Jeudi 25 juillet, 15 heures, veille d’ouverture des Jeux olympiques. Autour d’Anne Hidalgo, tension incandescente et ultime réunion à laquelle participe Thomas Jolly, maître d’œuvre de la plus insolente et de la plus risquée cérémonie d’ouverture jamais conçue dans l’histoire de l’olympisme. Mâchoires serrées et mains crispées, le quintette vient d’apprendre l’arrivée de la pluie, les bulletins météo sont formels. A l’aune des ruissellements annoncés, la minuscule équipe passe en revue chaque scène, chaque tableau, décidant dans l’urgence lesquels déménager, supprimer. La cellule de crise planche depuis quelques minutes quand le téléphone d’un des participants, proche collaborateur d’Anne Hidalgo, affiche un appel de Lucie Castets, la directrice des finances de la Ville. Son interlocuteur lui textote ne pouvoir décrocher ; aurait-elle oublié combien l’heure est grave ? Y aurait-il une urgence extrême ? Oui, lui répond, par écrit et en substance, la maîtresse du budget parisien, oui il y a urgence. Il sort de la salle, l’appelle, pensant à un cataclysme financier, et l’écoute lui annoncer qu’elle est la candidate du NFP à Matignon, la potentielle Première ministre, l’information est sur le point de sortir, voilà, elle estime correct de le prévenir.Au bout de la ligne, l’interlocuteur, stupéfait, lui promet de la rappeler au plus vite. De retour dans la salle, aparté chuchoté avec la maire de Paris, puis les cinq poursuivent, concentrés, leurs réglages, chaque minute compte, dehors les nuages obscurcissent le ciel. C’est peu dire que le timing de Lucie Castets a éberlué le cabinet d’Anne Hidalgo, qui s’évertuera les jours suivants à convaincre la jeune énarque, appréciée pour son travail, qu’elle n’a aucune chance d’être nommée par Emmanuel Macron et qu’elle n’a, dans cette drolatique aventure, que des coups à prendre et beaucoup à perdre. Rien n’y fait, la jeune femme veut croire à ses chances. Les semaines suivantes, ces mêmes personnes lui glissent une mise en garde : surtout, si elle veut retrouver son poste à la fin de l’été, qu’elle n’aille pas aux universités d’été de LFI, la proximité affichée avec les troupes de Jean-Luc Mélenchon constituerait, pour Anne Hidalgo, une trahison irrécupérable. L’énarque passe outre, elle s’y rend et y prend publiquement la parole.Le 28 août, Lucie Castets est reçue par l’entourage d’Anne Hidalgo. Cette fois, alerte rouge, elle doit démissionner, au plus vite, faute de quoi elle sera écartée. La candidate du NFP renâcle, s’obstine, se butte, à croire décidément que les jeux politiques lui échappent. Contrainte, elle se fera finalement inviter le lendemain dans la matinale d’Apolline de Malherbe sur BFM et RMC et y annoncera quitter la mairie de Paris. Depuis, plus de nouvelles d’Anne Hidalgo. Dans les couloirs de la mairie de Paris en revanche, on a eu, tout l’automne, de ses nouvelles sous la forme, récurrente, d’appels courroucés de patrons d’ONG – dont Cécile Duflot, à la tête d’Oxfam – s’agaçant que l’ex directrice financière brigue leur poste. Puis, l’agitation est retombée.Enfin presque, car décidément l’ex-candidate NFP à Matignon entretient une relation singulière avec la temporalité. Mercredi dernier, 29 janvier, à Pantin, voici qu’elle célèbre ses “Vœux de la victoire”, raout auquel elle a convié toutes les composantes, fort fâchées entre elles, du NFP. La victoire quand tous s’écharpent et s’insultent autour de la discussion budgétaire ? A tour de rôle, dans une mise en scène confinant à la réalité virtuelle, un représentant de chaque parti prend la parole, dont François Ruffin, Clémentine Autain ou Manon Aubry. Quelques socialistes, aussi. Comme Johanna Rolland, la numéro 2 du PS, venue alors qu’elle redoutait d’être accueillie fraîchement, crainte justifiée et confirmée. Lucie Castets entretiendrait-elle une bulle cognitive, un espace-temps parallèle dans lequel ses amis lui feraient croire que l’union de la gauche est en marche ? Un remake de Good Bye Lenin version parisienne ?Certains indices le donnent à croire. Comme l’équipe de douze bénévoles qui, depuis août dernier, travaille pour elle, se rassemblant tous les lundis, échangeant des messages quotidiens et montant des visios à gogo. Alors même que les réunions du jeudi matin du NFP ont, elles, disparu depuis la mi-janvier. La remarque ne la fait pas flancher. “Ça fait six mois qu’on me dit que le NFP va crever demain, eh bien je raisonne à l’objectif et au résultat, les militants sont favorables à l’union, même au PS.””Je ne suis pas accro à la politique”Elle ne flanche pas, bravache et confondante. “Je ne suis instrumentalisée par personne. Je suis protégée contre l’instrumentalisation car je n’appartiens à aucun camp.” Un jour, se souvient-elle, Olivier Faure lui a confié qu’elle était capable de faire avaler “beaucoup de trucs” à Jean-Luc Mélenchon, sans que cela ne lui soit reproché par le patriarche. Elle revient sur son hypothétique parachutage dans l’Isère, où in extremis elle refusa de briguer la députation. Et nie avoir pris un coup de pression des Insoumis. Vraiment ? Elle raconte son échange avec Manuel Bompard, elle lui faisant observer qu’elle peut candidater sans dire dans quel groupe, une fois élue, elle siégera. Et lui, lui répondant, glacial : “Si tu fais ça, cela ne sera pas bien pris, a minima on ne fait pas ta campagne, au pire on met quelqu’un contre toi.” Si ce n’est pas un coup de pression, cela y ressemble.Enceinte de quelques mois, elle travaille désormais à mi-temps comme consultante, ayant monté une société conseillant les ONG. “Je réponds à des offres d’organisations internationales, mon rythme est plus haché, mais ça me laisse du temps pour voir des gens, qui me nourrissent intellectuellement”, confie-t-elle, souriante. Regrette-t-elle cet été fou, son ardeur naïve et ce positionnement obstiné, dans lequel elle, et elle seule, a tant perdu ? “Je ne regrette pas la manière dont on l’a fait, ce fut assez miraculeux que ça se passe aussi bien.”Aussi bien ? Décidément, la néophyte en politique se montre accrocheuse. Elle note ne plus être quotidiennement en contact avec des politiques, les dirigeants du NFP diffracté s’éloignent, “tout le monde a sa vie, en circonscription”, dit-elle, gentiment. “J’ai une posture spécifique, je ne suis pas accro à la politique, si j’ai l’impression que ça ne débouche sur rien, je ferai autre chose. Après, je ne sais pas ce que ça me ferait de quitter tout ça, c’est passionnant d’avoir le sentiment de pouvoir contribuer à la vie politique de son pays.” Pas “accro”, mais sacrément prise tout de même. Et si seule.
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Author : Emilie Lanez, Mattias Corrasco
Publish date : 2025-02-01 06:45:00
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