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Frédéric Encel : “Faire de Gaza une ‘Riviera’ ? Donald Trump s’adresse en réalité à l’Arabie saoudite”

Le président américain Donald Trump devant la presse à Washington, aux Etats-Unis, le 31 janvier 2025




Faire de la bande de Gaza une “Riviera” ? Voilà un plan de résolution du conflit israélo-palestinen auquel personne ne s’attendait. Sous l’œil des caméras mardi 4 février, le Premier ministre israélien lui-même semblait décontenancé face à l’idée de Donald Trump de contraindre à l’exode quelque 2 millions de Palestiniens pour construire de “jolies maisons”. Si la proposition a fait bondir les chancelleries occidentales qui, cahin-caha tentent de réagir aux fulgurances du nouveau locataire de la Maison-Blanche, ce pourrait bien être à un autre acteur que Donald Trump s’adresse. Décryptage avec Frédéric Encel, essayiste et géopolitologue spécialiste du Moyen-Orient, également chroniqueur à L’Express.L’Express : Faut-il prendre au sérieux les propositions de Donald Trump sur la bande de Gaza ?Frédéric Encel : Le problème avec une personnalité imprévisible, c’est que par définition, on ne sait jamais exactement lorsqu’elle est sérieuse ou si elle dit vrai. Un point important en géopolitique : l’imprévisibilité, soit organisée, soit caractérielle, peut constituer un instrument intéressant de type dissuasif face aux adversaires ou aux alliés qui, ne sachant pas si c’est du lard ou du cochon, pourraient avoir tendance à infléchir leur position sur un certain nombre de dossiers. En l’espèce, Donald Trump n’avait jamais lancé cette proposition proprement hallucinante visant à faire de Gaza une “Riviera”, et ainsi, à déplacer l’essentiel de la population palestinienne – soit environ 2 millions de personnes. Donc là, on a vraiment quelque chose de nouveau. Deuxième point, cette proposition est d’autant plus problématique qu’elle est totalement contradictoire et incohérente vis-à-vis de sa propre posture. Voilà un Donald Trump qui, de manière assez constante et cohérente, s’affirme volontiers isolationniste, mais qui propose de prendre le contrôle de la bande de Gaza. On ne parle pas d’un contrôle spirituel et idéologique, il s’agit bien d’un contrôle économique et militaire.Justement, quid de l’armée américaine, une telle proposition signifie-t-elle nécessairement l’engagement de soldats à Gaza ?Le problème, c’est que s’il en envoyait à Gaza, il serait doublement en contradiction. Primo, parce qu’il ne s’agit pas là d’une histoire objectivement vitale ou existentielle pour la sécurité des Etats-Unis. Deuzio, parce que cela pose de lourdes questions sur le plan moral et éthique. Voilà le chef d’un des Etats les plus anciennement démocratiques au monde qui propose un exode forcé de centaines de milliers de personnes. Un choix d’un territoire qui n’est même pas frontalier ou stratégique pour les Etats-Unis, et ce, sans leur demander leur avis.Une telle initiative est-elle réalisable du point de vue du droit international, et qu’est ce qui empêcherait Trump de prendre le contrôle de Gaza par la force ?Tout d’abord, du point de vue du droit international, la proposition de Trump est complètement hors sol. Il est strictement interdit pour un quelconque Etat souverain d’aller projeter des forces visant à déplacer une population. C’est juste inimaginable. Attention, en temps de guerre ouverte, les Conventions de Genève prévoient la possibilité non pas de déplacer des populations, mais des manœuvres militaires qui peuvent consister dans l’incarcération provisoire et, dans des conditions particulières, d’une population située sur un champ de bataille. Mais là, ce n’est absolument pas le cas. Ensuite, les Etats-Unis d’Amérique ont suffisamment de vecteurs de projection de force, ont suffisamment de soldats et d’équipements pour débarquer dans la bande de Gaza et en chasser des centaines de milliers de personnes. Mais attention ! Le Hamas est vaincu, mais il n’est pas totalement écrasé. Or, l’opinion publique américaine, après le Vietnam, après la Somalie, après l’Afghanistan, après l’Irak, n’est pas prête à voir de nouveau soldats américains mourir à Gaza.Cette proposition ne se heurte-t-elle pas à une incohérence avec la volonté de Donald Trump de resserrer les liens entre l’Arabie saoudite et Israël engagée lors de son premier mandat sous l’égide des accords d’Abraham ?Par un faux paradoxe, je pense qu’il s’adresse à l’Arabie saoudite justement parce que l’Arabie saoudite est demandeuse de plus d’alliances américaines. L’Arabie saoudite a très peur de l’Iran, et a très peur de l’opposition islamiste radicale. L’Arabie saoudite a donc besoin d’aller plus avant avec Israël, notamment grâce à ce que l’Etat hébreu peut apporter sur le plan militaire et du renseignement. Trump est un mercantiliste absolu. Il est demandeur d’une stabilité dans la région qui profiterait surtout à l’Arabie saoudite. Parce que ce pays achète, depuis 1945 et de façon croissante, par centaines de milliards de dollars du matériel militaire américain. Or, Trump est frénétiquement adossé à cette volonté de faire travailler des dizaines de milliers d’ouvriers américains et de voir sa balance commerciale sortir du rouge. Et de ce point de vue là, la stabilité de la région, et donc la solvabilité de l’Arabie saoudite, est centrale.Justement comme avec le Canada et le Mexique, n’est-il pas dans une logique de “deal”, à savoir demander beaucoup pour avoir un peu ?On peut considérer que Trump tente d’envoyer un message à l’Arabie saoudite en leur disant : “Nous sommes prêts à aller très loin, donc constituez un fonds de reconstruction de la bande de Gaza, c’est vous qui allez contribuer à payer la reconstruction. Vous allez ramener l’Autorité palestinienne désarmée dans la bande de Gaza, moyennant quoi, nous allons continuer à vous soutenir militairement, parce que sinon nous nous retirons de la région”. Ce n’est qu’une hypothèse. Alors évidemment, dans un premier temps, MBS ne peut que dire non à un exode forcé de populations arabes. Mais, lorsqu’on avait demandé à MBS s’il s’inquiétait du sort des Palestiniens, sa réponse avait été approximativement : “non, mais mon peuple oui”. Or, dans un Etat autocratique, l’opinion publique ne compte pratiquement pas.À quel prix l’Egypte et la Jordanie seraient-elles prêtes à se soumettre à la volonté de Donald Trump ? A-t-il des leviers activables ?Les leviers sont extrêmement forts. Ils sont de deux ordres principaux. Ce qui domine dans les relations internationales, c’est la dimension culturelle et militaire. Sur le plan économique, depuis les accords de paix de Camp David de 1978-1979, Israël et l’Égypte touchent chaque année respectivement 3,5 milliards de dollars et 1,2 milliard de dollars. Il ne s’agit pas d’un chèque en blanc avec lequel ces pays font tout ce qu’ils veulent. Il s’agit d’acheter sur étagère des matériels américains. Pour Le Caire, c’est très important, parce que l’économie égyptienne est en état de quasi-banqueroute permanente et elle n’est soutenue que par l’Arabie saoudite qui la voit comme une espèce d’assurance-vie.L’Egypte est largement tributaire pour sa survie économique des Etats-Unis, ce qui donne à Trump un levier très considérable. Concernant la Jordanie, les moyens de pression sont à la fois économiques – les Etats-Unis ont effacé à plusieurs reprises la dette jordanienne – et militaire puisqu’il y a des bases américaines, britanniques et maintenant françaises. Ce pays est protégé par les Occidentaux, dont les Américains. Il est bien clair qu’à la fois Le Caire et Amman subissent des pressions des Etats-Unis. Mais il ne fait aucun doute qu’al-Sissi et Abdallah II de Jordanie préféreront perdre de l’argent, en quémander ailleurs et même faire à des mouvements sociaux du fait d’un affaiblissement social et économique du régime plutôt que d’accueillir des centaines de milliers de Palestiniens. Pour ces deux régimes, le péril serait mortel. D’abord parce que les opposants principaux d’al-Sissi sont les Frères musulmans. Or, qu’est-ce que le Hamas sinon la branche palestinienne des Frères musulmans ?Cette situation pourrait-elle conduire à la création d’une internationale terroriste ?C’est le risque. L’Egypte en est parfaitement consciente. Un exode massif de Palestiniens conduirait à importer des milliers de futurs militants ou combattants islamistes chez lui. Ce serait de la folie. Et Abdallah II, comme son père avant lui, se méfie énormément de l’activisme et d’un irrédentisme qui serait celui des Palestiniens.Sur la perspective israélienne, quel bilan peut-on tirer de la visite de Benyamin Netanyahou à Washington ?J’attire l’attention sur le visage de Netanyahou qui a l’air, sur les images, passablement surpris. On a vraiment l’impression que ce n’est pas du tout ça qui a été discuté ou négocié entre le Premier ministre israélien et le président américain. On a là une forme d’imprévisibilité extrêmement assumée. Netanyahou a énormément de défauts, mais il n’est pas stupide. Il a toujours voulu échapper au spectre de l’émergence d’un Etat palestinien. Raison pour laquelle il se satisfait bien plus du statu quo. Parce qu’une solution aussi radicale que celle de Trump pourrait conduire à une vague massive d’immigration palestinienne en Europe.Face à la fois à la proposition de Donald Trump, et à ce spectre d’une possible vague migratoire palestinienne sur le Vieux Continent, comment l’Europe peut-elle ou doit-elle réagir ?Elle ne peut rien faire hormis contester et condamner pour des raisons morales et éthiques la suggestion de Trump. Sur le plan humanitaire, elle peut prendre sa part dans l’accueil de réfugiés palestiniens. Mais sur le plan géopolitique elle ne peut rien, parce que sur ce plan, elle n’existe pas.



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Author : Ambre Xerri

Publish date : 2025-02-05 16:43:07

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