Bientôt trois ans. Trois ans que les chars de l’armée du Kremlin ont envahi l’Ukraine en pleine nuit, le 24 février 2022. Vers 4 heures du matin, Vladimir Poutine annonçait le début d’une opération militaire pour “défendre les séparatistes dans l’est du pays”, appelant les militaires ukrainiens à “déposer les armes”. Quelques heures plus tard, des explosions retentissaient dans le pays. Depuis, les espoirs de paix n’ont cessé de s’éloigner… jusqu’à ce mardi 4 février 2025.Interrogé par présentateur britannique Piers Morgan sur la possibilité de négocier avec son homologue russe, Volodymyr Zelensky a répondu que celui-ci le ferait “si c’est la seule configuration dans laquelle nous pouvons apporter la paix aux citoyens de l’Ukraine et ne plus perdre de gens”. Si le président ukrainien “veut participer à des négociations”, il souhaite entre autres, “choisir les personnes” qui les mèneront. L’Union européenne, les Etats-Unis, ainsi que les principaux intéressés, l’Ukraine et la Russie, seraient ainsi conviés à la table des négociations. Seul bémol : pour le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la revue Défense nationale, le maître du Kremlin ne s’assiéra à cette table qu’a une seule condition : la capitulation de son ennemi.L’Express : Volodymyr Zelensky a longtemps refusé les pourparlers avec Vladimir Poutine. En octobre 2022, il avait même interdit par décret toute négociation tant que son homologue russe serait au pouvoir. Comment expliquer aujourd’hui un tel revirement de situation ?Jérôme Pellistrandi : Il n’a pas le choix. Volodymyr Zelensky sait que son peuple est épuisé après trois ans de guerre. Il doit trouver une solution diplomatique et craint que celle-ci se fasse par-dessus l’Ukraine, c’est-à-dire, dans un dialogue entre Donald Trump et Vladimir Poutine.Peut-on considérer cela comme un aveu de faiblesse du président ukrainien ou une adaptation pragmatique à la situation actuelle ?Plutôt une adaptation pragmatique. Volodymyr Zelensky sait qu’il faut entamer des négociations parce que l’Ukraine ne peut pas tenir indéfiniment. En rajoutant, bien sûr, l’incertitude américaine. Il est d’ailleurs important, pour nous, Européens, d’être présents à la table pour éviter le partage du gâteau entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Cela serait très inquiétant si nous n’étions pas présents aux négociations. D’où le pragmatisme de Volodymyr Zelensky. Il s’impose et rappelle que les pourparlers doivent être effectués à quatre : entre l’Ukraine, la Russie, l’Union Européenne et les Etats-Unis. D’une certaine façon, le président ukrainien met Vladimir Poutine en porte-à-faux puisque ce dernier le considère comme illégitime. Une photo des deux dirigeants autour de la table serait humiliante pour le maître du Kremlin. Il veut être sur un pied d’égalité avec Donald Trump. Voilà l’obsession de Vladimir Poutine.Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche a-t-il motivé l’Ukraine à vouloir négocier ?Oui, mais même si Kamala Harris avait remporté l’élection américaine, le rapport de force serait resté en faveur de la Russie. C’est-à-dire que même si l’aide américaine se poursuivait, l’Ukraine ne serait, de toute façon, pas en mesure de récupérer les territoires occupés.Le Kremlin exige des concessions de la part de l’Ukraine. Y a-t-il un espace réaliste pour un compromis entre les deux parties ?Voilà toute la difficulté. Vladimir Poutine ne parle que des concessions que l’Ukraine doit faire, et jamais de ce que la Russie pourrait accepter. Du côté de Moscou, la condition préalable à d’éventuelles négociations est que Volodymyr Zelensky affirme qu’il a perdu la guerre. Ce qui n’est pas le cas. Vladimir Poutine veut absolument la victoire. D’autant plus qu’il va y avoir le 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il veut prendre sa revanche, apparaître comme celui qui a gagné la guerre et qui redonne à la Russie sa grandeur.L’Ukraine pourrait accepter une sorte de gel, en disant que les territoires sous occupation russe sont une frontière gelée, mais elle n’acceptera pas une défaite. Puisque même si elle est sur la défensive, qu’elle perd régulièrement du terrain, elle n’a pas perdu la guerre. Il n’y a pas la percée décisive de Vladimir Poutine. C’est du grignotage mètre carré par mètre carré, ce qui n’a aucun sens sur le plan militaire puisque cela peut durer. En plus, si elle acceptait que les 20 % de territoires occupés par la Russie soient sous contrôle russe, cela engendrerait un véritable tremblement de terre diplomatique puisque cela signifierait que l’on peut reconquérir des territoires par la force.Dans le contexte actuel, l’Ukraine a-t-elle réellement les moyens d’engager des discussions sur un pied d’égalité avec la Russie ?C’est en tout cas ce que considère Volodymyr Zelensky. Vladimir Poutine, lui, n’estime pas être sur un pied d’égalité et souhaite que son seul interlocuteur soit Donald Trump. Il veut un dialogue exclusivement bilatéral qui imposerait à l’Ukraine un certain nombre de contraintes. C’est la raison pour laquelle, en disant qu’il est prêt à négocier, Zelensky inverse les rôles et montre que c’est désormais la Russie qui doit répondre aux attentes. En quelque sorte, si Poutine n’est pas prêt à accepter un compromis, ce sera lui, aux yeux des opinions publiques, ukrainienne et internationale, qui aura refusé de mettre un terme à cette guerre.L’opinion publique ukrainienne est-elle prête à accepter des concessions après trois ans de guerre et d’immenses sacrifices ?Oui. À condition d’avoir une garantie de sécurité. Je vais prendre un exemple très concret. Vous avez une grande propriété que vous ne pouvez plus entretenir, vous en cédez une partie. La contrepartie est que vous pouvez sauvegarder le reste. Voilà le marché, en quelque sorte. Mais la Russie n’est pas prête à accepter la présence de forces occidentales et européennes en Ukraine pour préserver les 80 % du territoire restant et dissuader toute nouvelle agression. Nous sommes dans une forme d’impasse stratégique puisque Vladimir Poutine n’est pas dans une logique de négociation avec des concessions mutuelles, mais dans une logique de capitulation de Volodymyr Zelensky. Si je suis obligé de céder les 20 % du territoire, de réduire mon armée à 80 000 hommes, que je n’ai pas de garantie réelle de sécurité à part quelques observateurs sur la ligne de front, là, l’Ukraine aurait perdu. Dans ce cas-là, c’est toute l’Europe qui aurait perdu face à Vladimir Poutine.
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Author : Aurore Maubian
Publish date : 2025-02-05 17:17:59
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