucauld

Publish date : 2025-02-01 10:30:00

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