Cela devait être “le laboratoire” de la stratégie de la France insoumise pour conquérir des communes populaires en 2026. Mais au second tour des élections municipales anticipées à Villeneuve-Saint-Georges, dans le Val-de-Marne, le très médiatique Louis Boyard a échoué de manière spectaculaire – 39 % des voix – contre la candidate LR Kristell Niasme.Pour le philosophe Raphaël Enthoven, cette défaite sanctionne “la courte échelle à l’islam politique” faite selon lui par LFI dans une commune pourtant très favorable à la gauche. Il critique aussi la réaction de Louis Boyard qui a imputé la responsabilité de sa défaite au “système” et à une “fascisation de la France”. Mais pour Raphaël Enthoven, les actuelles dissensions entre Insoumis et socialistes ne signifient pas la fin de leur alliance électorale. “On n’arrête pas d’enterrer le Nouveau Front populaire, mais, tant que les élections législatives auront lieu au scrutin majoritaire, l’alliance contre-nature du hérisson insoumis et de la carpe socialiste ressuscitera chaque fois que la survie de leur groupe parlementaire sera en jeu. C’est la tragédie des socialistes”. Entretien.L’Express : Comment analysez-vous la large défaite de Louis Boyard à Villeneuve-Saint-Georges ? A-t-il notamment payé la présence sur sa liste d’un homme, Mohammed Ben Yakhlef, qui avait pris des positions pro-Hamas sur les réseaux sociaux ?Raphaël Enthoven : Pas seulement. Vous avez raison de citer le sympathique Mohammed Ben Yakhlef, soutien de l’imam salafiste et antisémite de Pessac, qui partage des visuels glorifiant le Hezbollah, l’Iran des mollahs ou la Syrie d’Assad, qui soutient les Houthis du Yémen, qui célèbre les massacres du 7 octobre, qui justifie la chasse aux juifs dans les rues d’Amsterdam, qui relaie des communiqués du Hamas, qui dit combattre “l’israélisation” de la France etc. Mais il n’est pas le seul ! Sur cette liste démente, on trouvait aussi Fadwa Sadak et ses keffiehs ornés de symboles antisionistes, ou encore l’assistant parlementaire de Louis Boyard, Ismaël El-Hajri, qui défendait le CCIF et Baraka City, tous deux dissous pour propagande islamiste… Ce n’était pas une liste, c’était une réunion de cellule. Il faut croire que les électeurs villeneuvois n’ont pas voulu de ça à la tête de leur ville. On peut les comprendre. Pour autant, il n’y a aucune surprise dans la liste de Louis Boyard. Voilà des années que LFI courtise les quartiers populaires en faisant la courte échelle à l’islam politique. Qu’on s’indigne d’une telle liste, c’est l’évidence. Qu’on soit surpris par sa composition, c’est de l’innocence.Plus intéressante, plus étonnante, est, comme souvent, la position (ou l’absence de position) du Parti socialiste après le retrait de la liste emmenée par Daniel Henry. Ainsi, le député de l’Eure Philippe Brun, tout en reconnaissant que la défense du Hamas ou la glorification du 7 octobre était “tout à fait regrettable”, a néanmoins appelé à voter pour Louis Boyard et ses fanatiques, car “il y a des gens bien sur sa liste aussi”.Au-delà du calcul grossier, c’est le mode de raisonnement qui doit nous faire réfléchir : certes, il y a des islamistes, mais il y a aussi des gens bien… Comme si l’autre pouvait compenser l’un, comme si la présence d’islamistes n’était pas une raison suffisante de tourner le dos à cette liste et de la faire battre, comme si on pouvait faire un peu de mal, mais pas trop, comme si, dans la tambouille électorale, les électeurs de gauche devaient apprendre à digérer l’islamisme pour plus de justice sociale dans leur ville. Imaginons qu’au lieu d’islamistes, Louis Boyard ait fait alliance avec des néo-nazis, les socialistes auraient-ils appelé à voter pour lui en faisant valoir qu’il y a aussi des gens bien sur sa liste ? On ne compense pas l’horreur de certains candidats par la qualité de certains autres. On ne compense pas l’islamisme de certains par l’attachement à la République de leurs colistiers. Un seul islamiste sur la liste de Louis Boyard eût été une raison suffisante de faire campagne pour son adversaire. Comme dit Jankélévitch, on ne fait jamais assez de bien, mais toujours le mal une fois de trop.La France insoumise, ce mouvement politique simultanément stalinien et islamisé, est un gouffre pour la gauchePlus largement, est-ce l’échec de la stratégie de LFI qui consiste à séduire les quartiers populaires ? Villeneuve-Saint-Georges est la commune la plus défavorisée du Val-de-Marne…Jean-Luc Mélenchon faisait de cette élection un “test national”, et il avait raison. Ce qui est arrivé à Louis Boyard (mobiliser les abstentionnistes contre lui tout en détournant la gauche de gouvernement) menace toute candidature insoumise, désormais. Dans leurs stupéfiants éléments de langage, les Insoumis s’acharnent à expliquer, premièrement, que la défaite de Louis Boyard est, en fait, une victoire : “Louis Boyard a fait 11 points de plus que la liste de’gauche’au second tour de 2020” expliquent-ils en chœur, alors que “la droite recule de 18 %”. Comme le résume Jean-Luc Mélenchon : “Battu certes, mais ramené au niveau d’une conquête possible du pouvoir.” Et deuxièmement que s’ils ont perdu, c’est parce qu’ils avaient tout le monde contre eux (“Le Ministre de l’Intérieur et ses ingérences dans les élections, le Front National, Zemmour, la presse Bolloré… Et bien sûr, les macronistes, qui face à la révolution citoyenne ont choisi l’extrême droite” comme dit Antoine Léaument). En somme, non seulement ils n’ont pas vraiment perdu, mais en plus ils ont perdu à cause des autres. CQFD.Comme souvent, la vérité est un peu différente de leurs analyses. La commune de Villeneuve-Saint-Georges est hyperfavorable à la gauche. Louis Boyard y avait recueilli plus de 60 % des voix au second tour des législatives de 2024, alors qu’il avait deux adversaires face à lui. Sept mois plus tard, dans une nouvelle triangulaire, alors qu’il est le candidat unique de la gauche, face à une droite divisée, Boyard n’obtient plus que 38,75 % des voix. La mobilisation a donc joué contre lui. Et Boyard, qui disait qu’il n’aurait pas besoin d’un second tour pour gagner, est distancé dans la grande majorité des bureaux de vote. Appelons de nos vœux un monde où les Insoumis sont laminés dans des communes acquises à la gauche, et s’auto-persuadent qu’en réalité ils ont gagné !La liste de Louis Boyard était le fidèle reflet de la stratégie électorale insoumise, communautaire et islamisée. Et son échec, au-delà de ce qu’on peut en penser sur le fond, renseigne sur l’inanité d’une telle stratégie. D’abord, c’est une faute et une erreur de croire qu’on peut séduire les musulmans de France et qu’ils voteront comme un seul homme pour celui qui les flatte. Mais au-delà des mécaniques électorales, c’est la démagogie elle-même qui est battue en brèche. C’est le goût de séduire les gens en les flattant qui est vaincu. C’est la démarche qui consiste à héroïser sa propre candidature en présentant toute adversité comme “fasciste” ou “d’extrême droite” qui trouve enfin ses limites. Le désaveu de Louis Boyard est celui de toute la gauche de rupture et d’une stratégie sotte et sans avenir. La France insoumise, ce mouvement politique simultanément stalinien et islamisé, dirigé par un tribun à la retraite, est un abîme pour ses alliés, un gouffre pour la gauche, et l’assurance, pour elle, de ne jamais revenir aux affaires.Comme vous le soulignez, après sa défaite, Louis Boyard s’en est pris à la “fascisation de la France”, estimant que tout le “système” s’est ligué contre lui et a “choisi l’extrême droite”…Deux choses sont importantes ici : le lexique et le diagnostic. D’abord, l’emploi systématique d’un vocabulaire excessif a pour effet de banaliser les mots qu’on emploie. S’il suffit d’être battu par une liste de droite républicaine pour dénoncer une “fascisation” du pays, c’est que les mots “fascisme” ou “extrême droite” n’ont plus de sens. La France insoumise porte une responsabilité historique dans le dévoiement de mots sacrés qu’on ne devrait utiliser qu’en tremblant. La vérité historique est bradée sur l’autel de l’outrance. “30 000 habitants plongés dans la pénombre du fascisme” a déclaré Gwenn Thomas-Alves (du syndicat étudiant USL) après la défaite de Boyard. Tant d’ignorance péremptoire est un crachat à la figure de tous ceux qui ont vraiment connu le fascisme ou vraiment souffert d’un Etat policier. Les plus grandes catastrophes de l’histoire sont systématiquement convoquées pour anoblir un groupuscule poujadiste. L’infini est mis à la portée des caniches, comme dirait Céline. L’immense est mis au service du néant.L’autre fait notable, c’est que, comme on pouvait s’y attendre, Louis Boyard n’est pas familier du concept de responsabilité. A en croire celui qui, avant le premier tour, refusait toute fusion de liste parce qu’il était convaincu de l’emporter sans effort, sa défaite est uniquement le fait des autres. “On avait tout le monde contre nous” déclare l’Insoumis, amalgamant sans vergogne ceux qui se présentent contre lui et ceux qui, comme les socialistes, ont appelé à voter pour lui du bout des lèvres. Autrement dit, en petit politicien, Louis Boyard n’assume aucune responsabilité dans sa défaite. Il n’a pas encore compris que, dans la vie comme en politique, un candidat n’est pas responsable de ce qui lui arrive, mais il est responsable de ce qu’il en fait.Personne ne ressemble moins à Sisyphe qu’Olivier FaureCette élection confirme-t-elle une cassure durable à gauche ? Peut-on parler de la fin du Nouveau Front populaire ?On n’arrête pas d’enterrer le Nouveau Front populaire, mais, tant que les élections législatives auront lieu au scrutin majoritaire, l’alliance contre-nature du hérisson insoumis et de la carpe socialiste ressuscitera chaque fois que la survie de leur groupe parlementaire sera en jeu. C’est la tragédie des socialistes. C’est grâce aux Insoumis qu’ils sont restés députés, mais c’est à cause des Insoumis qu’ils ne sont pas ministres. C’est la raison pour laquelle ils s’éloignent des Insoumis entre les scrutins avant de revenir au bercail au moment des élections. Emmanuel Macron avait sous-estimé la souplesse dorsale des socialistes quand il a dissous l’Assemblée. Il n’avait pas cru possible que des gens qu’on traite de “traîtres”, de “vendus” et de “sales sionistes” pendant six mois pussent redevenir de dociles alliés. Il a cru que la gauche de gouvernement ne pourrait pas s’allier une fois de plus avec la gauche totalitaire. C’était mal connaître Olivier Faure (et Raphaël Glucksmann). Mal lui en a pris.Vous aviez sévèrement critiqué Olivier Faure au printemps, allant jusqu’à le comparer au Bardamu de Céline. Etes-vous aujourd’hui un peu plus indulgent alors que le Premier secrétaire du PS prend ses distances avec Mélenchon au sujet de la censure du gouvernement ? “La politique, c’est Sisyphe” a commenté celui qui est candidat à sa succession…Olivier Faure est une science exacte. Les positions de Faure sur Mélenchon renseignent uniquement sur le sens du vent. S’il s’en éloigne, c’est que l’opinion le lui permet, mais n’ayons aucune illusion : il s’en rapprochera à la même vitesse. Chaque fois qu’Olivier Faure explique que l’antisémitisme des Insoumis n’est pas une raison de ne pas s’allier avec eux, il ressemble à un moustique qui tente de donner le baiser de la mort à un âne.A cet égard, personne ne ressemble moins à Sisyphe qu’Olivier Faure. Qui est Sisyphe ? Condamné par les dieux à rouler son rocher jusqu’au sommet d’une montagne avant qu’il ne retombe de l’autre côté, Sisyphe ne souffre de son sort que tant qu’il espère atteindre le sommet, mais à la seconde où il remplace le désir d’arriver en haut par le désir (bien plus consistant) de pousser son rocher tant qu’il peut, Sisyphe se rend hermétique à la sentence des dieux, et c’est en cela, dit Camus, qu’il “faut imaginer Sisyphe heureux”. Sisyphe est une figure de la constance, de la persévérance, de l’obstination qui tient lieu d’amour en période de crise. J’avoue avoir du mal à voir le rapport avec Olivier Faure, contorsionniste notoire, capable de changer de candidat entre deux tours d’une élection, incapable de défendre une élue socialiste (Pernelle Richardot) quand elle est diffamée par Rima Hassan, et qui a soudé son vieux parti au premier parti antisémite de France pour éviter d’avoir un concurrent insoumis dans la onzième circonscription de Seine-et-Marne.
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Author : Thomas Mahler
Publish date : 2025-02-03 19:45:00
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