L’avion de Benyamin Netanyahou s’est-il perdu sur la route de la Maison blanche ? Dimanche, le Premier ministre israélien a mis treize heures et trente minutes pour se rendre de Tel-Aviv à Washington, “soit un temps de vol significativement plus long qu’un vol commercial lambda”, note la journaliste israélienne Noga Tarnopolsky sur X. Prudent, “Bibi” a sans doute voulu éviter les espaces aériens des pays susceptibles d’exécuter le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale émis contre lui. Peut-être a-t-il aussi pris le temps de réfléchir aux dilemmes historiques qu’il doit résoudre dans les heures à venir…Mardi 4 février, Benyamin Netanyahou sera le premier dirigeant étranger reçu par Donald Trump lors de son second mandat. Un signe d’amitié selon Bibi, une convocation par le patron selon ses opposants. Depuis sa réélection en novembre, le milliardaire républicain a une obsession géopolitique : la trêve à tout prix au Moyen-Orient, pour faire avancer ses grands plans dans la région. Il a tordu le bras de Netanyahou pour obtenir le cessez-le-feu au Liban, puis à Gaza, avant même son entrée en fonction. Prochaines étapes : un “deal” Arabie saoudite-Israël et un accord avec l’Iran. De quoi faire murmurer par ses proches ses ambitions pour le prochain prix Nobel de la paix.Désormais aux manettes, le magnat new-yorkais entend bien maintenir le calme. “Les objectifs de Trump sont limpides et pragmatiques, souligne Ksenia Svetlova, spécialiste du Moyen-Orient, dans une note pour la Chatham House. Sa vision pour le Moyen-Orient tourne autour de deux buts stratégiques : signer un accord global avec l’Arabie saoudite sur le modèle des accords d’Abraham [NDLR : qui ont normalisé les relations entre Israël et plusieurs pays arabes en 2020] et établir une route du gaz qatari vers l’Europe, en passant par la Syrie. Ces deux objectifs représentent le genre de grands succès économiques que Trump veut accomplir pendant son second mandat, mais il ne peut réussir qu’en cas de stabilité régionale et d’arrêt de la guerre à Gaza.” Ce qui complique forcément la vie de Netanyahou.Pour Netanyahou, la colère de l’extrême droite ou la colère de TrumpSi le président américain veut la paix, les alliés du Premier ministre israélien ne veulent que la guerre. Son ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a quitté le gouvernement pour protester contre la trêve à Gaza. Désormais, son ministre des Finances, le colon Bezalel Smotrich, menace de faire de même si Tsahal ne reprend pas les bombardements dans la bande de Gaza. Son départ risquerait de faire chuter le gouvernement Netanyahou et de provoquer de nouvelles élections délicates pour le Premier ministre.Netanyahou a donc un choix à faire : appliquer l’accord de cessez-le-feu avec le Hamas pour enfin obtenir la libération de tous les otages et espérer normaliser les relations d’Israël avec ses voisins du Moyen-Orient, ou reprendre la guerre dans l’enclave palestinienne, déjà détruite à plus de 80 %, pour garder en vie son gouvernement jusqu’en 2026. En bref, risquer la colère de ses alliés d’extrême droite ou la colère de Trump. “Le cessez-le-feu à Gaza fait renaître de nombreuses options pour la suite, estime Amélie Ferey, responsable du Laboratoire de recherche sur la défense à l’IFRI. C’est la première fois depuis très longtemps que différentes voies sont possibles dans le conflit israélo-palestinien.”Pour maintenir la paix à Gaza, les négociations reprennent déjà. Israël et le Hamas doivent se mettre d’accord sur la phase 2 de l’accord, qui doit entrer en vigueur 42 jours après le début de la trêve, soit début mars. “L’approche de Trump a été décisive pour conclure le deal dans un premier temps, il doit rester impliqué au plus près des négociations pour s’assurer que l’accord tienne”, juge Ksenia Svetlova. L’envoyé spécial américain sur le dossier, l’entrepreneur immobilier Steve Witkoff, a d’ailleurs fait le tour des acteurs du Moyen-Orient la semaine dernière, allant du bureau de Netanyahou à Jérusalem jusqu’à la “place des otages” de Tel-Aviv, en passant par la bande de Gaza. Dans une franchise très trumpienne, il a déclaré qu’il ne “reste presque plus rien de Gaza” et qu’il faudra “dix à quinze ans” pour reconstruire.Menaces contre les Palestiniens : l’art du deal de Trump ?Les négociations sur la phase 2 du cessez-le-feu promettent d’être particulièrement retorses. Israël exige la libération de tous les otages et la mise en place d’une autorité de transition débarrassée du Hamas. En face, l’organisation terroriste réclame la remise en liberté de centaines de prisonniers palestiniens et le départ complet des troupes israéliennes de la bande de Gaza. “Trouver un accord s’annonce exceptionnellement difficile, avance Andrew Fox, ancien membre des forces spéciales britanniques et spécialiste du Moyen-Orient à la Henry Jackson Society. Cela revient à ce que le Hamas accepte d’être remplacé à la tête de la bande de Gaza, il faut donc activer tous les leviers possibles pour le faire plier.” C’est ici que “l’art du deal” de Donald Trump entre en jeu.”On parle d’un million et demi de personnes [à déplacer] puis on nettoie tout le truc.” En janvier, le président américain a répété, à deux reprises, son intention de faire émigrer les Palestiniens de la bande de Gaza dans les pays arabes environnants, en l’occurrence l’Egypte et la Jordanie, de manière temporaire ou à long terme. Un plan irréaliste, qui ravive les blessures de la Nakba, quand 700 000 Palestiniens avaient dû quitter leurs terres en 1948 après la victoire d’Israël. Un projet rejeté d’emblée par l’ensemble des pays arabes. “Ce sont les négociations maximalistes de Trump, croit savoir Andrew Fox, invité à Paris par la fondation Jean-Jaurès fin janvier. C’est sa manière de négocier, en avançant une demande énorme puis en trouvant un accord à mi-chemin. Il dit au Hamas : si vous refusez notre proposition pour la phase 2 de l’accord, alors on va tous vous expulser !”Les propos de Trump ont aussi donné des gages à l’extrême droite israélienne, susceptible de faire tomber Netanyahou mais aussi d’incendier la région. Après avoir annulé les sanctions prises par l’administration Biden contre des colons de Cisjordanie et rétabli la livraison des bombes de près de 1000 kg à Tsahal, le président américain ménage les Israéliens les plus radicaux. Il sait qu’il devra bientôt les convaincre de faire des concessions aux Palestiniens, dans l’espoir d’aboutir à un accord avec l’Arabie saoudite de Mohammed ben Salmane. “La clé pour l’avenir des Palestiniens repose sur les négociations entre Trump et MBS, pointe Amélie Ferey. Mais le problème réside au sein même de la société israélienne et de ses dynamiques politiques : même si Netanyahou accepte la paix, comment réagira le mouvement des colons ? Ils sont armés par [l’ancien ministre de la Sécurité nationale] Ben Gvir et les tensions sont énormes.”Dès l’entrée en vigueur du cessez-le-feu à Gaza, la Cisjordanie est entrée en ébullition, avec d’un côté des opérations antiterroristes menées par Tsahal et de l’autre des violences commises par des colons israéliens contre des villages palestiniens. Ces derniers promettent d’envenimer la situation si la phase 2 de l’accord avec le Hamas entre en vigueur dans les prochaines semaines. Bezalel Smotrich, lui, a fait part de ses ambitions pour l’avenir : “Regardez Gaza, elle est détruite, inhabitable, et elle le restera.” A voir qui, de son ministre ou de Trump, Netanyahou écoutera en dernier.
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Author : Corentin Pennarguear
Publish date : 2025-02-04 05:00:00
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